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Les révolutionnaires seront-ils les grands perdants?

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Alors que les Frères Musulmans ont à la fois remporté les élections parlementaires (désormais annulées) et présidentielles, et que l’armée s’agrippe toujours au pouvoir, les jeunes révolutionnaires à l’origine du Printemps égyptien semblent être les grands perdants de la chute du régime de Hosni Moubarak. Victimes d’arrestations injustifiées, soumis aux procès militaires, certains activiste  payent le prix fort. Cependant, le président élu Mohamed Morsi semble leur tendre la main en promettant vouloir former une coalition avec un premier ministre indépendant. Une décision qui pourrait bien leur donner la place qu’ils méritent dans l’archipel politique.

L’optimisme des débuts de la révolution

Quand j’ai rencontré Mahmoud El-Hetta au Caire pour la première fois, seulement deux semaines après la chute de Hosni Moubarak en février 2011, il arborait un air d’optimisme. Son euphorie était presque palpable, lorsqu’il entra dans un café au cœur du Caire, à un bloc seulement de la place Tahrir, à demi-vêtu d’un T-shirt représentant le leader spirituel de la révolution, ancien directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et prix Nobel de la Paix en 2005, Mohamed El-Baradei, transformé en personnage de bande-dessinée, muni de ses iconiques lunettes.

Les rues du centre-ville étaient emplies du même enthousiasme, une foule de gens clamant énergiquement leurs espoirs pour les jours à venir et brandissant leur drapeau national. Hetta faisait partie des jeunes pionniers qui croyaient en la révolution. N’était-il pas membre de l’Association Nationale pour le Changement, fondée en 2010 par El-Baradei, qui était peut-être la seule figure publique à avoir prédit un tel soulèvement populaire ?

Le visionnaire El-Baradei, futur premier ministre ?

Lorsqu’El-Baradei menaçait de se présenter à la Présidence un an avant la révolution, un effort pour revigorer l’activisme politique, il avait été ridiculisé par une population qui était encore apathique politiquement. Mais Hetta et des milliers – si ce n’était des millions – d’autres jeunes gens croyaient en la vision d’El-Baradei et ont surpris tout le monde lorsqu’ils ont renversé le dictateur en l’espace de quelques semaines.

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S’il est vrai que celui qui a incarné la figure de la révolution n’est pas allé jusqu’à se présenter à l’élection présidentielle, son ambition politique  est devenue de plus en plus probable, alors même qu’il pourrait bien devenir le Premier ministre du président Mohamed Morsi, ce dernier souhaitant faire preuve d’ouverture en nommant une « personnalité indépendante. »

L’armée, principal obstacle à la révolution

Aujourd’hui, Mahmoud El-Hetta entre dans le même café avec une démarche bien plus ancrée sur terre, son optimisme ayant laissé place à une détermination plus mesurée. Désormais, les rues du centre-ville regorgent d’officiers militaires, guidant le trafic et tenant des postes de contrôle censés appliquer la loi martiale, décrétée au début du mois par l’armée qui détient le pouvoir, et rapidement abolie par une Cour égyptienne.  

Les événements politiques récents en Egypte – le verdict clément du procès de l’ancien président Hosni Moubarak, de sa famille et des haut-représentants de l’ancien régime, la déclaration de la loi martiale, la dissolution du Parlement, et les amendements à la Déclaration Constitutionnelle qui ont amplifié le pouvoir du Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) – ont définitivement confirmé aux sceptiques que ce qui s’était passé en 2011 n’était en fait pas une révolution, mais plutôt un coup d’état militaire.  

Pour les activistes, le passé ne se reproduira pas 

Mais Hetta ne croit pas que l’Egypte replongera dans la dictature, du moins pas pour longtemps. La jeunesse, affirme Hetta, a finalement compris la réelle signification du changement et continuera à se battre tant qu’un vrai gouvernement civil n’aura pas été établi. Bien qu’ils reconnaissent des imperfections dans la gouvernance des figures et mouvements révolutionnaires, Hetta s’accroche à l’espoir que les hommes politiques auront appris du passé.

La consolidation agressive du pouvoir par le CSFA, constatée ces dernières semaines, et l’élection d’un candidat « non-révolutionnaire, » la figure des Frères Musulmans, Mohamed Morsi, à la Présidence signifie que « l’opposition va se reconstruire sur des bases plus collaboratives, » pense Hetta. « Ils savent désormais qu’ils ne peuvent pas aller de l’avant dans l’état actuel des choses. »

Tout au long des six derniers mois, le CSFA a violemment attaqué les révolutionnaires. Mostafa El-Naggar, un militant pour la démocratie et un membre du Parlement dissout, pense que le CSFA n’a cessé de s’accrocher à son pouvoir « de toute sa force, et ne va jamais se retirer entièrement. »

Les Frères Musulmans, prêts à tout, même à se compromettre

Contre toute attente, les Frères Musulmans, longtemps oppressés depuis le coup d’état militaire de Gamal Abdel Nasser en 1952, auront été d’utiles partenaires à l’armée. Depuis la chute de Moubarak, environ 12 000 individus, principalement des activistes politiques et humanitaires, ont été arrêtés sous détention militaire. Pendant l’automne et l’hiver, le CSFA a pris un tournant plus agressif. Des centaines de personnes ont été tuées lors de protestations tout au long de l’année. Ils ont été écrasés par des tanks militaires, exécutés par des snipers, ou asphyxiés par des gaz lacrymogènes ( produits aux Etats-Unis, soit-dit en passant), ou encore ont été aveuglés par des balles en caoutchouc puis traînés dans les rues. De jeunes fans de football, connus pour leur activisme politique, ont été tués lors d’un match à Port Saïd en février, devant les yeux ahuris de millions de témoins.

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Une étrange alliance entre les Frères Musulmans et le CSFA

Dans une tentative supplémentaire pour cimenter son pouvoir suprême, le CSFA a profité de l’aura des Frères Musulmans, à la fois groupe social influent et pouvoir législatif élu. C’était avec l’aide des Frères Musulmans que le CSFA a réussi à convaincre la population d’accepter que la rédaction de la nouvelle Constitution soit retardée, une décision faite au détriment du bon déroulement de la transition. Ce fut une fois encore avec l’assistance du groupe que le CSFA a détenu et torturé les révolutionnaires, que les médias et le Parlement ont tous décrits comme des « voyous. » Les voix de la révolution ont souvent été étouffées ainsi par les pouvoirs traditionnels.

Le mouvement de la révolution, loin de l’euphorie initiale

Beaucoup de révolutionnaires sont épuisés par les nombreuses batailles qu’ils ont perdues. Un activiste des débuts, Shady Sayed, a récemment quitté le Mouvement du Six Avril, connu pour son rôle dans l’opposition, des années avant la révolution. « C’est fini, la révolution est terminée, » a-t-il déploré alors que le second jour des élections touchait à sa fin. Il n’affichait pas beaucoup d’optimisme après la victoire de Morsi, remémorant des histoires de collaboration entre les Frères et le régime de Moubarak et considérant la gouvernance du CSFA comme un avant-goût amer de la future performance du président.

Parmi les protestations les plus récentes, une manifestation contre la décision judiciaire pour dissoudre le Parlement, prise seulement quelques jours avant les élections présidentielles, n’a pas reçu le soutien escompté.

Laila Soueif, la mère de l’ancien détenu militaire Alaa Abdel Fattah, un symbole de la lutte contre le règne militaire, a manifesté, frustrée. « Il nous aurait fallu au moins un million de manifestants pour empêcher le déroulement des élections, » a-t-elle dit. « Clairement ça ne s’est pas produit. » Malgré tout, Soueif a fini par voter pour Morsi et souhaitait sa victoire car « il serait un président plus faible qui laisserait plus de marge de manœuvre à l’opposition. » Autrement dit, il serait le moins pire, et le plus facile à détourner.

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L’opposition a besoin de temps pour s’organiser

Cependant, Abdelrahman Mansour, le jeune homme qui a provoqué la révolution avec son appel à la révolte le 25 janvier 2011, a réussi à rester optimiste. « Les révolutionnaires sont fatigués, » a-t-il dit, « mais le mur de silence a été détruit et ne peut être reconstruit – nous reviendrons avec de nouvelles stratégies et méthodes d’organisation. »

Mansour prédit même que la réelle révolution prendra place les prochaines années à venir, après que l’opposition ait eu le temps de suffisamment se renforcer pour faire face, à la fois à l’ancien régime et aux Frères Musulmans.

« Ces deux organisations sont vieilles et expérimentées, » explique Mansour, « mais elles sont faibles. Elles n’ont pas d’idéologie forte, rassembleuse et leurs actions manquent souvent de consistance. »

Les révolutionnaires comme levier politique pour les Frères Musulmans

Ancien membre des Frères Musulmans, Mansour a quitté l’organisation peu de temps avant la révolution, car les leaders n’avaient pas réussi à accommoder les points de vue des plus jeunes membres, et se sont satisfaits d’un rôle informel de négociateur avec le régime de Moubarak, souvent pour leur profit personnel.

Dans les jours à venir, les révolutionnaires seront des acteurs cruciaux pour les Frères Musulmans. Par principe, et malgré leur ressentiment face à l’organisation, les jeunes activistes vont sûrement utiliser leur pouvoir de rue pour faire pression sur le CSFA, afin qu’il distribue les pouvoirs avec équité. Si leurs appels aboutissent, les décisions des Frères Musulmans seront cruciales.

Le groupe islamiste a déjà perdu beaucoup de sa popularité, étant critiqué pour ne pas avoir apporté de changement réel et pour ses positions sans aucune éthique et souvent hypocrites. Si les représentants de l’organisation continuent à agir par pur intérêt, cela va nuire au potentiel déjà en déclin du groupe comme acteur politique crédible et durable du pays.

Quelques lueurs d’espoir pour les jeunes idéalistes

Bien que de nombreux révolutionnaires soient déçus de l’état politique actuel de leur pays, le fait est que l’Egypte d’aujourd’hui est différente de l’Egypte d’il y a deux ans. La population égyptienne a réussi à faire tomber un pharaon ; elle a empêché Gamal Moubarak ( le fils d’Hosni Moubarak ) d’hériter de la présidence, et elle a élu un nouveau leader dans des élections plutôt justes. Les citoyens prennent désormais conscience que la politique a un impact énorme sur leur vie quotidienne, et que l’apathie n’est pas une option. Ils sont désormais entièrement au courant de leurs droits et ne sont pas prêts à les abandonner.

Le régime militaire et les Frères Musulmans sont des institutions qui ont des décennies, dominées par la voix d’anciennes générations et mentalités – leur âge d’or appartient au passé. Dans les années à venir, une jeunesse impliquée politiquement, de part et d’autre du pays, deviendra peut-être de plus en plus expérimentée et influente, laissant présager que le changement qu’elle recherche n’est qu’une question de temps.

Global Post / Adaptation Annabelle Laferrère – JOL Press

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