Site icon La Revue Internationale

Pussy Riot: le hooliganisme, l’outil de la censure russe

7801312680_1ac702a1a2_b.jpeg7801312680_1ac702a1a2_b.jpeg

[image:1,l]

Les Pussy Riot des hooliganes ? La justice russe a jugé que l’action de trois des membres du groupe de musique punk russe, Pussy Riot, dans la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou, il y a cinq mois, relevaient du hooliganisme et non de la contestation artistique (le groupe avait été inculpé pour incitation à la haine religieuse pour avoir appelé la Sainte-Vierge à « chasser Poutine ») . Des charges, rares en Occident, que nous explique Malynne Sternstein, maître de conférences à l’Université de Chicago et spécialiste des pays slaves. 

Quelle est la définition légale du hooliganisme ?

En Union Soviétique hier comme en Russie aujourd’hui, le « hooliganisme » est un crime, défini par l’article 216 du code pénal, comme une « atteinte volontaire à l’ordre public et exprimant un manque de respect explicite envers la société ». Cette définition est large et touche aussi bien au vagabondage, au harcèlement qu’aux grossièretés.

Ethiquement, j’aime à penser à l’« activisme artistique/hooliganisme » comme à n’importe quelle autre provocation qui peut être menée contre l’État. Je pense que le tag est une forme de provocation artistique. Or parce qu’un taggueur ne s’appuie pas sur une réputation d’artiste mais se protège derrière son anonymat, cela signifie-t-il pour autant que son action puisse être qualifiée de hooliganisme ?

Le hooliganisme est-il généralement associé à la protestation artistique ?

Ça a été le cas pendant un long moment. Nous pourrions même étendre cette façon de voir les choses à Diogène de Sinope, philosophe grec de l’école cynique (413 av. JC – 327 av. JC), qui urinait et déféquait en public, agissait de façon grossière et brutale et n’affichait aucun respect pour la hiérarchie sociale. De ce que l’on sait, on pourrait dire que Diogène remettait directement en cause l’ordre établi et pratiquait en somme, aux yeux de la société une forme de hooliganisme.

Je pense que dans un régime répressif – et Dieu, que le régime n’est pas répressif en Russie ! – les actions artistiques à lien politique sont immédiatement placées sous le drapeau du hooliganisme et repoussent progressivement les limites de ce qui est « légal » ou acceptable. Les choses sont aujourd’hui allées si loin qu’il est dur de trouver une action de contestation artistique qui ne puisse être qualifiée de hooliganisme.

[image:2,l]

Comment l’évolution du hooliganisme a-t-elle influée sur la liberté d’expression ?

Question épineuse. Les termes de « hooligan »  et de « hooliganisme » n’ont fait leur apparition qu’à la fin du 19e siècle, en Angleterre et se sont rapidement répandus jusqu’à atteindre la Russie impériale. Le hooliganisme a touché dans un premier temps les livres puis la totalité des formes d’expressions artistiques.

Une fois les lois sur le hooliganisme appliquées aux livres, certains artistes se façonnèrent volontairement à l’image de hooligans – ce qui fut le cas de l’avant-garde russe : jusqu’en 1917, les cubo-futuristes se sont peints eux-mêmes portant des vêtements excentriques et criant sur leur public pour dénoncer l’hypocrisie des mesures et des actions du gouvernement.

Les charges de hooliganisme ont également été retenues par le passé contre le groupe de rock tchèque Plastic People of the Universe. Les charges en question restant très vagues dans leur diffusion, elles peuvent permettre à l’Etat d’éloigner les opposants comme cela a été le cas pour Vaclav Havel.

Pourquoi le hooliganisme est-il puni aussi sévèrement ?

Je pense que c’est la peur qui motive les États dans leur façon de faire. La peur d’une dé-légitimation de leur pouvoir, d’une perte de contrôle. Le problème avec les lois anti-hooliganisme c’est que quelque soit l’État dans lequel elles ont été votées, elles sont vagues et interprétables à volonté. Elles donnent donc toute latitude aux États de décider de la frontière limitant hooliganisme et art.

Où le hooliganisme est-il le plus souvent retenu comme charge ? Dans les ex-pays de l’URSS ?

Oui, très certainement, et même dans les anciens pays satellites, mais aussi régulièrement en Chine et en Iran. Cette façon de faire est contraignante, mais paradoxalement favorable à certains artistes. Après tout avant que ces charges ne soient reconnues contre elles connaissait-on les Pussy-Riot ?

Globalpost / Adaptation Stéphan Harraudeau pour JOLPress

> Retour au dossier : Verdict de la dernière chance pour les Pussy Riot

Quitter la version mobile