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Les femmes égyptiennes s’interrogent sur l’après-place Tahrir

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Bothaina Kamel et le rêve des femmes égyptiennes

Lorsque Bothaina Kamel a commencé à recueillir des signatures pour devenir non seulement le premier président démocratiquement élu, mais surtout la première femme dirigeant le pays depuis des siècles, tout le monde savait que sa campagne était vouée à l’échec.

Mais qu’importe, là n’était pas l’objectif de la candidate. Elle avait ainsi confié à Global PostJOL Press durant la période électorale : « Nous devons rêver. »

Rêver. Comme les femmes égyptiennes l’ont fait sur la place Tahrir, lorsqu’elles tenaient la main de leurs frères contre la tyrannie du régime d’Hosni Moubarak. Elles ont rêvé d’un monde sans harcèlement, tandis que les rapports de viols et d’agressions sexuelles, de la part des protestataires comme des militaires, continuaient inlassablement de faire surface.

Et alors que certains pensent que les femmes ont trop attendu du mouvement, pointant du doigt les multiples obstacles qui se dressent sur le chemin de leur émancipation -agressions, surveillance gouvernementale, dérision, humiliations, voire exil-, nombre d’entre elles continuent d’espérer d’être équitablement représentées et ne s’arrêteront pas avant d’avoir un rôle décisif dans le pays.

Pour Bothaina Kamel , le climat social de l’Egypte, y compris la question des femmes, est inextricablement lié à son avenir politique incertain. Il est impossible de parler d’un sujet sans se plonger dans l’autre.

Place Tahrir comme référence au début de la révolution

Pour beaucoup, l’atmosphère de la place Tahrir a donné un aperçu de ce que pourrait être l’Egypte. Et, contre toute attente, des mouvements en faveurs des droits des femmes continuent de se développer dans l’Egypte post-révolution.

« On se serait cru à Paris ! » s’enthousiaste Meena Tarek, une militante qui travaille dans la banque. Sally Zohney,  militante également et travailleuse d’ONU Femmes au Caire, approuve : « La relation entre hommes et femmes était telle que c’en était presque surréaliste. Pendant un mois, je n’ai pas eu l’impression d’être une femme. Personne ne m’a regardée comme une femme.

Les lendemains qui déchantent

Mais maintenant, la donne a changé. Après la destitution d’Hosni Moubarak, après l’élection de Mohamed Morsi et des Frères musulmans à la présidence, après la dissolution par l’armée d’un Parlement qui ne comptait déjà que 8 femmes sur 500 sièges, la situation des femmes est sans doute encore plus précaire qu’avant la Révolution.

Bien des femmes laïques s’inquiètent du fait que la Première dame d’Egypte porte un voile et que les Frères musulmans et leur avatar institutionnel, le Parti de la Liberté et de la Justice aient démocratiquement pris et le Parlement et la présidence.

De même, on ne sait pas encore si l’armée conservera un peu de son pouvoir et sera en mesure de poursuivre les tests de virginité qu’elle pratiquait sur les femmes révolutionnaires arrêtées, depuis qu’ils aient été jugés hors la loi, à la suite de la plainte d’une victime.

Les femmes égyptiennes face à leur diversité

La fenêtre d’opportunité pour les femmes ouverte par la révolution ne saurait se maintenir éternellement. Il s’agit maintenant de savoir si cette fenêtre va se refermer sans que des progrès aient été faits, ou si des femmes vont réussir à l’ouvrir à la volée pour instaurer une nouvelle ère dans le pays.

Des divergences d’opinion apparaissent en tous cas : les dynamiques de la place Tahrir se sont-elles poursuivies ? Certains parlent d’un retour au statu-quo, d’autres, de l’annihilation pure et simple des utopies, quand la désillusion postrévolutionnaire a pris le dessus.

D’autres ont soutenu qu’une nouvelle ère avait commencé pour les femmes égyptiennes, avec une participation politique plus large et des conversations ouvertes à un davantage de voix.

D’autres encore ont souligné qu’il s’agissait d’une révolution de la classe moyenne urbaine, la majorité de ses composants appartenant aux segments libéraux, non-conformistes, à l’élite de la société égyptienne. En conséquence, la révolution ne fait que commencer à se répandre en dehors du Caire, vers la majorité de la population égyptienne.

Le rôle des médias en question

Mais le mouvement féministe égyptien a une longue histoire derrière lui, une histoire qui a commencé bien avant janvier 2011. Pour beaucoup, ce passé féministe a bien trop été éludé par les médias occidentaux, qui, sans doute quelque peu ignares, se sont à la fois étonnés et émerveillés de voir des femmes participer aux manifestations aux côtés des hommes. Celles-ci ont presque été perçues « comme des aliens » s’indigne Sally Zohney.

Si certaines femmes se sont félicitées de voir que les médias ont accordé une certaine importance dans leurs reportages aux questions liées à l’égalité des sexes, d’autres ont dénoncé que la couverture faite par ceux-ci était somme toute parfaitement superficielle, prenant notamment pour exemple la récurrente référence aux femmes en burqa qui tenaient la main de celles vêtues de jeans.

Mais toutes ces femmes, si différentes soient-elles, partagent une chose. Elles considèrent qu’il faut s’abstenir d’établir des jugements hâtifs, trop optimistes ou pessimistes sur ce que signifie l’état actuel de la politique égyptienne pour elles, et surtout, qu’il faut s’interroger sur le rôle qu’elles doivent tenir dans l’après-insurrection.

Après tout, comme le dit Mozn Hassan, fondatrice et directrice d’un centre d’études féministes, « Tous vos doigts sont différents » Mais tous appartiennent à la même main.

Global Post / Adaptation Charles El Meliani pour JOL Press

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