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Les Algériens boudent les célébrations du cinquantenaire

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L’Algérie voit les choses en grand pour célébrer le cinquantième anniversaire de son indépendance. Si grand que les Algériens eux-mêmes jettent un regard suspicieux sur une célébration démesurée qui ne leur appartient plus.

Les festivités du gouvernement n’inspirent pas le peuple

Le gouvernement algérien n’a pas ménagé sa peine ni ses moyens pour organiser une célébration qui se déroulera sur une année entière, du 5 juillet 2012 au 5 juillet 2013.

Pour un budget tenu au secret, les festivités ont démarré dès le 4 juillet au soir, par l’organisation d’un « méga-show » musical de 20 minutes, à l’ouest d’Alger, commémorant l’évolution de l’Algérie à travers plusieurs millénaires sous le slogan « les bâtisseurs de la gloire ».

800 personnes sur scène pour un spectacle diffusé sur toutes les chaînes nationales.

Pourtant, à peine entamées, les festivités reçoivent déjà un accueil peu chaleureux auprès de la population. En cause : le budget, l’organisation, le sens.

La facture sera réglée par les Algériens

Une enveloppe budgétaire qui a été strictement et volontairement tenue secrète par le gouvernement. Certains détails ont pourtant filtré, provoquant la colère et l’indignation de la population. On parle d’une somme de 2 milliards d’euros, selon les chiffres du Figaro. Un faste que même le cinquantenaire de l’indépendance ne nécessite pas, selon de nombreux Algériens.

« Les sommes sont colossales, même s’il faut marquer le coup. L’Algérien moyen pense qu’il s’agit d’argent jeté par les fenêtres et qu’il aurait mieux valu l’investir sur quelque chose de plus pérenne qu’un feu d’artifice », explique Hamid Saidani, journaliste pour le quotidien Liberté à France 24.

Les honoraires de la chanteuse Elissa Khoury, invitée pour la modique somme de 9,5 millions de dinars (environ 96 000 euros), selon le quotidien Dernières nouvelles d’Algérie, est au cœur de la polémique. Dans un pays ou les acteurs, chanteurs ou autres artistes ont le même statut qu’un employé de l’administration, l’affaire ne passe pas.

Un artiste, c’est d’abord un fonctionnaire

Kamel Daoud, pour le magazine Algérie Focus, s’en prend ainsi aux folies dépensières des autorités : « Le sujet du cachet des superstars […] ne se pose pas au Maroc, en Tunisie ou ailleurs où l’on trouve normal de payer une star et de bien payer. Ici, non. On se plaint à la fois du désert culturel et de loisirs inexistants mais on veut que les artistes soient des salariés des Chemins de fer. L’Algérie est un pays où la culture n’est pas encore un marché et une économie et un show-biz. Du coup, payer un artiste par cachet est invraisemblable puisque « naturellement » il est un fonctionnaire, pas une exception. »

Il n’est pas le seul, au sein même du gouvernement, le principe de dépenser une telle somme dans un concert apparaît comme une injustice faite au peuple. La ministre de la Culture, Khaled Toumi, lors d’une conférence de presse, le 26 juin dernier, n’a pas hésité à révéler le fond de sa pensée. « L’argent public va être utilisé pour payer une chanteuse qu’on ramène de l’étranger – et je n’ai rien contre l’étranger – à 9,5 millions de dinars. Je sais que la Banque d’Algérie ne donnera jamais le quitus pour une telle opération. Alors comment cela va être réglé ? » interroge la ministre, citée par le quotidien El Watan.

Une célébration qui verse dans le néo-stalinisme

Au-delà du budget, c’est le fond de la célébration elle-même qui est remis en cause. Pour les Algériens, l’indépendance se fête traditionnellement dans la rue, drapeaux aux fenêtres.

Aujourd’hui, pour ce cinquantième anniversaire, la population se sent exclue. Leurs fêtes populaires ont été remplacées par de grandes manifestations impersonnelles. C’est la célébration du gouvernement et non celle du peuple. Selon Kamel Daoud, « les festivités, leurs programmes, ont tellement été tenu au secret du gouvernement et de ses ministres que cela a fini par créer un effet d’exclusion : les Algériens ne se sentent pas invités, concernés ou associés. »

L’éditorialiste va encore plus loin et s’attaque aux ambitions « néostaliniennes » du gouvernement organisateur. « Rien pour les villages, douars, hameaux. La fête reste étatique, folklorique, subventionnée. On est loin de ces moments perdus où les vieux accrochaient le drapeau du pays au seuil des maisons, spontanément il y a à peine vingt ans. »

Du faste pour cacher l’échec de l’indépendance ?

Finalement, le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, qui commémore la proclamation du 5 juillet 1962, prend une tournure de rassemblement autour du « Petit père des peuples » incarné par le président Abdelaziz Bouteflika.

Faycal Métaoui, journaliste pour le quotidien El Watan, s’indigne également devant ce « stalinisme » déguisé. Interrogé par France 24, il explique : « les avis sont partagés sur ces festivités, mais beaucoup redoutent qu’elles ne versent dans le folklore stalinien. D’ailleurs certains discours d’autopromotion et de glorification du pouvoir, relayés ces derniers jours par les médias publics, me font croire que cela a déjà commencé. »

Une politique de l’autoglorification pour masquer 50 ans d’échec du pouvoir ? C’est ce que semble croire Kamel Daoud. Selon lui, le gouvernement s’accapare une fête populaire pour éviter le jugement du peuple, car « il sait que cinquante ans d’indépendance sont une occasion pour un procès dur du régime plus qu’une occasion pour anniversaire collectif. »

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