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Une visite touristique pour lutter contre les effets du terrorisme

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Un circuit touristique très spécial

Selon Yossi Atia, la rue Jaffa à Jérusalem est la rue la plus frappée par des attaques terroristes au monde.

Cela pourrait bien être le cas. Depuis les années 1960, au moins une douzaine d’attaques significatives s’y sont déroulées.

Bien que la ville se soit depuis étendue dans toutes les directions, que d’autres rues attirent désormais davantage de badauds, la rue Jaffa demeure la plus symbolique en la matière.

Pour partager le sentiment d’histoire et de recueillement qui anime cette artère, Yossi Atia, un artiste de 33 ans vivant à Tel-Aviv mais ayant habité à Jérusalem, a développé un circuit touristique original : « Du traumatisme à l’imaginaire : un tour suivant les attaques terroristes de la rue Jaffa. »

L’homme guide ses touristes avec un discours de rhétorique grandiloquent, muni d’un micro à pince et de l’uniforme classique des guides touristiques israéliens : sandales, chemise à carreaux et short kaki. Dans l’exercice de ses fonctions, il utilise un pseudonyme : Ronen Matalon.

Un artiste moqueur aux motivations troubles

Tout au long du tour, quelqu’un filme. En fait, il faut bien reconnaître que les motifs de Yossi Atia sont plutôt troubles. Jusque-là, l’artiste s’était surtout fait connaître pour son sens de l’ironie et de la satire, et s’était illustré dans de courtes vidéos se moquant des conventions sacrées israéliennes.

Pourquoi cette visite ? Pour rechercher une dimension cathartique dans la communion avec le souvenir des attaques ? Ou bien pour analyser, examiner, disséquer par la suite la réaction des touristes face à la terreur ? Et éventuellement s’en moquer.

Revenons aux vidéos de Yossi Atia. Dans l’une d’elles, il se déguise avec un ami en soldats, et font du porte-à-porte pour récolter de l’argent afin « d’améliorer le bien-être des soldats israéliens ». Une voix-off parle pendant ce temps d’une collecte de fonds pour l’organisation « la plus riche de tout le pays ».

Dans une autre, il décide de mettre en place une fausse frontière israélo-égyptienne en plein milieu de la promenade de Tel-Aviv, et, tandis qu’il joue le rôle d’un réfugié soudanais, il demande à des passants d’imiter des gardes-frontières israéliens et de le maltraiter.

Une visite interactive, mais peu instructive

Dans son circuit, Yossi Atia joue le rôle d’un israélien ayant grandi dans la rue Jaffa dans les années 1990, quand le climat était calme avec « seulement une attaque par an ». Puis, il poursuit son discours en plaçant son personnage pendant la Seconde Intifada, où le quotidien était réglé par la peur d’un attentat.

Lui-même déclare que le but de sa visite est d’être interactive, afin d’amener les gens à parler de ce qui est en fait indicible, inexprimable. A l’angle de la rue Jaffa et de la rue du roi George V, une boulangerie est en train de prendre la place d’une pizzeria. En 2001, un kamikaze s’était fait exploser ici, tuant 15 personnes et en blessant 150.

Un jeune couple âgé d’une vingtaine d’années trouve le tour instructif. Ils considèrent n’avoir jamais connu un temps dénué de « toute cette haine », mise en lumière par la visite.

Josef Shrinzak, un ingénieur du son de 50 ans, est moins emballé : « Il manque un récit alternatif. […] C’est une simple narration vide de tout contenu, les années 90 où tout le monde écoutait Nirvana, les années 2000 où c’était terrible. […] Rien ne colle vraiment et, au final, on n’apprend rien. »

L’absurdité face à la terreur

Itay Maunter est le directeur artistique de la saison de la culture à Jérusalem. Il exprime son avis sur le tour de Yossi Atia, qui semble décidemment poursuivre un autre but que la simple information touristique : « Nous vivons dans un monde où toute initiative artistique a plus d’une facette. Aussi ça ne m’étonnerait pas qu’il cherche à faire quelque chose avec le film. »

Quelque chose comme se moquer ? Il ne semble pas le penser : « Atia ne se moque jamais. Il présente les choses de façon extrême afin de mettre en avant leur absurdité. »

Yossi Atia a lui-même vécu rue Jaffa à une époque. Il pouvait suivre les attaques terroristes à la fois de sa télé et de son balcon. La visite prend une tournure quelque peu fantaisiste lorsqu’il parle, par exemple, de la fille qu’il a embrassée dans une des ruelles attenantes à la rue. On ne sait jamais vraiment, du coup, s’il parle de lui-même ou de son avatar.

Le tour a été inauguré la semaine passée sous l’égide d’une fondation israélienne cherchant à mêler art et politique dans la sphère publique : « Sous la montagne : un festival de l’art publique nouveau » est le nom du grand évènement de l’association.

Pour Itay Maunter, « Atia essaie de montrer que le sentiment de terreur en lui-même est absurde. […] Il veut que nous nous interrogions sur les processus mentaux que nous mettons en place pour revenir à un état normal. Qu’est-ce que le déni, qu’est-ce qu’un processus naturel ? »

Les calculs (ir)rationnels des habitants de la rue Jaffa

Yossi Atia n’était en tous cas pas disponible pour répondre à nos questions après sa visite.

A un moment, il sort une ardoise et commence à dessiner un tableau, constitué de plusieurs variables. Ainsi, en fonction de la date du dernier attentat et du nombre de victimes causées par celui-ci, ce tableau détermine, par exemple, s’il est acceptable d’avoir un rendez-vous galant ou de sortir prendre une bière avec des amis.

Ce tableau, qui semble ridicule au premier abord, est en fait la transcription des calculs que faisaient intérieurement et, malgré eux, les habitants de la rue Jaffa, alors mêmes qu’ils déclaraient faire en sorte de vivre des vies normales. Quant aux touristes et visiteurs, ils ignorent sans doute tout du rôle social de la visite. Et du fait que leur « absurdomètre » a dû sérieusement s’emballer.

Global Post / Adaptation Charles El Meliani pour JOL Press

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