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Drones: jusqu’où ira «l’impunité» américaine?

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Les 21 et 22 mai, à Chicago, l’OTAN a signé un contrat d’une valeur de 1,7 milliard de dollars (1,35 milliard d’euros) pour l’acquisition de cinq drones, rapporte Le Monde. Les Etats-Unis, dans cette lancée, envisageraient de doubler leur investissement en drones sur les dix prochaines années, les élevant ainsi à 11 milliards de dollars.

Comment les drones sont devenus des armes

Les drones sont des avions sans pilotes dont l’utilisation actuelle a fortement dérivé de son rôle initial. Ils étaient censés servir à des missions de reconnaissance et de surveillance, afin de prendre des photos nettes et précises.

Or, aujourd’hui, l’armée américaine s’en sert dans le cadre d’attaques aériennes ciblées en Afghanistan, au Pakistan, au Yémen ou encore en Somalie, où se réfugieraient les terroristes et alliés d’Al-Qaïda et Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA).

Le « permis de tuer » américain

Tous les mardis se tient à la Maison Blanche une réunion spéciale dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, en compagnie des plus grands responsables de défense et de sécurité des Etats-Unis. A l’issue de cette réunion, une liste de « personnes à tuer » est dressée. Ces personnes ne sont rien d’autre que les principaux leaders d’Al-Qaïda, selon les sources d’information américaines. Les deux journalistes du New York TimesJo Becker et Scott Shane ont transmis cette information confidentielle le 29 mai, et la Maison Blanche n’a pas démenti, selon un rapport du Monde.

Le terrorisme, quel qu’il soit, justifie-t-il un tel « permis de tuer », pour reprendre l’expression d’un rapporteur des Nations Unies, une telle trêve dans le droit international ? Tant dans la formulation que dans les méthodes employées, les Etats-Unis agissent en cavalier seul depuis des années, sans se soucier des sanctions de l’ONU ou des condamnations des organisations humanitaires. Le président américain Barack Obama n’échappe pas à la règle et agit dans ce qu’il pense être l’intérêt de ses citoyens, en bradissant l’étendard de la lutte antiterroriste.

Populaires aux Etats-Unis, fustigés par les organismes humanitaires

En effet, dans un sondage du Washington Post –ABC News, paru en mars de cette année, 83% des citoyens américains approuveraient les attaques de drones contre les terroristes présumés à l’étranger. Paradoxalement, les plus fervents soutiens sont les Républicains qui pensent que le président Obama est trop « mou » dans sa gestion du terrorisme. L’administration d’Obama bénéficie donc d’un soutien national énorme pour les politiques de défense des Etats-Unis, qui ne semble pas être ébranlé par les nombreuses critiques internationalesHuman Rights Watch et Amnesty International, entre autres, ont condamné les attaques de drones, jugées illégales.

Outre les organisations humanitaires, des personnalités politiques commencent également à s’opposer ouvertement aux politiques sécuritaires des drones.

L’immoralité des Etats-Unis, selon Jimmy Carter

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Jimmy Carter, le 39e président des Etats-Unis et prix Nobel de la paix en 2002, dresse le « bilan cruel et inhabituel » du président Obama, dans une tribune du New York Times, parue le 24 juin. Il écrit que les Etats-Unis ont « abandonné leur rôle de champion mondial des droits de l’homme. » Il critique la « règle arbitraire selon laquelle n’importe quel homme tué par des attaques de drone était un terroriste avéré » et le fait que la mort de femmes et enfants, pris dans les attaques, soit acceptée comme inévitable. Il affirme que le gouvernement d’Obama « viole au moins 10 des 30 articles de [la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme]. » Il en déduit que les Etats-Unis, sous l’égide desquels la DUDH avait été signée en 1948, ne peuvent plus « se targuer d’une autorité morale pour parler de ces questions cruciales.  »

Les violations du droit international

De même, Louise Arbour, ancienne Haut-Commissionnaire de l’ONU aux droits de l’homme et présidente d’International Crisis Group, critique fortement le président américain, dans une tribune du Monde. L’utilisation de drones dans des pays qui ne sont pas en guerre déclarée, comme le Pakistan, la Somalie et le Yémen, viole le droit international, « à moins que la « guerre contre le terrorisme » n’ait transformé le monde entier en champ de bataille », ironise-t-elle. L’opacité de la méthode de ciblage que dénonce Jimmy Carter, est aussi mentionnée par l’ancienne Haut-Commissionnaire, qui montre que la liste des « personnes à tuer » s’est étendue même aux trafiquants de drogue en Afghanistan ou aux militants somaliens.

De manière moins explicite, mais symbolique, la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton a présenté des excuses officielles au Pakistan ce 2 juillet, pour la mort de 24 soldats pakistanais tués lors d’un raid particulièrement meurtrier en novembre dernier.

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Les enjeux et impacts géopolitiques

En réalité, la question n’est pas celle du soutien ou non au président Obama. La question est celle des enjeux géopolitiques d’une telle politique de sécurité. Les attaques de drone attisent la haine et la colère du côté de l’Afghanistan, du Yémen, et du Pakistan, alliés indispensables pour la stabilité du Moyen-Orient et de l’Asie centrale. Ces pays demandent l’arrêt immédiat des frappes continues de drones sur leurs territoires, dénonçant une atteinte à leur souveraineté.

Les impacts dans la région, et dans le monde entier, peuvent être énormes, si les Etats-Unis ne se rallient pas aux valeurs du droit international, préviennent Jimmy Carter et Louise Arbour. Selon cette dernière, les Etats-Unis doivent se comporter en modèle pour les autres pays : « Ces attaques ne doivent pas devenir la norme, d’autant plus que les règles établies par les alliés serviront inévitablement d’exemple pour tous ». Par ailleurs, la lutte antiterroriste est un label que des pays utilisent pour opprimer leurs propres peuples, affirme-t-elle. Et la critique des méthodes américaines est aussi un moyen de légitimer le viol du droit international, explique Jimmy Carter.

Entre la prison de Guantanamo Bay, qui détient encore 169 prisonniers, dont la moitié ont été acquittés juridiquement, sans aucun espoir de sortie pour autant, et les politiques de drones, les Etats-Unis de Barack Obama ne semblent pas avoir pris la tournure escomptée au moment de son élection…

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