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Quel président pour reprendre le pouvoir sur l’armée?

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Les Égyptiens s’apprêtent à se rendre dans les bureaux de vote à l’occasion d’une élection historique devant désigner le premier président civil du pays. Mais avec une constitution toujours en phase d’écriture et un Parlement élu à l’automne dernier et invalidé à deux jours du scrutin, quel pouvoir pourrait bien avoir le nouveau raïs égyptien ?

Un président pour diriger l’Égypte et l’armée

Le président élu, qu’il s’agisse de l’islamiste Mohamed Morsi ou de l’ancien Premier ministre d’Hosni Moubarak, Ahmed Chafik, sera contraint de concilier de nombreux enjeux, de composer avec de très différentes communautés, parmi lesquelles les islamistes qui appellent à la charia, la minorité chrétienne copte ou encore des nouveaux et dynamiques mouvements de travailleurs.

Mais, de toutes les forces en présence en Egypte, il n’est pas de pouvoir plus important que celui de l’armée, institution qui, jusque-là, a fourni l’ensemble des leaders égyptiens modernes et base du pouvoir qui a présidé à l’actuelle transition entre la révolution qui a écarté Hosni Moubarak et ces nouvelles élections.

La manière dont le président nouvellement élu gérera sa relation avec l’armée et la manière avec laquelle il tentera de composer avec cet empire financier, secret et tentaculaire, sera déterminante, à de nombreux égards, dans l’établissement d’un régime démocratique durable.

Avant le premier tour, de nombreux candidats, parmi lesquels le laïc, proche de l’ancien régime, Amr Moussa, l’islamiste indépendant Abdel Moneim Aboul Foutouh et le Frère musulman Mohamed Morsi, sélectionné pour le deuxième tour, ont publiquement contesté l’influence des forces armées, encore vénérée par de nombreux Egyptiens.

L’histoire de l’Égypte a donné le pouvoir à l’armée

Pour l’ancien brigadier général et analyste indépendant Safwat Al Zayyat, « il n’y a pas de réelle histoire des relations entre l’armée d’un côté et le pouvoir exécutif de l’autre, parce qu’ils ont toujours fait partie d’une seule et même entité. ».

En 1952, un groupe d’ « officiers libres » dans l’Egypte militaire, conduit par l’ancien président Gamal Abdel Nasser, montait un coup d’Etat contre le monarque au pouvoir, le roi Farouk, ouvrant ainsi la voie à 60 ans de règne militaire continu.

Cette ère n’a pris fin qu’en février 2011 lorsque plusieurs centaines de milliers d’Égyptiens sont descendus dans les rues et ont provoqué la chute du président Moubarak, lui-même commandant de l’armée de l’air arrivé au pouvoir après l’assassinat de son prédécesseur Anouar el-Sadate. Un pouvoir qui aura duré trente ans.

« L’institution militaire a largement déterminé les actions de la branche exécutive et, en retour, le régime lui a accordé une grande marge de manœuvre » explique Safwat Al Zayyat. « Les autorisant à poursuivre leur développement économique et laissant certains postes civils ouverts à des personnalités militaires. »

Alliée de la rue avant d’être l’ennemi numéro 1

Les Égyptiens ont espéré que leur soulèvement populaire ouvrirait la voie à une nouvelle ère placée sous le signe des droits civils et de la démocratie.

Les manifestants de la désormais emblématique place Tahrir du Caire, épicentre symbolique de la révolte, ont portant d’abord accueilli l’armée avec enthousiasme, lorsque ses chars roulaient dans les rues de la capitale, aux premiers jours de la révolte. Les officiers et les soldats dans les rues avaient alors juré de ne pas tirer sur les manifestants non armés.

Chantant « le peuple et l’armée, une seule main », les activistes étaient plein d’espoir en constatant que l’armée était de leur côté dans cette lutte contre le régime.

Mais, peu de temps après que le Conseil suprême des forces armées (CSFA) ait pris le contrôle du pouvoir, l’espérance placée par les manifestants dans un nouveau régime, libéré de la corruption de l’ère Moubarak et apte à répondre aux appels du peuple, s’est transformé en franche désillusion.

L’armée a profité de la révolution pour étendre son empire

Depuis qu’elle a commencé à assurer l’intérim du pouvoir en Égypte, l’armée a largement réprimé les manifestants, tuant de nombreux civils dau cours de l’année 2011. Elle a également profité de sa position pour contrôler les institutions étatiques, notamment les puissants médias d’Etat, mais aussi la justice, afin de solidifier son pouvoir et de s’assurer que ses privilèges et son statut exceptionnel soient protégés, quel que soit le nouveau régime.

L’armée a notamment considérablement augmenté le nombre de procès de civils en cour militaire – plus de 12 000 selon No Military Trials, un groupe de défense des droits égyptien – créant ainsi un « no man’s land » judiciaire dans lequel les droits fondamentaux d’une procédure régulière ne sont pas respectés et le droit de faire appel n’existe pas, explique Human Rights Watch.

Les généraux du CSFA ont depuis clairement expliqué qu’ils ne céderaient aucune part de leur lucratifs intérêts économiques, qui s’étendent de la fabrication d’armes au tourisme en passant par le commerce de proximité, qui les a liés à des réseaux rentables du capital transnational et leur a donné une emprise sans précédent sur près de 40% de l’économie égyptienne, selon les chiffres d’experts.

Le pouvoir n’a pas de droit de regard sur l’armée

Dans ce contexte un Etat civil sera confronté à un pari quasi-impossible : se lancer dans un bras de fer avec une armée politiquement enhardie et à l’influence inégalée de manière à casser son monopole dans tout le pays ou autoriser l’armée à consolider ses positions et à demeurer le soutien indispensable de tout régime en Égypte.

Mohamed Morsi, candidat des Frères musulmans, a d’ores et déjà déclaré qu’il prévoirait une surveillance limitée du budget de la défense exercée par un soi-disant « comité spécial » au Parlement.

Mais l’Assemblée du peuple reste affaiblie par le régime militaire, qui a toujours fonctionné comme une boîte noire, ne permettant surtout pas que ses finances ne tombent dans un budget national ou ne soient examinées par une quelconque autorité extérieure.

« L’armée doit retrouver sa mission principale de défense de la nation, et elle ne devrait pas avoir de rôle économique » estime Karim Radwan, membre du comité exécutif du parti Justice et Liberté des Frères musulmans, au Caire.

« Quel que soit le candidat élu, il devra prendre conscience de cet équilibre du pouvoir qui existe le président, l’armée et ses chefs » explique pour sa part Amir Salem, avocat des droits de l’Homme et militant actif depuis de nombreuses années. « La transition n’a pas encore été achevée de manière à permettre au président d’agir avec force et indépendance. »

Hosni Moubarak, l’exemple à suivre ?

Hosni Moubarak, en dépit de ses liens de longue date avec l’armée, avait réussi à s’assurer une présidence forte et semi-indépendante qui l’a conduit à entretenir une relation complexe avec les forces armées durant les trois décennies de son mandat. Parce qu’une cellule islamiste de l’armée avait assassiné le président Sadate, Hosni Moubarak a immédiatement cherché à limiter le pouvoir de l’armée en créant sa propre police d’Etat.

Il a renforcé les effectifs de la police et des services de renseignement intérieurs afin d’en faire une force paramilitaire qui lui soit loyale, composée de 400 000 membres, selon les chiffres de l’Institut international des études stratégiques (IISS), think tank britannique spécialisé dans la sécurité et les conflits militaires. Selon l’IISS, l’armée égyptienne réunirait environ 350 000 hommes.

Mais, désormais, sans l’appui de l’appareil de sécurité intérieure de Moubarak, le candidat élu président aura peu de marge de manœuvre face à l’armée.

Quelle force pour affronter l’armée ?

« Ils (l’armée) vont chercher à avoir la même influence sur l’Etat dans son ensemble » explique Robert Springborg, professeur à la Naval Postgraduate en Californie et expert de la question militaire en Égypte.

« Le Parlement reste faible, le système judiciaire l’est aussi, » affirme-t-il. « Le président n’aurait pas tellement d’alliés, dans l’Etat, à dresser contre l’armée. »

Les institutions civiles égyptiennes n’auront pas immédiatement les outils ou l’influence pour contrecarrer la domination militaire. Pourtant, d’autres sont optimistes, estimant que l’élection d’un président civil est un premier pas dans la bonne direction.

« Il faudra du temps pour mettre en place un système de freins et de contrepoids » conclut le brigadier général Al Zayyat.

Heba Habib a réalisé ce reportage depuis Le Caire.

Global Post / Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

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