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Dr Abuelaish: «La liberté des Palestiniens, c’est celle des Israéliens»

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Les mots sont plus forts que les balles

Son histoire est tragique, son message édifiant. Et s’il a écrit ce livre, c’est parce qu’il est convaincu que « les mots sont plus forts que les balles »… et que les trois obus israéliens qui, le 16 janvier 2009, sont tombés sur son domicile de Gaza et ont tué trois de ses filles et une de ses nièces.

Son histoire avait choqué le monde entier… Fin décembre 2008, Izzeldin Abuelaish venait tout juste d’annoncer à ses huit enfants qu’il venait de se voir offrir un poste de médecin à Toronto quand a débuté l’offensive israélienne sur Gaza. Quelques mois après le décès de sa femme, ils allaient partir loin des horreurs de la guerre et entamer une nouvelle vie. Moins de trois semaines plus tard, ces trois obus frappaient son domicile.

Croire en la réconciliation, malgré tout…

Izzeldin Abuelaish était de longue date un militant acharné de la réconciliation palestino-israélienne. Premier médecin palestinien à exercer dans un hôpital israélien, il compte parmi ses amis de nombreux Israéliens, et notamment un journaliste de la Channel 10, Shlomi Eldar. Quelques instants après le drame, celui-ci prenait en plateau l’appel de son ami qui lui livrait en direct le témoignage le plus bouleversant, le plus effroyable mais aussi – d’une certaine manière – le plus conscient, construit, intelligent. Comme une journaliste israélienne l’avait alors écrit : la souffrance palestinienne que la majorité de la société israélienne refuse de voir avait, désormais, « une voix et un visage ».

La guerre pointe à nouveau son nez

Notre entretien s’est déroulé dans un contexte particulier : depuis jeudi 15 novembre, c’est à nouveau l’état de guerre entre Israël et le Hamas, et les bombes pleuvent sur Gaza. Et ce dimanche 18 novembre, les victimes, en nombre croissant, semblent être surtout des femmes et des enfants. Les filles d’autres Izzeldin Abuelaish.

Le docteur est tenu informé de la situation sur place, effroyable écho à ses propres souvenirs. S’il est un homme de raison et de foi, comme l’atteste son livre, la colère pointe, rarement très loin… Entretien.        

JOL Press : Les images qui nous proviennent ces derniers jours du Proche-Orient, d’Israël et de Gaza en particulier, doivent éveiller en vous les souvenirs pénibles de la dernière opération « Plomb durci », il y a quatre ans…

Dr Izzeldin Abuelaish : C’est pénible et difficile pour moi, comme ça doit l’être pour vous et pour tout le monde. Sous nos yeux, se déroule une tragédie humaine, que tous les membres de l’Humanité, dès lors qu’il leur reste un peu de nerfs et de sang, devraient considérer comme insupportable.

Je suis, vous êtes, nous sommes tous autorisés à être en colère, à se sentir outragés par ce qui se passe à Gaza.

Je ne l’accepterai jamais. Personne ne devrait l’accepter. C’est une honte que telles exactions puissent avoir lieu sous nos yeux et que nous restions non seulement impuissants, mais silencieux

Le recours à l’action militaire ne conduit nulle part

JOL Press : De quelles exactions parlez-vous ?

Dr Izzeldin Abuelaish : Une opération militaire ne saurait en aucun cas guérir les blessures, cicatriser les plaies. Le recours à la force militaire ne changera rien au fait qu’il faudra bien que les Israéliens finissent par consentir à la liberté des Palestiniens.

JOL Press : Les Israéliens sont donc à vos yeux les seuls responsables ?

Dr Izzeldin Abuelaish : Dans le conflit entre Palestiniens et Israéliens, qui sont les responsables, qui sont les coupables ? Vous pensez que les Palestiniens pourraient être responsables ? Ce sont ceux qui reçoivent les bombes à Gazaqui sont les faiseurs de guerre ?

De mon point de vue, les Israéliens sont responsables des horreurs qui se déroulent sous nos yeux et qui nous laissent impuissants. 

Il est de la responsabilité d’Israël d’en finir avec l’occupation des territoires palestiniens. Il est de la responsabilité des Palestiniens de résister comme ils peuvent face à une des plus puissantes armées du monde, si ce n’est la plus puissante. Nous devons parvenir à obtenir notre liberté.

Les Palestiniens doivent se voir reconnaître le droit à un État, leur droit d’exister tout simplement. Les Israéliens sont les occupants.

Des faucons à la tête d’Israël

JOL Press : Vous avez été le premier médecin palestinien à travailler en Israël, vous avez des amis israéliens. Sûrement, établissez-vous des distinctions entre Israéliens… C’est au gouvernement de Benjamin Netanyahu que vous songez lorsque vous dénoncez la responsabilité des Israéliens ?

Dr Izzeldin Abuelaish : Bien sûr, il reste souhaitable de faire une différence entre l’administration, le gouvernement et la population, ou au moins une partie de la population. Tous les Israéliens ne portent pas la même responsabilité.

Le gouvernement utilise le pouvoir dont il dispose pour détruire et conduire une guerre au lieu de construire et avancer vers la paix.

Les accords de paix existent et doivent être respectés. Nous devons progresser vers leur mise en œuvre, tourner le dos aux tendances destructives et sauver les Israéliens de tendances mortifères.

Les menaces de régionalisation

JOL Press : Les opérations en cours se déroulent dans un contexte particulièrement tendu du fait de la situation en Syrie, des tensions avec l’Iran et de toutes les conséquences en cours des transitions qui ont fait suite aux différentes révolutions du Printemps arabe. Craignez-vous plus que les fois précédentes une extension et une régionalisation du conflit ?

Dr Izzeldin Abuelaish : Oui, un certain nombre de conditions semblent réunies pour une escalade du conflit. Vous savez… quand vous commencez à employer la force, vous ne savez jamais où cela pourra s’arrêter.

JOL Press : Si vous vous trouviez à Gaza, seriez-vous tenté de vous exprimer à la télévision comme vous l’aviez fait en janvier 2009, malgré les risques encourus ?

Dr Izzeldin Abuelaish : Peu importe où vous vous trouvez. Ce qui importe, c’est qui vous êtes.

Je ne cesserai jamais de m’exprimer : ce bain de sang, ce massacre doit cesser. Où que je sois, je me lèverai pour dire, hurler : « Trop, c’est trop, assez ! »

Plutôt que de regarder ce qui se passe, de regarder les images à la télévision ou je ne sais où, les autorités politiques, partout, doivent agir pour mettre un terme aux horreurs en cours.

Le respect du droit international comme seul recours

JOL Press : On observe une intense activité diplomatique. Samedi 18 novembre, le ministre des Affaires étrangères français était à Ramallah, les puissances régionales sont mobilisées, l’ONU appelle au cessez-le-feu. Qu’en pensez-vous ?

Dr Izzeldin Abuelaish : Je m’efforce de rester optimiste, de conserver un certain espoir.

La communauté internationale a l’occasion d’agir enfin, d’agir véritablement. Personne, aucun gouvernement ne saurait être au-dessus des lois internationales – sauf à être exclu de la communauté internationale et à en tirer les conséquences.

Les grandes puissances, les responsables internationaux doivent retrouver une certaine crédibilité sur ce dossier et dire, sans attendre : « Nous reconnaissons le droit des palestiniens à un État ». Les événements de ces derniers jours sont l’occasion d’un tel geste de portée historique.

Le gouvernement israélien doit comprendre qu’il n’est pas tout seul au monde et les Israéliens de bonne volonté doivent faire savoir à leurs autorités que ce qui se passe actuellement n’est pas acceptable.

La liberté des Palestiniens, c’est la liberté des Israéliens

JOL Press : Quand les sirènes retentissent à Tel Aviv parce que la ville est aussi la cible de roquettes tirées de Gaza, pensez-vous que les habitants puissent souscrire à votre point de vue ?

Dr Izzeldin Abuelaish : Le peuple israélien dans sa majorité doit comprendre que la liberté des Palestiniens, c’est la liberté des Israéliens.

Avançons sur la reconnaissance du principe, puis nous progresserons dans sa mise en œuvre. Nous devons parvenir à vivre ensemble selon des modalités à définir dans la négociation pacifique. Mon exemple, mon expérience de premier médecin palestinien à travailler dans un hôpital israélien, à soigner des patients sans distinction d’origine, prouve que cela est possible.

Nous ne haïrons point

JOL Press : Vous parvenez  à croire à la paix, à rejeter la haine – c’est d’ailleurs le titre de votre livre « Je ne haïrai point » – malgré la tragédie qui a frappé votre famille. Comment est-ce possible ?

Dr Izzeldin Abuelaish : Nous voulons être libres, je veux la justice pour mes filles. Pour que justice il puisse y avoir, il faut être suffisamment fort pour ne pas haïr. Le feu de la haine détruit les cœurs et les âmes et ne fait qu’engendrer davantage de destructions et de malheurs.

Depuis la tragédie qui m’a enlevé trois de mes filles, je suis encore plus déterminé qu’avant dans mon engagement pour une authentique réconciliation entre Palestiniens et Israéliens. Une authentique réconciliation fondée sur la justice et la liberté, le respect du droit et des droits de chacun.

JOL Press : D’où tirez-vous cette force vous qui, tout au long de votre vie, depuis votre enfance dans le camp de réfugiés de Jambalia, avez subi de plein fouet les effets de cette discorde entre Palestiniens et Israéliens ?

Dr Izzeldin Abuelaish : Cette force, je la tire de ma foi. Je suis musulman.

Elle vient aussi de mon éducation, de toutes les expériences accumulées au fil de mon existence, de ma profession de médecin, de mes enfants… La violence et les peurs ne sont que des maladies que nous devons éviter, que nous devons soigner.

Ne vous trompez pas, mon message ne s’adresse pas uniquement aux Palestiniens et aux Israéliens. C’est un message universel. Le monde entier est victime de la haine et de ses conséquences. Or nous ne pouvons rien construire sur la haine et la violence. Mon exemple se veut un symbole d’espoir.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press – dimanche 18 novembre 2012.

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