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Les Frères musulmans, un danger islamiste?

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Au lendemain des élections législatives égyptiennes, au mois de janvier dernier, le monde s’est étonné devant ce Parlement constitué de près de 70% d’islamistes

Les Egyptiens de la Place Tahrir s’inquiétaient alors de voir leurs cris de liberté étouffés par les appétits politico-religieux de ces ambitieux dévôts. Puis les mois ont passé et, finalement, la campagne présidentielle a vu un islamiste sortir du lot et décrocher la magistrature suprême. Dimanche 24 juin, Mohamed Morsi, candidat des Frères musulmans et membre du Parti de la justice et de la liberté est élu. Il devient ainsi le premier président civil de l’Egypte.

Frères musulmans et salafistes, deux combats

Quand certains disent « les islamistes ont pris le pouvoir », d’autres ajoutent : « oui, mais ce sont les modérés ».

Afin de comprendre cette subtile différence, il faut revenir aux résultats des élections législatives et à la composition de ces 70% de parlementaires islamistes.

Lors du premier tour des législatives, les Frères musulmans n’avaient en fait recueilli « que » 40% des voix, tandis que le parti salafiste Al-nour réunissait 25% des scrutins. A cette époque, Bernard Botiveau, directeur de recherche émérite au CNRS, interrogé par Atlantico, confirmait que le vote islamiste des Egyptiens était « l’addition de deux blocs différents, voire antagonistes. »

Le jeu politique des Frères musulmans

Car l’islamisme ne fait pas l’union et les Frères musulmans sont bien loin de rejoindre les thèses et les ambitions des islamistes salafistes.

Si salafistes comme Frères musulmans se rejoignent sur le plan religieux, certaines différences fondamentales les séparent.

« Le premier but des salafistes est l’islamisation des institutions de l’Etat et de la société. Au contraire, les Frères musulmans, qui ont toujours mis l’accent sur l’islamisation de la société par la prédication, sont moins portés sur l’islamisation des institutions. Leur but est d’avoir une position de force au Parlement pour contrôler le président et pousser à la moralisation de la société, » notait Patrick Haenni, chargé de recherche à l’institut Religioscope, dans une interview pour Le Monde, après le premier tour des élections législatives égyptiennes.

Il est vrai qu’à l’époque, les Frères musulmans n’avaient pas d’ambitions présidentielles et avaient d’ailleurs affirmé que, en cas de victoire au Parlement, ils se refuseraient à présenter un candidat de manière à ne pas s’octroyer le monopole du pouvoir.

Le Coran et le jeu démocratique

Si les deux mouvances se réclament de la loi islamique, les Frères musulmans et les salafistes ont deux manières bien distinctes d’interpréter ce que devrait être un Etat islamique.

Alors que les Frères musulmans s’intègrent au jeu démocratique que l’Egypte tente de mettre en place depuis la révolution du 25 janvier, les salafistes souhaitent passer outre ce désir de démocratie, qui représente pour eux l’antithèse d’un Etat islamique.

Les Frères musulmans sont religieux, mais sont aussi une confrérie à ambition politique. Ils souhaitent bien entendu que l’Etat égyptien soit construit sur les bases de la charia mais ont une interprétation du Coran adaptée à la société moderne. Bien que cette adaptation soit, en certains points, contraire à ce qu’une démocratie en tant que telle peut admettre, il y a une réelle volonté chez ses membres de faire de l’islam une religion du XXIème siècle et une base politique crédible pour une démocratie moderne.

Retour aux principes historiques de la charia

Côté salafiste, les ambitions sont radicalement différentes. La lecture du coran est faite de manière littérale, en parfaite inadéquation avec les principes de base de la démocratie. Les salafistes d’Al-nour réclament un retour aux principes de bases du Coran, sans tenir compte des évolutions et de la jurisprudence islamique au fil de l’histoire.

Désormais, la question ne se pose plus, depuis la dissolution par l’armée du Parlement et de l’Assemblée constituante, mais une forte présence des salafistes à l’Assemblée élue aurait pu remettre en cause de nombreux points fondamentaux dans la construction législative du pays.

Pour Patrick Haenni, l’ambition des salafistes au sein de cette Assemblée était notamment de transformer, dans l’article 2 de la constitution, (« l’islam est la religion de l’Etat dont la langue officielle est l’arabe ; les principes de la loi islamique (charia) constituent la source principale de législation ») les mots « principes la loi islamique » par « préceptes de la loi islamique ». Cette nuance, si petite soit-elle, aurait en fait permis de « verrouiller les possibilités d’interprétation de la charia » selon les mots du chercheur.

Si, pour entrer en politique, les salafistes d’Al-nour ont dû faire quelques compromis rhétoriques pour s’intégrer à une forme de logique politique, leur ambition reste la même.

Vers une opposition salafiste ?

Chez les Frères musulmans, qui ne sont pas appelés « islamistes modérés » sans raisons, la démocratie, si elle n’est pas une fin en soit, est en tout cas un cadre d’exercice de leur action politique où chaque membre de la communauté nationale doit être représenté. C’est ainsi que dès ses premières déclarations, le nouveau président égyptien a appelé de ses vœux la construction d’une Egypte où tous les Egyptiens seraient représentés. Cette Egypte est notamment constituée de près de 10% de Chrétiens et d’un nombre croissant de laïcs.

Dimanche 14 juin, au soir de l’annonce des résultats, Mohamed Morsi, premier islamiste à accéder à la magistrature suprême a promis d’être le président de « tous les Egyptiens » en appelant à l’unité nationale. « Je suis le président de tous les Egyptiens sans exception » a-t-il affirmé lors de son premier discours.

Nul doute que ce président de « tous les Egyptiens » devra, à l’avenir, se confronter à ses frères ennemis d’Al-nour et des autres mouvances extrêmes d’Egypte.

> Retour au dossier : Un an plus tard, deux Egypte plus que jamais divisées

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