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La tension monte à la frontière entre l’Égypte et Israël

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Insécurité croissante à la frontière israélienne

L’insécurité et les attaques sur la police et l’armée sont de plus en plus fréquentes dans la région du Nord-Sinaï, en Egypte, un repère stratégique qui borde les frontières à la fois d’Israël et de la Bande de Gaza.

Au début du mois, des hommes armés ont tué un ouvrier de construction israélien sur la frontière égypto-israélienne. En mai, des tireurs de roquette masqués ont lancé une grenade sur un point de contrôle du Nord-Sinaï, blessant deux soldats, selon un média local. Mais des témoins bédouins, dans des propos rapportés à Global Post, affirment que les deux soldats auraient été tués, non blessés.

Un point de contrôle de l’armée et de la police à Rafah, qui longe la frontière avec Gaza, a été attaqué plus de 20 fois – par des bédouins armés, mais aussi par des Islamistes radicaux – depuis la chute de Hosni Moubarak l’année dernière, a constaté le Ministère de l’intérieur égyptien.

Des causes socio-économiques latentes

Selon l’Initiative Egyptienne pour les Droits personnels, qui encadre les incidents de sécurité dans le Sinaï et partout dans le pays, le désert n’a jamais été le théâtre d’autant d’attaques sur les forces de sécurité par des citoyens et militants que cette année.

« La tendance dans le Nord-Sinaï est aux confrontations armées perpétuelles avec la police, »  explique Karim Medhat Ennarah, le chercheur en sécurité de l’organisation. « La plupart d’entre eux [les attaquants] sont des bédouins frustrés par [le manque de reconnaissance de] l’Etat et les règles de sécurité. La police fait les frais de n’importe quelle politique économique et sociale [ici]. »

Les trafics clandestins avec Israël et Gaza

Economiquement et socialement négligés par le gouvernement égyptien depuis que la péninsule du Sinaï a été rétrocédée à l’Egypte en 1982, à la suite de l’accord de paix avec Israël (1979), les bédouins du Nord-Sinaï – à la culture et au dialecte distincts de l’Egypte centrale – ont été contraints de faire leur entrée dans le marché noir pour gagner leur vie.

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Beaucoup de jeunes hommes de la région pratiquent le trafic de drogue ou humain vers Israël, et font transiter des armes ainsi que des éléments de construction, supposément iraniens, à Gaza, qui subit un blocus économique draconien depuis l’enlèvement du soldat israélien Gilad Shalit par le Hamas en 2006. Un blocage qui s’est encore renforcé avec l’élection du parti Islamiste, en 2007.

La région, délaissée par les autorités, doit être une priorité du nouveau gouvernement

Le manque de développement, les mauvaises infrastructures, la marginalisation politique des bédouins qui représentent environ la moitié des 340 000 habitants de la région nourrissent la colère et la révolte des habitants.

Hamdy Mohamed Ismail, le chef du bureau politique des Frères Musulmans à Ismaila, une province allant du Nord-Sinaï à l’Egypte centrale, reconnaît l’urgence de la situation. Il affirme que Mohamed Morsi, le nouveau président élu, et le Parti de la Justice et de la Liberté ( organe politique des Frères Musulmans ) ont fait de l’investissement au Sinaï, surtout dans le secteur agricole, l’une de leurs priorités économiques.

« Le chômage est le problème majeur qui contribue à l’insécurité ici, » affirme Ahmed, un capitaine de la police d’Al-Arish, la capitale du Nord-Sinaï.

Mohamed Morsi, président fantoche ?

Mais Morsi, dont les pouvoirs ont été réduits à des poussières par les généraux au pouvoir en Egypte, quelques jours seulement après l’élection présidentielle au début du mois, ne peut même pas nommer un ministre de la Défense ou de l’Intérieur – et risque de n’avoir peu, si ce n’est aucun, contrôle sur les politiques de sécurité au Sinaï. En conséquence, certains craignent que la situation ne se mette à empirer, menaçant de remettre en question la relative stabilité qui avait prédominé dans la région, en particulier entre l’Egypte et Israël, ces trois dernières décennies.

Des forces de sécurité de plus en plus inefficaces

Après que les protestants – beaucoup d’entre eux étant des bédouins armés, traditionnellement exclus des forces de sécurité – aient évincé les agents de police et de sécurité de leurs postes au Nord-Sinaï pendant la révolte populaire qui a chassé Hosni Moubarak l’année dernière, l’armée au pouvoir en Egypte a déployé des troupes additionnelles pour renforcer les forces de l’ordre et couper court aux agitations croissantes.

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Mais en juin, pas un seul policier n’a été en patrouille dans les rues de Rafah. Au lieu d’accomplir leur travail, les Forces de Sécurité Centrales – la police anti-émeutes d’Egypte – se terrent dans leurs barrages ultra-surveillés, encerclés de barbelés, aux extrémités de la ville.

Des véhicules militaires blindés escortent désormais la police anti-émeutes de leurs quartiers vers des points de contrôle de l’armée, répartis sur la principale autoroute de la zone.

Les bédouins locaux veulent du changement réel

« C’est impossible que la police redevienne comme avant, » pense Abu Ashraf, un bédouin, chef de l’un des principaux clans de la région, et représentant politique informel des tribus désaffectées.

Ses amis et sa grande famille l’appellent  le « Che Guevara du Sinaï » pour plaisanter, tant son rôle fut important pour mobiliser les bédouins lors de la révolte de 18 jours.

« S’ils reviennent et que rien n’a changé, » poursuit Abu Ashraf, « nous ferons quelque chose d’encore plus grand que la révolution. »

Le Nord-Sinaï, déserté, est livré aux mains des trafiquants  

Sur les routes non pavées, que le vent fort du désert balaye, allant de l’est à Al-Arish jusqu’à la frontière de Gaza à Rafah, les quelques points de contrôle bien équipés s’éclipsent les uns après les autres.

C’est un désert aride, de sable blanc, de dunes, de mosquées, et d’ostentatoires manoirs de style païen, construits par la nouvelle classe aisée de trafiquants de Rafah. Il n’y aucune trace du gouvernement là-bas.

« Est-ce que vous voyez ce soldat ? » demande Mohamed, 27 ans, de sa Mercedes, montrant du doigt la dernière troupe militaire stationnée au-dessus d’un tank, à la lisière d’Al-Arish.

Le soldat, au visage poupin, lisait tranquillement à l’ombre d’un parasol avec des fleurs bleues et roses. « Comment peut-il faire la guerre ? » poursuit Mohamed. « Rien n’a changé ici depuis 30 ans. Tout ce qui s’est produit au Sinaï, c’est grâce aux gens, pas avec l’aide du gouvernement. »

Heba Habib  ( Le Caire, Egypte ) a contribué à cet article.

Global Post / Adaptation Annabelle Laferrère – JOL Press

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