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Comment la gauche peut concilier justice sociale et crise économique

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Nous connaissions Les Droites en France de René Rémond, considéré comme l’un des travaux les plus importants de la science politique française. Il a désormais sont pendant à gauche avec le livre de Jacques Julliard, qui pourrait bien devenir lui aussi un livre de référence : Les gauches françaises : 1762-2012 : Histoire, politique et imaginaire.

Première synthèse sur les gauches françaises

Ce livre est la première synthèse sur les gauches françaises, du XVIIIe siècle à nos jours, des philosophes des Lumières à François Hollande. Il montre ce que la gauche a retenu de chaque période historique : l’idée de progrès du XVIIIe siècle finissant, les droits de l’homme de la Révolution, le parlementarisme de la monarchie censitaire, le suffrage universel de 1848, la laïcité de la IIIe République, la civilisation du travail du Front populaire, la patience du pouvoir de François Mitterrand.

Pour finir, il distingue quatre gauches : libérale, jacobine, collectiviste, libertaire. L’arrière-plan intellectuel de chaque période est éclairé par des « portraits croisés », de Voltaire et Rousseau en passant par Robespierre et DantonLamartine et HugoClemenceau et Jaurès, jusqu’à Sartre et Camus, et enfin Mendès France et Mitterrand… Une vision à la fois historique et anthropologique.

Extraits de Les gauches françaises de Jacques Julliard

L’élection d’un homme de gauche, François Hollande, à la présidence de la République, due pour partie au rejet de la personnalité de Nicolas Sarkozy autant que de sa politique, doit être considérée comme une surprise, à contre-courant des tendances générales qui se font jour en Europe. C’est une élection de crise et non de prospérité. Une des principales difficultés auxquelles va se heurter le nouvel élu, c’est l’inconscience dans la population de l’étroitesse de sa marge de manœuvre.

Voilà donc François Hollande, connu pour son pragmatisme, contraint par les circonstances de se faire l’initiateur d’une social-démocratie de troisième génération.

La première, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, a mené à travers l’action syndicale, la grève et la législation sociale, un combat victorieux pour tirer du capitalisme un partage plus équitable de la plus-value et l’organisation de la prévoyance sociale.

La deuxième, celle des Trente Glorieuses, a bénéficié de ces acquis et du recul des positions du capitalisme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le nouveau rapport de forces, plus favorable aux salariés, a permis l’installation d’un système mixte de gestion de l’économie, une cogestion où le patronat, l’État et les syndicats étaient partenaires obligés. Mais lorsque la prospérité a pris fin, cette politique a périclité et la politique contractuelle s’est transformée en adhésion implicite à la logique néolibérale.

Aujourd’hui, une social-démocratie de troisième génération paraît devoir s’imposer. Quittant leur neutralité politique, les « managers », autrefois symboles d’une entreprise donnant la priorité à son utilité sociale, ont rejoint le camp du capitalisme financier en participant, à titre personnel, à la confiscation d’une part croissante des profits.

La social-démocratie de troisième type est contrainte de reprendre le combat des origines pour une répartition plus juste, au profit des salariés, des fruits de la croissance. Comment concilier la vocation redistributive de la social-démocratie avec les contraintes de la conjoncture : poids de la dette, déclin industriel de la France, concurrence des pays émergents ? La logique de la réindustrialisation appelle une politique de l’offre. François Hollande est donc condamné à un équilibrisme difficile.

Ses chances de réussite, froidement évaluées, sont nettement inférieures à ses risques d’échec. Les premières dépendent de sa capacité à convaincre le capitalisme que son intérêt est de revenir à une politique contractuelle et à des concessions salariales ; elles dépendent aussi de la cohésion interne de la gauche, c’est-à-dire d’un compromis historique entre son aile gouvernementale et son aile radicale.

Ici se termine le travail de l’historien. Le reste relève du conjoncturisme politique, et du rapport nouveau qui est en train de s’installer entre gouvernants et gouvernés, sous l’égide de ce nouveau Léviathan : l’opinion publique.

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