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Les Frères Musulmans, en voie de marginalisation?

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Un coup dur pour les Frères Musulmans

Après huit décennies d’une lente construction de réseaux politiques locaux, ponctuées de persécutions et même d’exécutions, et alors qu’ils ont décroché, en début d’année, une majorité dans le parlement élu, les Frères Musulmans égyptiens pourraient bien être en train de voir leur rêve de toujours leur glisser entre les doigts.

La semaine dernière, les Frères Musulmans ont été attaqués de plein fouet. Et, certains analystes prédisent que l’organisation aura bien du mal à s’en remettre.

L’Etat militaire a dissout le parlement dominé par les Frères et a réduit les pouvoirs de la présidence – que le mouvement prétend avoir remportée –, replaçant l’organisation islamiste  dans la défensive, une position qui lui est si familière.

« Nous n’avons pas anticipé que le transfert de pouvoir [de l’armée à un gouvernement civil] rencontrerait de telles difficultés, » déclare Ahmed Al Nahhas, un membre influent des Frères Musulmans à Alexandrie. « Nous n’avions pas, du tout, prévu ça. »

Une cour administrative du Caire a ajourné, jusqu’au premier septembre, l’étude de requête visant à forcer les Frères Musulmans à révéler leurs sources de financement, sous peine d’être dissouts. Un autre décision, susceptible de mettre en cause la légalité du bras politique de l’organisation, le Parti de la Justice et de la Liberté,  a aussi été reporté au 4 septembre.

Les militaires cachent bien leur jeu

Toujours ce mardi 19 juin, des milliers de partisans du candidat des Frères à la Présidence, Mohamed Morsi, ainsi que certains de leurs députés, sont descendus place Tahrir, au Caire, pour contester ce que beaucoup qualifient de coup d’état militaire.

« Tout ce qui s’est produit n’est que mensonges et tromperies de la part du CSFA, »  affirme Sheik Mohamed Bari, 65 ans – un enseignant religieux, partisan des Frères – à l’adresse du Conseil Suprême des Forces Armées, les dirigeants militaires qui ont pris le pouvoir après les manifestations de masse qui ont chassé le président Hosni Moubarak, l’année dernière.

Les manifestants contre le régime avaient, à l’époque, accueilli positivement la prise de contrôle militaire après que les soldats aient solennellement refusé de tirer sur les foules.

Une dictature militaire se profile à l’horizon

Mais l’armée qui fut un jour vénérée est depuis tombée bien bas dans l’estime des militants de la place Tahrir, qui soupçonnent désormais le CSFA de vouloir s’agripper au pouvoir et de tenter de mettre en place une dictature militaire sur tous les plans.

« Nous refusons d’accepter cela. La volonté du peuple doit gouverner ce pays, » pursuit Bari. « Le CSFA doit s’en aller. »

Suivant un décret militaire, publié dimanche 17 juin, les 19 généraux du CSFA possède désormais l’entière autorité législative, exécutive et constitutionnelle.

« La seule chose que nous avions obtenue de cette révolution était le parlement, et maintenant on nous l’a retiré, » déplore Mohamed Samir, 34 ans, également professeur et partisan des Frères. « Maintenant, le président est dépourvu de tout droit. Mais le président est censé être la voix du peuple, » dit-il. « Et en faisant cela, le CSFA a réduit les gens au silence. »

Quelle valeur aura le résultat des élections présidentielles ?

Alors que les Frères ont, d’ores et déjà, déclaré leur candidat vainqueur du second tour des élections présidentielles, qui se sont tenues samedi et dimanche derniers, beaucoup d’Egyptiens, militants politiques ou pas, envisagent que la Commission des élections présidentielles, dont les décisions ont souvent été favorables à l’armée, déclare Ahmed Chafik, le candidat du régime militaire, ancien collaborateur de Hosni Moubarak, nouveau président élu.

Les chargés de communication de la campagne de Shafiq ont eux-mêmes déclaré, mardi, que leur candidat était en tête. Les résultats officiels, dont l’annonce était prévue jeudi 21 juin, ont été reportés.

La nécessité d’élaborer une nouvelle stratégie

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Les Frères Musulmans sont désormais prêts à un nouveau bras de fer avec l’armée. C’est un combat que le très prudent mouvement a pris soin d’éviter depuis la chute de Moubarak, se souvenant que la colère des manifestations de rue a déjà débouché sur de violentes altercations entre les manifestants et les forces de sécurité.  

Mais le mouvement va bien devoir changer de tactique, en s’appuyant, en particulier, sur son vaste réseau de partisans partout dans le pays.

« Nous, ainsi que toutes les forces politiques, devons faire face à un combat pour la survie et pour enfin prendre la place que nous méritons sur la scène politique, » a déclaré Hamdi Mohamed Ismail, le leader du Parti de la Justice et de la Liberté, dans la province Ismaila, lieu de naissance des Frères Musulmans.

« Nous avons l’intention de rassembler toutes les forces politiques et de mettre la pression sur le CSFA, » ajoute-t-il. « Nous avons l’intention de régler nos affaires de justice, entre autres. [La mesure récente du CSFA] nous a mis sur le bucher politique. »

Le pouvoir ne réussirait pas aux Frères Musulmans

Mais les analystes disent que plus dangereux encore que ce qui semble être un effort concerté de l’Etat militaire pour marginaliser les Frères est la tendance qu’a le mouvement lui-même à se retrouver impliqué quantité de scandales.

Comme ce fut le cas avec le parlement impopulaire tenu par les Islamistes, qui a été dissout par le régime militaire, une présidence des Frères Musulmans ferait face à de nombreux obstacles pour gouverner efficacement – ce qui pourrait fortement détériorer l’image du groupe.

« Pendant que [l’armée]  usera de son droit de veto, Morsi sera au fond en train de se battre avec les autres partis politiques pour avoir une miette de pouvoir dans le gouvernement, » juge Hani Sabra, analyste sur le Moyen-Orient au groupe Eurasia basé à New York, une entreprise spécialisée dans le risque politique globale et la recherche.  

« La crise de l’énergie, les problèmes économiques généraux, les prix de la nourriture, et d’autres problèmes encore – les Frères Musulmans devront assumer tout ça, » dit-il. « Dans six mois, les Frères Musulmans vont sérieusement prendre un coup. Ils auront mis en place un gouvernement qui, du fait d’un pouvoir limité, n’aura pas été capable de régler les problèmes économiques et sociaux du pays. »

« Nous avons été affaiblis, » conclut Mahmoud Helmi, le dirigeant des Frères pour Assiud, la pauvre province du sud. « Mais, à la fin de la journée, ce qui compte, c’est que la loi et le gouvernement émanent de la volonté populaire. Et le peuple nous soutient. »

Global Post / Adaptation Annabelle Laferrère – JOL Press

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