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Ils ont passé plusieurs jours avec des partisans de Bachar al-Assad

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Une vie menacée

Alors que le pouvoir du Président syrien apparaît de plus en plus ténu après l’attentat du 18 juillet qui a tué quatre hauts dignitaires du régime, de nombreux Syriens à travers tout le pays continuent à lui faire confiance.

C’est le cas d’une famille d’Ariha, ville du Nord de la Syrie passée sous contrôle rebelle, avec qui Global Post a passé plusieurs jours. Sur les cinq membres qui la composent, quatre soutiennent Bachar al-Assad. Il y a quelques nuits, alors que les rapports indiquant que les rebelles progressaient dans Damas, ils se sont tous assis, anxieux, devant la télévision du salon. A l’extérieur, des chants se sont mis à retentir : une petite colonne d’opposants passait devant leur fenêtre.

« Ceux qui soutiennent le régime, préparez-vous à finir six pieds sous terre ! » scande la foule, composée majoritairement d’adolescents. La cadette, qui fréquente l’Université d’Alep, rompt le silence qui a suivi le passage de la manifestation :

« Maintenant que l’armée est partie, il n’y a plus personne pour les empêcher de nous tuer […]. Au début, j’étais plutôt emballée par l’idée d’une révolution. Sous Bachar, on avait beaucoup pourtant : un bon système éducatif, les soins gratuits. Mais je pensais qu’on méritait encore mieux. J’ai changé d’avis. Ce qu’on a là, ce n’est pas la liberté : on nous dit comment nous habiller, ce que l’on doit penser et si on est pas d’accord, on nous menace. »

Craignant d’ailleurs les représailles des insurgés, la famille a demandé à rester anonyme. Même les âges ont été changés. Ils ne sont pas seuls. Il y a beaucoup d’autres familles qui supportent Bachar al-Assad en ville, mais la plupart sont trop terrifiées pour s’exprimer. Du côté des rebelles, on est conscient de la présence de ces familles. Ils estiment qu’environ un quart de la population de la ville supporte encore le régime.

Une armée innocente ?

La famille chez qui Global Post a logé n’a rien de ce que l’on pourrait attendre d’une famille qui supporte le régime. Personne ne travaille pour le gouvernement ou pour l’armée. Et ils ne sont même pas alaouites. En fait, comme la majorité des rebelles, ils sont sunnites.

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Mais au sein de la famille, les dissensions existent. La mère et les filles estiment que la plupart des atrocités commises sont le fait des rebelles. Le père blâme lui les deux camps mais continue à soutenir le régime, tandis que le fils a rejoint la révolution depuis son commencement et se joint fréquemment aux manifestations. Mais il considère que ses sœurs sont convaincantes.

La fille aînée livre son opinion : « Dès le début, la révolution a été violente. » déclare-t-elle, niant de fait que l’escalade ait été causée par la répression. Elle décrit les premières manifestations, à base de jets de pierres, de destruction de biens et de violence physique contre les policiers. Elle interpelle son frère, lui rappelant un épisode auquel il a assisté : un adolescent venait de détruire le seul distributeur de billets de la ville, qui permettait aux habitants de retirer leurs salaires. Lorsque son frère lui a demandé pourquoi il avait fait ça, le garçon lui avait répondu benoîtement : « Il appartient au gouvernement non ? »

« Les voilà, nos révolutionnaires ! » lance-t-elle ironiquement. Depuis ces premières manifestations et confrontations avec la police, la donne a changé et l’armée a abandonné la ville aux mains des insurgés. Au grand désespoir de la famille. Pour l’opposition, les checkpoints militaires servaient à arrêter des innocents. Eux ne sont pas d’accord : à leur sens, les militaires se sont toujours montrés relativement amicaux, et leur présence montrait que le gouvernement tentait tant bien que mal de maintenir la sécurité. Maintenant, ce sont « des gamins de CM2 armés de fusil » qui tiennent les postes militaires nous maintient l’aînée de la famille, avec une pointe d’exagération.

La cadette blâme l’Armée Syrienne Libre pour les morts d’Ariha : « A chaque fois que j’ai assisté à des engagements, ce sont toujours eux qui ont ouvert le feu en premier. Dans ces conditions, bien sûr que l’armée doit riposter. »

Rebelles ou criminels ?

La jeune fille poursuit sur les agissements de l’ASL, dénonçant l’utilisation qui est faite des chabbihas, ces milices employées par le gouvernement et impliquées dans bien des massacres, de la part de l’ASL. Ceux-ci serviraient de boucs-émissaires pour couvrir les agissements des rebelles.

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« Dès qu’ils tuent quelqu’un, ils n’ont qu’à étiqueter chabbiha », nous déclare-t-elle avec dédain. « Quand ils kidnappent quelqu’un pour obtenir une rançon, ils prétendent faire partie des chabbihas. » Elle prend l’exemple du père d’une de ses amies, qui travaillait comme simple employé dans une prison. Lorsqu’il a été enlevé, ses ravisseurs, prétendument des chabbihas, lui ont pourtant fait promettre de quitter son travail. Il a été relâché uniquement après avoir accepté, et une fois, bien entendu, que sa famille ait délivré une rançon. Frustrée, la cadette nous confie que malgré cet épisode, son amie soutient toujours la rébellion.

L’aînée, elle, dénonce la propagande subie par les enfants. En tant que professeure d’anglais dans une école primaire locale, elle sait de quoi elle parle : « […] Toute mon autorité est sapée. » Elle parle de ces enfants qui vont et viennent dans la salle de classe comme ils le souhaitent, prétendant aller dans des manifestations. Ou encore de ceux qui chantent des chants anti-Bachar al-Assad pendant les cours. « Je suis obligée de fermer les yeux […] ou on risque de me cataloguer comme anti-révolutionnaire… » nous dit-elle, dépitée.

Vivre avec la propagande

Enfin, la famille dénonce les informations fallacieuses qui circulent sur les agissements du régime. Et sur ce point, l’équipe Global Post est bien obligée de leur donner raison, ayant assisté à un exemple probant le lundi 23 juillet. La télévision pro-rébellion a ainsi indiqué que les corps de 20 hommes de la ville, détenus par le gouvernement, avaient été retrouvés, mains attachées et gorge tranchée.

Mais les corps, attendus à la morgue par les familles et les combattants rebelles, n’y sont jamais arrivés. Puis, il a commencé à filtrer que le journaliste avait confondu Ariha avec une ville voisine. Enfin, il s’est avéré que la nouvelle était purement et simplement fausse. La chaîne de télévision responsable n’a ensuite jamais daigné corriger son erreur.

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Mais les filles de la famille ont d’autres cas en tête. Elles se rappellent ainsi avoir assisté à l’enterrement d’un ami dans la ville d’Idlib, qui était décédé d’un cancer. Des journalistes présents dans la ville ont commencé à s’approcher des lieux des funérailles. Se rendant compte de leur présence, la foule de proches et d’amis, majoritairement pro-rébellion, ont commencé à chanter « comme si [leur ami] avait été abattu par l’armée. »

La mère, elle, parle d’un commerçant de sa connaissance, partisan de la rébellion soit dit en passant, qui s’est retrouvé au milieu d’un échange de tirs entre militaires et rebelles. Il aurait été accidentellement tué par un insurgé au cours des combats. Le lendemain, il était inhumé comme un martyr assassiné par le gouvernement.

« Il était avec eux et ils l’ont tué par erreur ! Comment peuvent-ils décemment le traiter comme un martyr ? » nous demande-t-elle. « Ils font comme s’ils pouvaient prendre toutes les latitudes possibles avec le droit et la justice. »

Pour autant, la famille n’est pas dupe de la propagande, d’un côté comme de l’autre. Ainsi, la fille aînée nous déclare à propos des massacres prétendument commis par les troupes gouvernementales : « Je ne vais pas essayer de vous raconter ce qui se passe à Homs ou à Damas […]. Je vous parle uniquement de ce qui se passe dans ma ville, de ce que j’ai pu vérifier de mes yeux. »

Global Post / Adaptation Charles El Meliani pour JOL Press

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