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Défections : quelles conséquences pour le régime?

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Qui est Riad Hijab ?

Riad Hijab n’est que le dernier déserteur en date du régime syrien. Premier ministre depuis juin 2012 – il y a deux mois seulement -, il avait été nommé au lendemain des élections législatives boycottées par l’opposition. Il aurait d’ailleurs, si l’on en croit cette dernière, déserté en compagnie de deux ou trois autres ministres du gouvernement.

Côté gouvernement, on affirme que Riad Hijab a déserté après avoir été démis de ses fonctions par Bachar al-Assad, que les services de sécurité avaient prévenu d’une possible trahison du ministre.

La désertion d’un Premier ministre, théorique numéro 2 du régime, apparaît évidemment comme un coup dur pour Bachar al-Assad. Mais qui est réellement cet homme ? Car, dans un régime aussi trouble, les titres peuvent à la fois tout dire et ne rien dire.

Prenons par exemple le cas du général Daoud Rajha, l’ex-ministre de la Défense, tué dans l’attentat du 18 juillet 2012. Chrétien, il n’avait dans les faits qu’un pouvoir très relatif sur son ministère. Il devait surtout son poste à sa confession religieuse et à sa fidélité envers Bachar al-Assad. Mais le ministère de la Défense était essentiellement sous l’influence d’Assef Chaoukat, le beau-frère du président, et du général Hassan Turkmani, ex-titulaire du poste et homme de confiance du régime.

Ces deux derniers ont néanmoins également été tués dans l’attentat, ce qui a porté un coup extrêmement dur au régime, cette fois de manière incontestable. Qu’importe, cela illustre qu’un titre ronflant n’est pas nécessairement synonyme de pouvoir effectif dans un appareil d’Etat si bien cadenassé par le clan Assad.

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Riad Hijab est, pour sa part, un relatif inconnu. Sunnite, comme la plupart des chefs de gouvernement syriens, il était ministre de l’Agriculture avant d’être nommé Premier ministre – comme d’ailleurs son prédécesseur. Sa carrière au sein du Baas syrien – de la tête d’une association étudiante au gouvernorat de Lattaquié – laisse toutefois entrevoir le profil d’un homme important pour Bachar al-Assad – Lattaquié est le fief alaouite du Président.

Toutefois, il ne semble pas qu’il ait exercé de responsabilités au sein de la police, de l’armée ou des renseignements. Dans un pays où le politique est clairement subordonné à ces trois branches du pouvoir, c’est important à souligner. L’homme, enfin, est généralement décrit comme peu charismatique, voire même peu brillant. Il devrait principalement son pouvoir à sa fidélité, jusque-là, sans faille.

Que le pouvoir effectif de Riad Hijab ait été grand ou non a certes une importance. Néanmoins, le coup porté au clan Assad est manifeste : qu’un homme de cette envergure ait pu être évacué par l’opposition, avec sa famille, montre bien que la rébellion est encore bien présente au plus près du coeur de l’appareil d’Etat syrien.

Pour les insurgés, le coup est réussi : au mieux, ils ont décapité le gouvernement. Au pire, ils ont réussi une opération à haute portée symbolique et ont montré à Bachar al-Assad qu’ils gardent un fort pouvoir de nuisance, malgré leur situation militaire mal engagée.

Le dernier déserteur en date d’une longue série

Riad Hijab n’est pas le premier à déserter. Plusieurs personnalités d’importance se sont également illustrées en abandonnant le régime syrien, avec des motifs aussi divers que variés. De manière générale, les déserteurs mettent en avant leur rejet des pratiques supposées du régime tandis que le gouvernement accuse ces derniers d’être corrompus par les pétrodollars qataris ou saoudiens.

D’autres considèrent que ces déserteurs craignent tout simplement pour leur vie, surtout depuis que l’attentat du 18 juillet a montré que les rebelles pouvaient frapper en plein cœur du régime. Ou estiment que cela montre que ce dernier se désagrège de l’intérieur et que, tout simplement, les « rats » quittent un navire qui s’apprête à sombrer.

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Jusqu’ici, le déserteur le plus médiatique était le général Manaf Tlass. Officier supérieur de la Garde républicaine – l’élite des troupes loyalistes – il était surtout un ami intime de Bachar al-Assad. Toutefois, il semblerait qu’il était assigné à résidence depuis près d’un an au moment de sa désertion, en juillet dernier, pour cause de trop grande proximité avec la rébellion, ce qui minimise l’importance du coup porté au régime. Il tente actuellement de fédérer l’opposition autour de sa personne, sans grand succès pour le moment.

Al-Jazeera, chaîne qatari et pro-opposition, tient de son côté une infographie mise à jour régulièrement et qui fait état des désertions au sein du régime syrien. A ce jour, on compterait 41 déserteurs « significatifs », dont 26 officiers de l’armée, de la police et des renseignements, 3 membres du gouvernement, 4 parlementaires et 8 diplomates. En proportion, c’est peu, mais cela reste inquiétant pour le régime.

Parmi ces derniers, on compte notamment deux consuls – au Nigéria et en Arménie – et deux ambassadeurs – au Bélarus et en Irak.   

Au rang des désertions davantage symboliques, on peut évoquer ce pilote de l’armée de l’air qui a décidé de se réfugier en Jordanie. Pour ce faire, il a tout simplement « emprunté » un chasseur MIG-21 et s’est posé avec de l’autre côté de la frontière. Plus récemment, c’est le premier cosmonaute du pays, le général Mohammed Faris, qui s’est réfugié en Turquie.

Al-Arabiya, chaîne saoudienne pro-opposition également, a fait état le 6 août de la désertion d’un nouveau général, accompagné de cinq officiers et de trente soldats. Le ministre des Finances aurait quant à lui été arrêté après que les renseignements syriens aient mis en lumière ses intentions de déserter, ce qui a été démenti par le régime. Affaire à suivre.

Ce que cela change

Ces désertions font mal au régime. Tout d’abord parce qu’elles le privent d’hommes compétents, qu’il est obligé de remplacer systématiquement. Et, on l’imagine, pas forcément par des individus plus efficaces. On ignore en tous cas si le clan Assad éprouve de grandes difficultés à compenser ces départs inopportuns, en l’absence de communications sur le sujet, ou même si les déserteurs ont réellement une importance majeure : jusque-là, le noyau dur du clan Assad ne montre pas de signes de division.

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Mais, quand bien même ce ne serait pas le cas, cela reste un important poids en matière de propagande. A l’international, cela envoie des signaux négatifs aux alliés chinois, russes et iraniens du régime, qui peut-être doutent déjà de sa capacité à survivre ou à maîtriser la situation. Au sein même de l’appareil d’Etat, on craint sans doute un effet boule de neige : il n’est jamais bon pour le moral de voir un collègue abandonner le navire. De plus, on est souvent tenté de le suivre.

Chaque désertion augmente d’ailleurs très probablement la motivation de l’opposition, qui, en l’absence de résultats militaires probants, compte sans doute sur un délitement intérieur du régime. De même que pour ses soutiens occidentaux et arabes. De plus, les officiers déserteurs apportent leurs compétences et leur expérience à l’appareil militaire de la rébellion. Et mieux vaut que celui-ci se renforce par le biais d’officiers de l’Armée arabe syrienne que par celui de commandants islamistes étrangers.

Au total, on estime que plusieurs milliers voire dizaines de milliers de soldats ont déserté. Néanmoins, il est probable que ces soldats soient essentiellement des conscrits sunnites, moins bien formés et équipés que les militaires de métier, majoritairement alaouites, qui sont l’élite des troupes syriennes et restent pour le moment loyaux au régime.

D’ailleurs, cette accumulation de désertions n’a pour l’instant pas changé la tournure des évènements sur le front militaire. L’armée régulière a remporté la bataille de Damas, et la présence rebelle dans la ville ne se manifeste plus que par quelques accrochages et attentats ponctuels.

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A Alep, entre 5000 et 8000 combattants insurgés, encore aux prises avec des militaires et policiers réguliers déjà présents sur place et avec des milices chrétiennes et sunnites loyalistes, sont encerclés par 20 000 soldats qui s’apprêtent à lancer l’assaut.

Si, militairement, la situation de l’Armée Syrienne Libre et de la rébellion en général paraît bien mal engagée, les désertions qui se poursuivent malgré les succès tactiques du régime peuvent très bien finir par avoir raison de celui-ci de l’intérieur. C’est sans doute d’ailleurs le grand espoir de l’opposition syrienne.

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