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Avoir 10 ans à Gaza

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Gaza. Fatima Qortoum n’avait que 9 ans lorsqu’elle vit le cerveau de son petit frère Ahmed, 7 ans, tomber de sa tête à cause d’un missile israélien. C’était en 2008.

La semaine dernière, c’est une autre attaque israélienne qui a laissé une entaille de sept centimètres sur le torse de Mahmoud, 6 ans, un autre frère de Fatima, endommageant gravement ses poumons.

Il est donc peu surprenant que Fatima, aujourd’hui âgée de 13 ans, comme des milliers d’autres enfants de la bande de Gaza, souffre de troubles de stress post-traumatique.

« Elle insultait les gens, parfois nous la retrouvions dans la rue ou bien c’est la police qui nous la ramenait, raconte son père, Osama Mohamed Qortoum. À l’époque, Fatima était déjà en âge de comprendre ce qui était arrivé [à son frère]. Elle se trouvait dans la maison et l’a vu mourir depuis le balcon. »

Les enfants de Gaza au cœur des attaques

Sur les 1,7 million d’habitants de Gaza, plus de la moitié n’ont pas 18 ans. Durant la semaine précédant le 21 novembre dernier, date du cessez-le-feu négocié par l’Égypte pour mettre fin aux assauts militaires israéliens, plus de 150 personnes ont été tuées, et un millier blessées. Parmi les victimes, 34 étaient des enfants, et au moins 270 jeunes ont été blessés.

Quant à ceux qui s’en sont sortis, le bruit, la violence des frappes aériennes, la vue de morts ou de blessés – parfois des amis ou des proches – et la peur qui s’est installée dans les yeux de leurs parents continue de les hanter.

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« Ils voient les cadavres, ils entendent les bombes… »

Beaucoup de ces enfants ont perdu leur maison. D’autres ont été blessés ou tués pendant qu’ils dormaient. Plusieurs écoles ont été endommagées ou détruites, comme l’ont été au moins une aire de jeu et un stade de football de Gaza, utilisés, selon certains, comme terrains de lancement de missiles par des combattants palestiniens.

« Ils écoutent la radio, ils regardent la télévision, ils voient les cadavres, ils entendent les bombes, ils sentent les vitres de leur maison voler en éclats, et ils écoutent toute sorte d’histoires sur la guerre, explique Eyad Sarraj, expert en troubles mentaux et fondateur du Programme communautaire de santé mentale de Gaza. Donc, évidemment, ils sont terrifiés. »

D’après des études publiées par le programme de Sarraj, une grande majorité des quelques 950 000 enfants de Gaza souffre de troubles psychologiques et comportementaux associés au stress post-traumatique. Parmi les symptômes : agressivité, dépression, incontinences urinaires nocturnes, flashbacks et tendance à s’accrocher physiquement à leur mère.

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Un nouveau traumatisme à chaque conflit

La fréquence des attaques qui, ces dernières années, ont opposé l’armement de pointe des militaires d’Israël aux roquettes tant militaires qu’artisanales des militants palestiniens, voire à une population sans défense, ont aggravé le traumatisme et imprimé des scènes de mort et de destruction dans l’esprit des jeunes de Gaza.

« Si certains enfants sont si traumatisés par ce conflit, poursuit Eyad Sarraj, c’est parce qu’ils ne se sont pas encore remis du précédent traumatisme. »

En effet, la dernière guerre israélienne à Gaza en 2008-2009 avait fait près de 1500 victimes palestiniennes. Avant cela, en 2006, ce sont 400 Palestiniens qui avaient été tués suite à la capture d’un caporal israélien, Gilad Shalit – relâché depuis – par des militants.

Une société encore réticente à accepter les faiblesses

Selon Eyad Sarraj, de plus en plus de Gazaouis acceptent l’idée que l’on puisse être mentalement malade. Même les célébrations qui suivent les cessez-le-feu sont devenues un processus thérapeutique, pour les adultes comme pour les enfants.

Mais les hommes, et les jeunes garçons en particulier, restent très réticents à demander de l’aide, notamment parce que la société, encore très conservatrice, n’est pas prête à fournir cette aide aux victimes de stress post-traumatique.

« Nous n’avons pas vraiment peur, à force nous sommes habitués à cela, déclare Mohamed Shokri, 12 ans, et dont l’école publique de la ville de Gaza a été partiellement détruite lors d’une attaque aérienne israélienne. À la maison, mon père nous dit : « Les Israéliens essayent de nous faire peur, mais c’est notre résistance qui va les terrifier.  » Et puis, on se souvient de la dernière guerre… »

Une hostilité farouche contre un ennemi invisible

Selon des militants des droits de l’homme, les enfants assiégés à Gaza, où les frontières sont fermées depuis maintenant cinq ans, ont peu de contact avec le monde extérieur. Ils n’ont donc qu’une vision très brutale du conflit israélo-palestinien et de cette guerre moderne.

Ils savent reconnaître les armes et les missiles qui ont tué leur famille ou détruit leur maison. Mais peu d’entre eux ont déjà rencontré un civil ou un soldat israélien en chair et en os. C’est une différence frappante avec les générations précédentes : certains habitants de Gaza travaillaient alors en Israël ou y avaient des amis, parlaient hébreu ou bien étaient obligé de cohabiter avec les soldats ou les civils israéliens qui occupaient la bande de Gaza avant leur départ en 2005.

« Je ne connais personne qui ait déjà rencontré un seul juif, avoue Basher Youssef, 12 ans, l’un des camarades de classe de Mohamed Shokri. Personne ne m’a jamais parlé d’eux. Et nous ne verrons jamais un Israélien en face de nous, parce qu’ils ont peur, même devant un enfant palestinien. »

Le traumatisme de la guerre, associé à l’isolement, alimente cette hostilité chez les jeunes Gazaouis. « On peut comprendre les autres en entrant en contact avec eux, déclare Essam Younès, directeur du centre Al Mezan de Gaza pour les droits de l’homme. Le seul contact que nous ayons avec les Israéliens se font à travers les Apaches et les chasseurs F16. À quoi peut-on s’attendre lorsque l’on assiège une nation et qu’on lui détruit tout avenir ? À plus d’hostilité et de résistance contre les Israéliens ! »

Global Post / Adaptation : Antonin Marot pour JOL Press

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