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Un cheikh et un rabbin israéliens réagissent au film polémique

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Un pas vers la réconciliation ?

Un évènement sans précédent s’est déroulé en Israël la semaine dernière

Suite à la publication de « L’innocence des musulmans » – une vidéo considérée comme antimusulmane – et aux représailles meurtrières contre la mission diplomatique américaine en Libye, le rabbin Michael Melchior a publié un communiqué dénonçant à la fois le film et les meurtres.

Cet ancien ministre, ancien membre du parlement israélien et intellectuel public de premier plan (et le fondateur de Mosaica, le Centre de coopération interreligieuse) a voulu transmettre un message d’apaisement.

Quelques heures plus tard, le cheikh Abdullah Nimr Darwish, le chef spirituel du Mouvement islamique en Israël, qui préside le Centre Adam pour le dialogue des civilisations, a répondu à la déclaration de manière très similaire.
Mardi 11 septembre au soir, cet échange est même devenu le débat d’une nation. Ces deux personnalités ont accordé un entretien à notre partenaire Global Post.
 

Interview du rabbin Michael Melchior :

Global Post/JOL Press : Quelle a été votre réaction à ce film ?

Michael Melchior : Je crois que les films de ce genre ne servent qu’à augmenter la haine et la xénophobie. Je crois réellement au sacro-saint principe de liberté d’expression, et au premier amendement de la Constitution américaine. Je pense que c’est une chose essentielle. Mais le premier amendement ne signifie pas que vous pouvez tout dire, tout le temps. Vous avez l’obligation d’utiliser votre tête, votre discernement, et le sens de ce qui est juste et de ce qui est mal. Abuser de la liberté d’expression pour blesser des centaines de millions de croyants à travers le monde ne sert qu’à produire plus de haine, plus de xénophobie et de distance entre les gens. Je condamne cet acte de tout mon cœur. En tant que juif, je vois cela comme une profanation du nom de Dieu. En tant qu’être humain, je vois que cela n’aide pas à la lutte contre le terrorisme, au contraire même, cela permet de l’alimenter.

GP/JP : Et les attaques qui ont suivi ?

Michael Melchior : Inutile de dire que rien ne justifie les assassinats qui ont eu lieu. Il n’existe aucune justification pour le meurtre d’une personne, et encore moins de quatre.

Ce qui a été très émouvant pour moi, c’est que le fondateur du Mouvement islamique, Sheikh Darwish, ait vu la déclaration que j’ai publiée, et ait répondu en disant que l’ensemble du mouvement islamique a été ému par elle. Il a émis une condamnation très forte des meurtres en Libye. Il est évident que je condamne ce qui s’est passé. Mais c’est la réaction du Mouvement islamique qui est si importante. Le fait qu’ils aient réagi avec force est beaucoup plus notable.

L’ambassadeur, soit dit en passant, a servi ici, à Jérusalem. Je l’ai rencontré, et ce que je veux dire, c’est que c’est une personne qui a non seulement servi les États-Unis, mais également le peuple libyen. Il a donc combattu pour la liberté, mais c’est presque hors de propos.

GP/JP : Qu’est-ce que cela souligne sur l’état des relations entre l’islam et l’Occident ?

Michael Melchior : La religion est la plus grande et la plus importante ONG dans le monde, que cela vous plaise ou non. Le XXIème siècle voit cette influence grandir de plus en plus. La véritable question, c’est de savoir si cette influence est violente, ou si elle menace l’humanité. Ou est-ce que cette influence est quelque chose qui peut donner la vie, et l’espoir de construire un avenir pour l’humanité. C’est une question sans réponse. À l’heure d’aujourd’hui, nous pouvons encore aller dans les deux sens. Et la réponse est vraiment entre nos mains.

GP/JP : Comment éviter de telles tragédies à l’avenir? Que pouvons-nous faire pour accroître la tolérance et la compréhension des deux côtés?

Michael Melchior : Eh bien, nous travaillons ici pour créer le type de coalitions qui pourraient aider. J’espère que nous pourrons être à l’origine d’un changement de paradigme. Le temps est venu.

Regardez le petit exemple d’aujourd’hui : un rabbin et un mouvement islamique vous ont donné un avant-goût de ce qui peut être fait. Je pense que c’est possible, et je sais que c’est à la portée de nos mains. Si nous abandonnons la discussion, nous laissons un vide, et nos ennemis s’empresseront de remplir ce vide. Et ce genre de films continuera de sortir.

GP/JP : Pensez-vous que les pluralistes et les modérés ont la responsabilité d’être plus audibles ? De se faire entendre par plus de gens ?

Michael Melchior : Bien sûr! Et cela dépend en grande partie de ce que les chefs religieux décident de faire. Je suis de ceux qui pensent que le temps est venu d’assumer ses responsabilités pour les dirigeants de toutes les religions. Pas seulement les jours de fête où il faut porter un beau chapeau. Pas seulement lors de ces conférences où l’on parle de paix et de miséricorde, avant de continuer à s’entre-tuer une fois à la maison. Je ne parle pas de ça !

Je parle de prendre des mesures très courageuses, y compris au sein de nos propres communautés, et de rester ferme contre les instigateurs et les haineux. Ils doivent être prêts à se lever et à faire face aux civilisations dans lesquelles nous vivons, et prendre ce combat très au sérieux. Et quand je dis « courageux », je parle de s’unir et de créer des coalitions nécessaires. Commencer par-là, peut-être ici, à Jérusalem, et donner un peu d’espoir pour l’avenir de l’humanité.
 

Interview du cheikh Abdullah Nimr Darwish :

GP/JP : Quelle a été votre réaction à ce film ?

Abdullah Nimr DarwishJ’ai pensé que c’était encore un autre exemple de ce nous voyons trop souvent aux États-Unis ou en Europe, où quelqu’un a utilisé le concept de « liberté de parole » pour attaquer les musulmans et les Arabes. Ce n’est pas une bonne chose. J’espère que nous ne sommes pas les seuls à être indignés. J’espère que les personnes qui travaillent à l’amélioration des relations entre les USA et le monde arabe, et qui se réjouissaient du Printemps arabe, le sont également. Après un tel soutien, c’est affligeant de voir ces bêtises recommencer.

GP/JP : Et les attaques qui ont suivi ?

Cheikh Abdullah Nimr Darwish : De là à aller brûler des ambassades. Je suis autant outragé par ces meurtres que par ce film.
 

GP/JP : Qu’est-ce que cela souligne sur l’état des relations entre l’Islam et l’Occident ?

Abdullah Nimr Darwish : Il n’y a pas de problème entre l’islam et Occident ! Pardonnez-moi, mais vous, les journalistes, devriez dire cela aussi. Il n’y a tout simplement pas de problème entre l’islam et l’Occident. Comment peut-il y avoir un problème entre un milliard et demi de personnes – dont beaucoup ont une foi profonde et vénèrent Mahomet et vivent en Occident – et l’Occident?

J’ai entendu le président Obama et la secrétaire d’État Hillary Clinton dire ça lorsqu’ils étaient en Libye. Que ce qui s’était passé n’était pas la faute d’une minorité uniquement. Le peuple libyen continuera de s’opposer contre ce genre d’attitudes profanes. Mais je le répète, je m’oppose autant à l’insulte à Mahomet et aux musulmans qu’à cette attaque brutale.

GP/JP : Comment éviter de telles tragédies à l’avenir? Que pouvons-nous faire pour accroître la tolérance et la compréhension des deux côtés ?

Abdullah Nimr Darwish : Au nom du Centre Adam pour le dialogue des civilisations que je dirige, j’aimerais faire une déclaration aujourd’hui.  J’espère sincèrement que le leadership américain va explicitement exprimer le fait qu’ils sont pour la liberté d’expression, mais que, dans ce cadre, il y a des lignes rouges à ne pas dépasser. Il faut le dire : Les livres saints et les prophètes font partie de ces limites. Pourquoi provoquer un conflit entre un milliard et demi de personnes et le reste du monde? Pourquoi? Qui a-t-il à y gagner ?

Si j’étais à la place d’Obama, je dirais à ces gens qui veulent salir les religions, de ne pas le faire aux États-Unis. Ils ne devraient pas permettre à quiconque de créer des conflits ou de détruire les bonnes relations entre le monde arabe et l’Amérique. Surtout pas après le Printemps arabe et la bonne volonté qui l’a engendré.

GP/JP : Pensez-vous que les pluralistes et les modérés doivent se faire plus entendre ?

Abdullah Nimr Darwish : Oui ! Mais pas seulement. j’ai parlé avec Melchior et avec certains cheikhs aujourd’hui. Nous sentons tous que nous n’avons pas fait assez pour faire entendre notre voix. Nous devons être partout, à chaque coin de rue, dans chaque association, à la mosquée… Écrivez bien cela : nous devons faire entendre notre voix très, très, très fort.

Global Post / Adaptation Henri Lahera pour JOL Press

 

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