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Quelle place pour les coptes dans la nouvelle Égypte?

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Evon Mossad prend une profonde respiration, elle remet en place les moelleux coussins beiges qui soutiennent son dos et s’installe confortablement sur le canapé de son appartement, dans un quartier résidentiel du Caire.

La soirée où tout a commencé

Cette chrétienne de 53 ans repense à cet soirée de violences, il y a sept mois à peine, qui reste dans la mémoire de tous les coptes d’Egypte comme un évènement déterminant.

« Que s’est-il passé après ? Rien, » dit celle qui, depuis cet épisode meurtrier, s’est engagée activement dans la protection des droits de sa communauté religieuse. « Rien n’a changé, sauf qu’aujourd’hui, il y a davantage de peur et d’anxiété. »

Il y a sept mois, Evon Mossad faisait partie de cette foule de manifestants, réunis pour protester contre l’attaque d’une église par des islamistes, quelques jours plus tôt. Cette manifestation avait donné lieu à de violents combats entre l’armée et les membres de la communauté. 27 personnes avaient été tués et plusieurs centaines blessées. Evon Mossad avait elle-même été agressée et battue par un officier qui l’accusait d’être une « infidèle ».

En Egypte, où les évènements sanglants n’ont fait que se succéder depuis le soulèvement du 25 janvier 2011, ce massacre est désigné par le mot « Maspero », du nom du bâtiment de la télévision d’Etat devant lequel les manifestants s’étaient réunis pour dénoncer ce que les coptes considèrent comme une indifférence totale à l’attaque de leur église.

L’Egypte oublie ses minorités

A la suite de cet évènement, où plusieurs de ses amis ont trouvé la mort, Evon Mossad, physiquement et moralement blessée, a eu l’occasion de se rendre régulièrement à l’hôpital copte du Caire pour y être soignée et rendre visite aux victimes, les encourageant à ne pas désespérer et à continuer le combat pour les droits de leur communauté. Elle espérait alors que ces violences allaient provoquer une prise de conscience de l’Egypte sur la nécessité de respecter les droits de la minorité copte.

Mais, comme les évènements qui ont suivi l’ont prouvé, Maspero n’a pas été un tournant dans la vie de ces chrétiens. Pour Evon Mossad, Maspero est d’ailleurs toujours une plaie béante.

Au moment où l’Egypte s’efforce de se choisir un président, le modèle démocratique et la constitution sur laquelle il sera fondée déterminera, fondamentalement, la manière dont seront protégées les minorités. Aujourd’hui, les coptes se demandent toujours, avec angoisse, quelle sera leur place dans la nouvelle Egypte.

Les manifestations, irrégulières mais intenses, qui se sont déroulées depuis un an, reflètent la peur grandissante de la communauté chrétienne en Egypte  – qui représente entre 5 et 10% de la population totale du pays – et fait d’elle une diaspora dans un pays largement musulman qui semble, plus que jamais, ne pas se soucier de cette communauté.

Quelle place pour les coptes dans la nouvelle Egypte ?

 Avec le décès du primat de l’Eglise copte orthodoxe, Chenouda III, en mars dernier, après 40 ans à la tête de la plus grande communauté chrétienne du Moyen Orient, de nombreux coptes espèrent désormais un chef qui pourra aider la communauté à redéfinir son rôle dans l’Egypte de l’après Moubarak, en plein bouleversement et de plus en plus islamique.

« Vous pouvez nous appeler les orphelins », murmure Evon Mossad, le rire amer.

A la veille des premières élections libres dans le pays, Evon Mossad a encore du mal à se tenir debout à cause des suites d’une opération du dos et une longue période de rééducation. Mais son combat le plus dur, dit-elle, est d’encourager ses compatriotes coptes à se battre pour leurs droits.

« Nous devons choisir entre un ancien du régime Moubarak et un islamiste. Nous sommes entre le marteau et l’enclume. » déplore-t-elle. « Personne ne parle vraiment de nous. Personne ne veut prendre le risque de mettre en péril l’obtention d’une majorité en parlant de l’enjeu copte. »

Moubarak avait le mérite de protéger les minorités

Maspero laisse une cicatrice dans cette Egypte post-révolutionnaire, supposée être plus équitable que celle qui a prévalu durant les trois décennies qu’a duré le règne répressif d’Hosni Moubarak. Alors que l’ancien président est devenu la figure la plus haïe d’Egypte, de nombreux coptes doivent se résoudre à une triste vérité : leur sécurité, en tant que minorité religieuse, était en fait mieux assurée par la police d’Etat du précédent président.

Sous Moubarak, de nombreux islamistes étaient poursuivis et jetés en prison. Les activistes coptes étaient également pris pour cibles et de nombreux incidents violents les ont visés directement, mais ils ont bien conscience qu’ils étaient malgré tout protégés, certains pourraient même dire choyés.

Le traitement des coptes sous Moubarak fera l’objet d’études par les historiens. Pour le moment, dans la foulée des premières violences sectaires, les coptes se demandent quelle direction prendra cette « révolution inachevée ». Le dernier primat des coptes était très populaire et ses funérailles ont été l’occasion d’un des plus grands rassemblements public depuis des décennies. Mais de nombreux chrétiens comme Evon Mossad espèrent désormais que la hiérarchie copte sera plus critique à l’égard du régime et du conseil militaire qui assure l’intérim – et qui a jusqu’à maintenant échoué à identifier et punir les meurtriers des victimes de Maspero.

Tout en regardant le portrait de Chenouda III, que les coptes appelaient « Baba », « père » en arabe, Evon Mossad ajoute : « il se trouvait souvent dans une position délicate. […] Si les Chrétiens s’autorisent à critiquer le régime, ils peuvent devenir une cible. Nous l’avons vu à Maspero, et nous le verrons encore. »

Quel candidat pour les coptes orphelins

Durant la campagne présidentielle, aucun rassemblement favorable à l’égalité des communautés n’a été réellement présenté aux Coptes.

Le dernier Premier ministre d’Hosni Moubarak, Ahmed Chafik, candidat considéré comme un « feloul » – vestige de l’ancien régime – ou un « débris » de Moubarak, a été le plus ouvert envers les coptes, en proposant de nommer une chrétienne à la vice-présidence s’il était élu. Mais malgré l’assurance de savoir que « chrétiens et musulmans sont égaux en Egypte », de nombreux Egyptiens ne sont pas convaincus.

Mettre les communautés sur un pied d’égalité

« La première étape, c’est de reconnaître le problème », explique Michael Hanna, spécialiste de l’Egypte pour The Century Foundation, un think tank américain, « qui est que l’actuelle société égyptienne, ses structures légales, ne mettent pas ces communautés sur un pied d’égalité. »

Beaucoup ne sont pas prêts à reconnaître cette inégalité. Le mois dernier, le docteur Abdoul Mawgoud Dardery, député du mouvement des Frères musulmans, a rapidement rejeté la notion de division sectaire systémique en Egypte.

« Il n’y a plus vraiment de problèmes entre Coptes et musulmans en Egypte » a-t-il déclaré. « Les petits incidents sont exagérés par les médias et utilisés par l’ancien régime pour diviser l’Egypte et contrer la révolution. »

Tout cela fait partie intégrante de l’islamophobie, ajoute-t-il, qu’Hosni Moubarak a cultivé dans son pays pour empêcher toute forme d’opposition à son régime.

Faire cohabiter la charia avec les chrétiens ?

« Le sujet de la charia reste une question fondamentale et non abordée, elle concerne l’interprétation que pourraient en faire les coptes, ce qui entrainerait les Chrétiens à poser un jugement et soulever des arguments concernant l’islam et les textes islamiques. Pour certains, ce n’est pas admissible. » explique Michael Hanna.

« Si les fondements constitutionnels et légaux de l’Etat sont basés sur la charia, exclure les coptes de ces discussions implique inévitablement une inégalité dans la citoyenneté. » ajoute-t-il.

Les droits des minorités, particulièrement ceux des minorités religieuses, ne sont pas véritablement parmi les priorités des candidats, estime Shadi Hamid, directeur de recherche au Brookings Doha Center, centre de recherche qatari.

«  Pourquoi un groupe comme les Frères musulmans ferait-il appel aux chrétiens ? Ils ne veulent pas perdre la confiance des salafistes et des électeurs de droite qui forment probablement la majorité des Egyptiens, et leur soutien électoral du moment. » explique Shadi Hamid. « En Egypte, les droits des chrétiens ne sont tout simplement pas un enjeu de la campagne»

« L’intégration est la clé »

Youssef Sidhoum, rédacteur en chef du journal copte al-Watani, ne le sait que trop bien. Il est assis au bout d’une table dans son bureau, situé dans le centre du Caire. Derrière lui, une photographie de son père, désormais décédé, fondateur du journal. Il explique que la situation des coptes en Egypte a empiré depuis le début de la révolution. Il déplore une renaissance de l’islam politique et un échec du régime au pouvoir dans le respect, l’application de la loi et dans la capacité à offrir une protection aux coptes.

Alors que les coptes représentent un bloc électoral considérable, les analystes politiques s’accordent à dire que l’organisation des chrétiens dans un mouvement « politique copte » serait un suicide politique. L’intégration est la clé, affirme Youssef Sidhoum. Il souligne les efforts embryonnaires engagés par certains chrétiens pour se mobiliser politiquement. C’est le cas de l’Egyptien Nagui Sawiris, magnat des affaires, avec son parti « Egyptiens libres ». Ce mouvement a rejoint une coalition qui n’a pas vraiment séduit lors des élections législatives et son impact reste nul.

Ils n’ont pas « joué cette partie intelligemment » ajoute-t-il. « Tout est une question d’ego et l’Egypte a besoin de temps pour mûrir. »

« En tant que chrétien copte vivant en Egypte, il y a toujours une blessure profondément ancrée dans mon cœur, une blessure ouverte, » avoue Youssef Sidhoum. « Celle-ci s’est infectée depuis plus de trois décennies et la situation ne fait qu’empirer. »

Faire barrage aux islamistes

Parmi les griefs que les coptes nourrissent de longue date, les restrictions imposées par l’Etat à la construction et la préservation des lieux de culte, soumis à des règlements que les musulmans ne respectent pas lorsqu’il s’agit de la construction de mosquées. La police nationale a le droit de rejeter toute demande ou de suspendre des autorisations, sans être jamais tenus d’en rendre compte, explique Youssef Sidhoum. Une nouvelle église exige également un décret présidentiel, tandis que des réparations exigent l’accord du gouverneur. De plus, Youssef Sidhoum explique que les coptes sont terriblement sous-représentés dans les milieux militaires, judiciaires, universitaires et diplomatiques et, plus encore, dans le corps électoral.

Malgré ces ressentiments persistants, les électeurs coptes semblent considérer la période actuelle comme un moment charnière qui, bien appréhendé, pourrait leur permettre de consolider leur pouvoir et de faire tout ce qui est en leur possible pour éviter une présidence islamiste.

« Je dis toujours aux fidèles de mon église : votez pour n’importe quel non-islamiste, même si vous pensez que c’est un « felool », ou « un débris » de l’ancien régime », explique le père Hegemon Methias Naser, de l’église Mar Mor’os à l’est du Caire. « Nous essayons officieusement de lutter contre leur implantation électorale. »

C’est le moment, explique Youssef Sidhoum, pour les coptes de penser stratégie et de jouer la carte de la sécurité.

L’émigration comme seule issue

A Assiout, un gouvernorat du nord du pays dans lequel réside une des plus grandes communautés coptes d’Egypte et qui a connu une véritable vague islamiste lors des élections législatives à l’automne dernier, les prêtres refusent de parler de la situation politique actuelle. Mais les membres de la congrégation ont les idées claires.

« Nous avons peur pour notre existence, » déclare Myriam, 33 ans, qui refuse de donner son nom de famille. Elle a cinq enfants et explique que son mari, comme beaucoup et comme, surtout, de nombreux coptes, est au chômage. Alors, ils songent à émigrer.

« Nous allons probablement partir. En même temps, les prêtres nous encouragent à voter pour n’importe qui, sauf les islamistes. »

Les coptes ne sont que des invités au Parlement

Hanna Georges Grace est une des parlementaires coptes nommés par les militaires au pouvoir. Sur les 508 membres, seuls 14 coptes siègent à l’Assemblée. Neuf ont été élus et cinq ont été désignés par le Conseil suprême des forces armées (CSFA). Hanna Georges Grace estime que les droits des coptes ont été largement ignorés par les islamistes, majoritaires au Parlement.

« Les non-islamistes ont été accueillis comme des invités dans le parlement. » ajoute-t-elle.

Renaissance de l’activisme chrétien

Evon Mossad, l’activiste, pense que les coptes devraient sortir de l’ombre de leurs églises pour s’engager en politique.

« Si je perds de l’argent, je peux prier toute la journée pour en retrouver. Mais il ne reviendra pas. » explique-t-elle. « Nous devons faire quelque chose. Nous ne pouvons pas juste rester ici et prier. Nous ne pouvons pas simplement dire « Chrétiens et Musulmans » ne forment qu’un tout, alors que nous sommes brisés. »

En face d’elle, son fils, qu’elle voudrait bien voir quitter l’Egypte afin qu’il puisse construire sa propre vie. Jeune photographe, il tient dans sa main son appareil, cassé durant les évènements de Maspero.

Il la regarde et dit, « elle est très militante ». Mais, ajoute-t-il, « je ne suis pas sûr que beaucoup de personnes l’entendent. »

Global Post / Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

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