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«L’Europe, c’est la paix», la précieuse leçon des Nobel

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Vendredi 12 octobre à 11 heures – heure de Paris. Le comité Nobel norvégien décerne le prix Nobel de la paix à… l’Union européenne. Le parti pris de Franck Guillory.

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Nicolas Sarkozy avait très justement estimé que les petits Français gagneraient à lire la lettre du jeune résistant Guy Môquet, victime de la barbarie nazie. Et bien, les yeux dans les yeux, je vous le dis – et vous mettrez cela sous le compte, dirons-nous, d’une émotion mal contenue ou, plutôt, d’un excès d’Hymne à la joie -, moi Président, je leur ferais lire – et même apprendre par cœur – un texte du président du comité Nobel norvégien aux Français, petits et même un peu plus grands…

Comparaison n’est pas raison et il est bien évident que je ne saurais soutenir une équivalence entre le « Guy Môquet » et le « Thorbjoern Jagland », mais c’est une lecture utile pour quelques rappels historiques indispensables que le discours qu’a prononcé le secrétaire général du Conseil de l’Europe – et président du comité Nobel norvégien – ce vendredi 12 octobre à Oslo :

« Le comité Nobel a décidé que le prix Nobel de la paix pour 2012 sera attribué à l’Union européenne (UE). L’Union et ses ancêtres contribuent depuis plus de six décennies à l’avancement de la paix et à la réconciliation, la démocratie et les droits de l’homme en Europe ». S’en suit un des plus simples – et des plus remarquables – hommages à cette aventure si longtemps utopique, l’unité du continent européen, l’union européenne.

« Union européenne » ou « union européenne »

Aurais-je oublié une majuscule à la fin de la phrase précédente ? Je ne le crois pas. Alors que les eurodolâtres ou convaincus triomphants – parmi lesquels je me compte, fièrement, sans honte – ne se sentent plus de joie, les sceptiques du continent tout entier s’unissent pour pousser des cris d’orfraie contre le geste des Nobel, la trahison norvégienne… Tous les maux, tous les vices de l’Union, de Bruxelles, Strasbourg et Francfort réunis sont convoqués d’urgence – jamais trop loin – pour dénoncer la trahison nobélienne : l’UE affame les peuples, menace la démocratie, tue en Libye, laisse tuer en Syrie… l’UE fait la pluie et le mauvais temps, partout, tout le temps !

Peut-être, faut-il voir ici un malentendu qui reposerait sur un contre-sens – à moins que je ne prenne encore mes désirs europhiles pour la réalité… Évidemment, le comité Nobel a attribué formellement le prix Nobel de la paix 2012 à l’Union européenne (Petite remarque : on imagine le casse-tête à Bruxelles pour savoir qui ira récupérer le prix début décembre, qui ? Barroso, Van Rompuy, Schultz, Draghi… et pourquoi pas Angela, main dans la main avec François, ou les 27 en rangs d’oignons… et qu’adviendra-t-il du petit million d’euros de prix ? ). Le prix Nobel de la paix, comme tous les prix Nobel, ne saurait être attribué qu’à un individu vivant ou à une organisation… et non à une idée. Mais, en réalité, c’est bien à une idée que songeaient, aujourd’hui, les Nobel. Ce prix Nobel 2012 va, au-delà de l’Union européenne – de ses aléas conjoncturels et du jugement politique que les uns ou les autres sont en droit de porter dans le cadre d’un jeu démocratique en perpétuel devenir – : à l’union européenne, à la construction européenne, à la lente procession vers l’unité politique, économique, sociale, culturelle… de l’Europe. Et cette idée, les seuls susceptibles de l’incarner ce sont les Européens, tous les Européens, chacun d’entre nous, dépositaires à parts égales d’un peu de ce rêve et responsables de la poursuite de sa transmission.

« L’Europe, c’est la paix »

Elle est importante, cette déclaration de « Thorbjoern Jagland », car celui-ci y rappelle des évidences : au fil de sa remontée du temps européen, de l’entre-deux-guerres jusqu’aux perspectives actuelles, il cite quelques-uns des miracles réalisés par cette idée, notre utopie… la réconciliation franco-allemande, l’unification des deux Europe de part et d’autre des ruines du rideau de fer, le dialogue aux Balkans…

« L’Europe, c’est la paix »… Au fil du temps, alors que s’éloignent en direction de l’Histoire les horreurs du XXème siècle et avec elles les derniers témoins oculaires, l’argument porte peu, de moins en moins.

Avouons-le, il y a vingt ans déjà, lorsque François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing, chacun dans leur camp, avaient fait de l’argument – « L’Europe, c’est la paix » –  l’alpha-béta de leur seul combat commun – le « oui » au référendum portant ratification du Traité de Maastricht -, le boulet de la défaite n’était pas passé loin.

Et pourtant, quand on avait un peu moins de 20 ans il y a vingt ans, quand on a eu la chance de grandir l’été sur une plage de Normandie et d’entendre encore les récits – comme légendaires -, qui, d’une arrière-grand-mère nonagénaire ayant survécu, elle, aux deux Guerres, on comprend mieux. Quand on avait un peu moins de 20 ans il y a vingt ans, on a aussi gardé le souvenir d’un continent coupé en deux… Alors, si, trop petit ou plutôt plus jeune, on n’a pas vécu tout ça, si Y plutôt que X, on n’a pas la mémoire, les mêmes repères, c’est sûr que cette idée que « l’Europe c’est la paix » doit pouvoir sembler quelque peu surannée

L’Europe, c’est ce qu’ensemble nous en ferons

Terriblement vieux-jeu, totalement out of touch, has been… Le passé, c’est bien, le présent, c‘est mieux… Impossible d’oublier, avancent certains (en substance), que « l’Union, valet des politiques libérales ou néo-libérales, vendue aux marchés financiers, c’est aussi une monnaie unique qui a appauvri les peuples, des politiques d’austérité qui les laissent exsangues, des taux de chômage records, etc »… Comment oublier, ajoutent les mêmes (en substance), que « l’Union, c’est l’inaction en Bosnie pendant des années et aujourd’hui – bis repetitae – en Syrie »…  

L’Union européenne, ou plutôt l’union européenne telle qu’elle existe aujourd’hui, ne saurait être, et ne prétend d’ailleurs pas être parfaite. L’Europe, c’est une œuvre collective in progress, un patrimoine commun à faire fructifier, à améliorer. Et c’est le sens, de mon point de vue, du message qu’adresse le comité Nobel. Ce prix, ce n’est un satisfecit à la Commission, à la BCE, pas plus au Parlement. Ce n’est pas un prix politique, au sens partisan.

C’est un encouragement qui s’adresse à la fois à tous les Européens invités à poursuivre, tous ensembles, l’œuvre entamée et à la partager avec le reste du monde, tant peuvent avoir valeur d’exemples les acquis – fussent-ils imparfaits – de six décennies de construction européenne

L’Histoire a montré que les ensembles multinationaux, bienveillants comme malveillants, n’ont qu’un temps. Avec les effets de la crise multiforme que nous traversons, déjà s’élèvent, du côté d’Athènes, des appels à l’aventure des plus obscurs et, ailleurs, les irrédentismes se réveillent… en Catalogne, en Flandre, en Italie du Nord, en Écosse, et bientôt ailleurs. C’est cela le sens profond du message d’Oslo, le rappel des Nobel à l’Europe…: garder le cap dans la tempête et continuer à avancer vers l’essentiel dans la paix.

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