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Telecomix, les hackers qui défendent la démocratie

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[image:1,l]Quand, en février, un membre du groupe de hackers Anonymous a posté en ligne les adresses email et mots de passe de Bachar al-Assad, le président syrien, de sa femme, Asma el-Assad, et d’un petit nombre d’autres figures du régime, dont l’action a été applaudie du plus grand nombre. Telecomix, le groupe suédois d’hacktivistes rival, lui, a condamné cette action.

Tous les conflits ne peuvent se gagner sur Internet

« Le conflit syrien a évolué de quelque chose que l’on peut combattre sur internet par des comptes emails piratés à une guerre civile généralisée », déclare Martin Lowdin, un membre de Telecomix. « Anonymous semble penser que toutes les batailles peuvent être menées sur internet ». « Il y a une division idéologique », il hausse les épaules. « Nous n’aimons pas vraiment leur façon de voir les choses ». 

J’ai rencontré Lowdin, tard dans l’après midi, dans un café du centre-ville de Stockholm qu’il avait choisi pour son « super café ».  Il correspond exactement au stéréotype du pirate informatique. En ligne, il répond au nom de code de « mlowdi ». Il arbore le symbole de l’infini comme tatouage, son ordinateur portable est orné d’’un autocollant de hacker et il dit vivre principalement la nuit.

Un mouvement anonyme et anarchique

Il me montre une conversation en ligne d’activistes australiens, américains et européens, sur le système de messagerie Telecomix auquel il accède depuis son téléphone bricolé au possible et utilisant une technologie de cryptage open-source ( c’est à dire ouvert à tous).

« Nous n’aimons pas afficher nos identités. Sur le réseau nous sommes anonymes », ce qui n’empêche pas une certaine cohésion. Il le rappelle : « Il y a un cœur de 20 à 70 personnes très investies dans la cause, certaines d’entre elles abattent d’ailleurs une quantité impressionnante de travail. Et parfois, quand les actions sont nombreuses, comme durant la crise égyptienne, nous comptons aux alentours de 200 pseudos sur notre réseau ». Un nombre impressionnant qu’il nuance : « Pourtant, nous n’avons ni plan, ni agenda, ni réelle organisation. Nous ne faisons que proposer des idées et voir celles qui rassemblent. Si les gens montent à bord, c’est un bon projet ».

Un nid d’intellectuels

En dépit de cette approche anarchique, Telecomix est un nid d’intellectuels, s’intéressant aussi bien à la politique, qu’à la philosophie ou encore à la programmation. Christopher Kullenberg, le fondateur du groupe, vient tout juste de finir d’écrire sa thèse de fin d’étude sur la théorie de la science. Son livre « Le manifeste des politiques du net », paru en 2010 a été repris par l’ensemble des journaux sérieux suédois sérieux. Lowdin lui-même, envisage de bientôt commencer un doctorat en littérature.

C’est ce caractère intellectuel du groupe qui est peut-être l’origine des frictions existant entre Anonymous et Telecomix.

Une volonté de défendre la démocratie

« Il y a beaucoup de problèmes entre Telecomix et Anonymous » dit Lowdin. « Un grand nombre d’entre nous, anciens du réseau, avons par exemple été vraiment énervés de voir que, lorsque l’un des serveurs de tchat qu’utilisaient Anonymous est tombé, ils ont en quelque sorte squatté nos serveurs ».

Il cite l’éveil de la Tunisie au début de l’année 2011 comme un exemple de la différence de fonctionnement existant entre les deux groupes. Anonymous met à bas les sites gouvernementaux. Telecomix offre aux activistes tunisiens des moyens de sécuriser leurs communications.  « S’introduire dans un système c’est une chose, mais nous ne le faisons pas à des fins de destruction ou pour attirer l’attention sur nous. Si vous voulez développer la démocratie et la liberté d’expression, vous ne pouvez pas seulement détruire les choses. Il faut les créer. Vous devez créer ».

Une reconnaissance nationale en Suède pour Telecomix

Par ailleurs, Telecomix a reçu des distinctions à faire rougir d’envie Anonymous. Son co-fondateur Christopher Kullenberg a été élu suédois de l’année 2011 par Fokus Magazine, le Newsweek nordique. L’hebdomadaire a entre autre cité le travail que Telecomix a réalisé pour rouvrir l’Internet égyptien à 50 activistes quand le régime d’Hosni Moubarak l’a fermé en janvier 2011. Il a également salué une opération que Telecomix a menée en septembre dernier pour informer les internautes syriens de la surveillance que le gouvernement syrien exerce sur internet. Tous les internautes syriens avaient été redirigées vers un site informatif en arabe. « Ceci est une panne temporaire délibérée » pouvait-on lire. « Veuillez lire avec attention et partager le message suivant : Votre activité sur Internet est surveillée ».

Mais l’action pour laquelle le groupe reçu le plus de crédit fut certainement la découverte du système de filtrage internet utilisé par le régime et créé par une compagnie américaine, Blue Coat Systems, pour surveiller – puis probablement arrêter et torturer – les dissidents.

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Une action avec les blogueurs et activistes syriens

Encore aujourd’hui, Telecomix travaille activement avec les blogueurs et activistes syriens, s’assurant qu’ils puissent communiquer de façon sécurisée,  mais ce travail nécessite trop de temps pour pouvoir satisfaire les besoins de la plupart d’entre eux. « Vous ne pouvez pas apporter votre aide à 100 syriens, parce que cela occuperait 1000 hacktivistes » me dit Kullenberg au téléphone depuis sa maison de Gothenburg. « Ce n’est pas une action ponctuelle. Elle nécessite un suivi permanent. Contourner la censure se rapproche du jeu du chat et de la souris. Si vous trouvez une solution, elle fonctionnera pour quelques semaines, puis vous devrez en trouver une nouvelleIl est lucide sur les limites de l’activisme en ligne. En Syrie il est actuellement très dangereux d’utiliser internet, parce qu’ils recherchent activement les dissidents. Le conseil le plus censé que nous puissions aujourd’hui donner à la majeure partie de la population est : « N’utilisez pas Internet. Privilégiez les autres moyens de communication » ».

Hacktiviste de naissance, pour aider les activistes politiques en danger

Le père de Lowdin est enseignant-chercheur à l’université de Stockholm, au département des sciences informatiques. Il a grandi en apprenant à programmer. Mais, tout ne se résume pas à la maîtrise informatique. La nuit précédent notre rencontre il s’est avéré qu’il ne hackait pas, mais réalisait des recherches sur les lois d’un pays dans lequel il se rendait pour enseigner aux activistes politiques comment sécruiser leurs communications. Il voulait être absolument certain de ne pouvoir être emprisonné pour aucun des logiciels d’encryptage qu’il prévoyait d’emmener avec lui. 

« J’ai enseigné aux dissidents Biélorusses, aux membres du mouvement démocratique ukrainien… Ce genre de personnes. Et ce, en voyageant un peu partout ».

Telecomix a aidé les activistes iraniens en 2009

« Telecomix trouve son origine dans une fête qui s’est déroulée dans la maison de Kullenberg en avril 2009. Peu de temps après, l’organisation commençait à aider des activistes iraniens à protester contre le trucage des élections dans leur pays. Dès 2011, l’organisation s’investit dans les printemps arabes. Mais aider les activiste n’était pas le but premier de Telecomix. A l’origine l’objectif était de lutter contre le durcissement du cadre législatif régissant les moyens de communication en Union Européenne. Kullenberg, lui, était un des de ces activistes radicalisés par la volonté du gouvernement suédois de fermer le site de téléchargement The Pirate Bay. « Une nouvelle génération d’activistes du net était née ».

Lowdin croit qu’à travers le Printemps Arabe, s’éventant aujourd’hui et la Syrie prise dans la révolution, la mission des hacktivistes a changée. « Le combat a quitté Internet » dit-il. « C’est pourquoi nous nous sommes concentrés sur notre action de pression sur les entreprises et les gouvernements ». Il est convaincu de la necessité d’un retour aux sources pour Telecomix : lutter contre le contrôle et la surveillance excessive qu’exercent les états sur leurs citoyens, à l’ouest comme dans les dictatures. Cela signifie par exemple comprendre comment une technologie de surveillance mise au point par des pays occidentaux arrive entre les mains des dictateurs. – Blue Coat est catégorique. Ils n’ont vendu aucune des huits machines identifiées sur place. – Mais cela signigie aussi s’investir au parlement européen et dans le congrès américain.

« Nous voulons construire, alors qu’Anonymous veut détruire »

Anonymous, pendant ce temps, continue à donner de la voix. A la mi-mai, ses activistes ont hacké le site du département de la justice américain et diffusé en ligne 1.7 gigabytes de ses données accompagnée de leur devise : « Nous sommes Anonymous. Nous sommes légion. Nous ne pardonnons pas. Nous n’oublions pas. Redoutez nous »

Ces données ont été diffusées, sans qu’ils n’aient pour autant connaissance de leur contenu. Il n’y avait aucun but au-delà de permettre au peuple de « se rendre compte de la corruption régnant dans leur gouvernement ». C’est en raison de ce type d’action que Telecomix garde ses distances avec Anonymous.

Lowdin le répète : « Anonymous est destructeur . Nous, nous voulons construire ».

Global Post / Adaptation Stéphan Harraudeau  pour JOL Press

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