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Pierre Verluise: « Pas de miracle européen en Pologne »

[image:1,l]Alors que l’Europe est en crise, que de nombreux pays riches sont accablés de dettes et menacés de faillite, la Pologne, membre de l’Union européenne depuis le 1er mai 2004, fait figure de bonne élève avec un taux de croissance économique positif (4,3% en 2011) et de bonnes prévisions à long terme. Peut-on parler de miracle ? Pierre Verluise, directeur de la revue géopolitique www.diploweb.com, préfère rester mesuré. Si la Pologne a traversé les crises européennes, elle est surtout animée d’un fort désir de revanche et d’une ambition à la hauteur de ses espérances. Néanmoins, les Polonais ont des faiblesses qui les rattrapent.

Ambitieuse Pologne

La Pologne est une des meilleures élèves de l’Union européenne, sa croissance est toujours en hausse et elle a réussi à traverser les crises du continent sans faiblir. Comment expliquez-vous ce « miracle » européen ?

Pierre Verluise : Il faut déjà relativiser le mot « miracle ». Si la Pologne a effectivement une croissance en hausse, celle-ci n’est pas non plus exceptionnelle. Certes, leur taux de croissance du PIB est positif (4,3% en 2011, les prévisions en 2012 sont de 2,7%), cependant, le PIB par habitant en SPA (Standards de pouvoir d’achat) demeure assez faible (63 indice 100 en 2010, la France est, par exemple, à 108 indice 100) ce qui signifie que les Polonais restent relativement pauvres. La Roumanie se trouve certe à 46 mais le Danemark se place à 127 et le Luxembourg à 271…

Ensuite, il y a deux éléments à prendre en compte. Tout d’abord, les 38 millions d’habitants polonais en font un des pays les plus peuplé d’Europe. Cette population a évidemment un impact sur la situation économique du pays et la croissance économique de la Pologne a plus de conséquences sur l’UE que celle d’un pays de moins de 5 millions d’habitants.

Ensuite, la Pologne a de grandes ambitions géopolitiques, animées par une réelle obsession de se faire connaître et reconnaître. En cela, la Pologne ressemble beaucoup à la France.

Derrière cette ambition, on retrouve leur angoisse de se faire oublier. Les Polonais veulent leur revanche, car ils sont obnubilés par le fait d’avoir disparu de la carte pendant 120 ans [jusqu’en 1918-1919, ndlr]. Aujourd’hui, ils ont envie d’exister et ils le montrent. Cela est parfaitement compréhensible.

Mais la Pologne est aussi un pays qui a considérablement bénéficié de fonds communautaires (c’est même le premier) étant le plus étendu et le plus peuplé des nouveaux États membres. Je ne suis pas certain que les Polonais aient beaucoup conscience du rôle des fonds européens et le mettent en avant dans leur communication interne et externe. Peut-être ont-ils tendance à les considérer comme un dû, une perception qui pourrait faire l’objet d’un vrai débat.

Quoi qu’il en soit, après une transition difficile, les Polonais sont encore dans une phase de « rattrapage » économique. Ils partent de très loin, il est donc tout à fait logique qu’ils progressent. Il faut à la fois les féliciter et les encourager à poursuivre.

La Pologne a annoncé qu’elle allait commencer l’extraction de son gaz de schiste, elle pourrait ainsi devenir une alliée commerciale de taille pour des pays comme l’Allemagne qui se fournissent actuellement en Russie. Va-t-elle se construire une place décisive en Europe ?

Pierre Verluise : La question du gaz de schiste est avant tout un enjeu géopolitique. Les Polonais sont obubilés par leurs relations avec les Russes. Il se trouve que depuis longtemps, la Pologne importe son gaz de Russie, tout en étant volontiers critique à l’égard de Vladimir Poutine. L’extraction de gaz de schiste leur permettrait, avant tout, de diminuer leur dépendance à la Russie.

Mais derrière la question du gaz de schiste, il y a d’importants enjeux écologiques et personne ne peut actuellement dire quels seront les impacts de cette opération, notamment en termes d’environnement.

Certains Polonais sont prêts à beaucoup pour être indépendants des Russes, l’environnement n’est pas leur priorité. D’autres pensent différemment. 

Les Polonais rattrapés par leurs faiblesses

Comment voyez-vous grandir la Pologne dans les années futures ?

Pierre Verluise : La Pologne redresse la tête depuis quelques années, mais sa croissance reste mesurée bien qu’elle soit celle qui ait le mieux « encaissé » les crises.

Elle apparaît donc en tête, mais ce sont surtout ses voisins qui sont dans les profondeurs. Rien n’est jamais acquis et si la Pologne est en pleine croissance, c’est avant tout grâce aux efforts de ses habitants et en partie grâce à l’Union européenne et aux différentes aides que le pays a reçu.

La Pologne reçoit entre 2 et 4% de son PIB sous la forme de fonds communautaires. Si la France recevait la même chose, il n’y aurait pas de crise ici.

Aujourd’hui, si la Pologne veut poursuivre son chemin sur la voie de la croissance, elle va devoir poursuivre ses efforts sur son problème de corruption. Lorsque le pays est entré dans l’UE, le taux de corruption, selon l’indice de perception de la corruption publié par l’ONG Transparency International était de 3,4 (sur une échelle de 0 à 10, 0 étant l’indice le plus élevé et 10 le plus faible). Depuis, elle a peu à peu atteint la moyenne mondiale et son taux est aujourd’hui de 5,3, ce qui est également une explication à la croissance économique. Mais les chiffres le montrent, la corruption n’a pas disparu et il y a encore beaucoup de travail. La Pologne devrait faire au moins aussi bien que l’Estonie (6,4 en 2011).

Se tourner vers l’Ouest pour oublier l’Est

Il est donc prématuré de dire que la Pologne, parmi les pays de l’Est, pourrait devenir l’un des pays riches de l’UE face aux pays en crise de l’Ouest ?

Pierre Verluise : Laissons aux peuples le droit de choisir leur chemin et leur rythme. N’oublions pas que la richesse est un processus complexe et cumulatif. En outre, il s’agit d’une notion relative. Si nous réfléchissons à l’avenir, il ne faut pas oublier que les pays de l’Est ont une très grande faiblesse : leur démographie. La Pologne a un taux de fécondité de 1,38, un des plus bas d’Europe, et ce, depuis 15 ans. Les enfants qui ne sont pas nés ne sortiront pas du chapeau. La population vieillit, comme presque partout, mais chez eux, elle vieillit aussi par le bas. D’ici quelques années, les Polonais seront beaucoup plus vieux et la population diminuera. Cela aura nécessairement des incidences sur la croissance économique mais aussi sur les flux migratoires.

Peut-on croire qu’un jour, la Pologne qui n’a absolument pas participé à la construction de l’UE pourra s’en lasser si elle ne s’y retrouve plus financièrement et se tournera alors vers une Union eurasienne telle que la souhaite Vladimir Poutine ?

Pierre Verluise : Même si rien n’est jamais définitif, les Polonais semblent vaccinés contre la Russie. Il faut se souvenir du massacre de Katyń. Au printemps 1940, les Soviétiques ont assassiné, d’une balle dans la tête, environ 15 000 officiers Polonais. Les soviétiques ont nié leur responsabilité jusqu’en 1990… Ce déni reste comme un souvenir indélébile pour les Polonais et imaginer qu’ils puissent se tourner vers la Russie est, pour eux, à la limite de l’obscène.

Pour autant, il est en vrai que depuis la fin tragique du président polonais, des négociations ont été relancées entre Polonais et Russes, compte tenu du « Reset » tenté par les Etats-Unis à l’égard de la Russie.

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