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Égypte: vers un deuxième Printemps arabe, «à l’envers»?

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Il y a à peine cinq mois, le président Mohamed Morsi entrait en fonction après avoir été élu le 17 juin. Il devenait ainsi le premier président de l’ère post-Moubarak et parvenait à convaincre de sa volonté de remettre l’Égypte sur les rails du droit et de la démocratie.

Une longue transition politique

Pourtant, cinq mois plus tard, les Égyptiens sont de nouveau dans la rue, la place Tahrir et la rue Mohamed Mahmoud du Caire sont de nouveaux investies par les manifestants et l’équilibre précaire de l’Égypte est menacé.

Il faut dire que la longue transition politique égyptienne a connu de nombreux et malheureux soubresauts depuis l’élection de ce Frère musulman à la présidence.

Dans un pays dirigé depuis 1952 par l’armée, l’arrivée d’un islamiste, bien que « modéré », au pouvoir, ne s’est pas faite sans bouleversements au sommet de l’État et dans toutes les antennes du pouvoir.

Dans un premier temps, le Président a dû écarter l’armée du pouvoir. Cette armée surpuissante et dont l’empire économique représente environ 40% du PIB du pays. Dès son élection, Mohamed Morsi s’est arrangé pour abroger la « déclaration constitutionnelle » qui accordait de nombreux pouvoirs au Conseil suprême des forces armées (CSFA) qui, après avoir dirigé l’Égypte durant la période de transition politique, s’arrangeait pour conserver quelques prérogatives au pouvoir.

Déclaration constitutionnelle controversée

Il a fallu ensuite au président Morsi entamer une purge politique. Celle-ci a commencé avec la plus emblématiques des personnalités de la révolution, le maréchal Hussein Tantaoui, chef du CSFA et ennemi juré de nombreux manifestants de la place Tahrir.

Par ces actions symboliques, Mohamed Morsi se forgeait l’image d’un protecteur des acquis de la révolution.

Et c’est ainsi que, le 22 novembre dernier, Mohamed Morsi parvenait à ce coup de force qui résonne encore aujourd’hui en Égypte, l’annonce d’une nouvelle déclaration constitutionnelle.

Rédigée en sept articles, cette déclaration constitutionnelle accorde de nombreux nouveaux pouvoirs au président. Ainsi, Mohamed Morsi s’assure de la pérennité de l’assemblée constituante, largement controversée en raison de sa composition à majorité islamiste, en ne permettant pas à la Haute cour constitutionnelle, devant laquelle un recours a été porté, de la dissoudre ou de la déclarer illégale.

Le président Morsi sauvegarde aussi son pouvoir sur le législatif. C’est ainsi que le procureur général d’Égypte a été limogé à peine quelques heures après la parution du texte présidentiel.

Il a également interdit la possibilité de contester ses décisions devant les autorités judiciaires et finalement, Mohamed Morsi s’accorde le droit « de prendre les mesures nécessaires pour protéger le pays et les objectifs de la révolution. »

Une annonce qui divise les Frères musulmans

Mais, à vouloir protéger la révolution, il semble que le président Morsi soit en train d’en provoquer une autre. Outre les manifestations qui se poursuivent dans les rues du Caire, ces dernières ayant déjà fait au moins trois morts, c’est dans les sphères politiques que la situation politique pourrait bien mal tourner.

Si la « déclaration constitutionnelle » du président Morsi a abasourdi l’opposition au gouvernement, elle a également résonné chez les Frères musulmans. Ainsi, le président de la Chambre Haute du Parlement, le Frère musulman Ahmed Fahmi, s’est exprimé, au jour de l’annonce du président, lors de la session du conseil.

Cette déclaration « a sévèrement divisé la nation entre islamistes et civils », a-t-il affirmé, appelant le Président à mener un dialogue national avec toutes les forces en présence afin de mettre un terme à la crise qui sévit en Égypte.

Cette prise de position a largement surpris. Ahmed Fahmi n’est pas seulement le président de la Chambre haute du Parlement et un des leaders du Parti de la Justice et de la Liberté des Frères musulmans, il est également un proche du président Morsi.

Un « pharaon » au pouvoir

Aujourd’hui, l’Égypte est divisée. Les Frères musulmans, associés aux salafistes du parti Al-Nour, qui ont réalisé le score de 25% lors des élections législatives de l’automne dernier, sont descendus dans la rue et affrontent les opposants au régime.

Ces opposants aussi nombreux que divisés, après avoir eu la sensation de s’être fait volé leur révolution lors de l’élection d’un islamiste à la présidence, comptent bien sauver le peu d’espace politique qui peut leur rester.

Le pouvoir judiciaire, dernier organe politique dans lequel résistaient quelques membres de l’ancien régime, est également en passe de se mettre en grève générale et la Cour de cassation a annoncé qu’elle suspendait tous ses travaux.

Cette « déclaration constitutionnelle » remue les foules et a même valu au président Morsi le surnom de « pharaon », donné par Mohammed el-Baradei, opposant et ancien secrétaire de l’Agence internationale de l’énergie atomique.

Bien que Mohamed Morsi ait tenté de se rattraper, affirmant que ces pouvoirs n’étaient que temporaires et qu’une fois la constitution votée, et les organes législatifs en place, tout rentrerait dans l’ordre, la rue gronde et commence à demander le départ du Président.

Entre opposants et felloul

Face à lui, pourtant, la menace n’est pas grande et l’opposition peine à se former en bloc uni. Hamdin Sabbahi, troisième lors de l’élection présidentielle, Mohammed el-Baradei et Amr Moussa, ancien secrétaire général de la Ligue arabe, sont parvenus à former front de salut national pour s’opposer aux volontés présidentielles.

Mais les rancœurs de l’ancien régime sont tenaces et certains opposants préfèrent rester seuls que d’imaginer une alliance avec des « felloul » (personnalités de l’ancien régime). Ainsi, Abdelmonem Aboul Foutouh a refusé de se joindre à cette ligue en raison de la présence de l’ancien proche d’Hosni Moubarak dans ses rangs, Amr Moussa.

Vers un deuxième Printemps arabe ?

C’est donc une opposition désunie qui s’oppose à Mohamed Morsi, une opposition qui a fait dire à l’éditorialiste égyptien Tamer Wagih, dans son article « Revolutionaries must resist Morsi, but also the feloul », paru le 25 novembre sur le site de l’Egypt Independent, « Le vrai problème est la structure de l’opposition à Morsi. En raison de l’absence d’un grand bloc révolutionnaire cohérent, l’opposition est composée d’un méli-mélo de pouvoirs qui appartiennent au régime corrompu de Moubarak et d’autres forces centristes-libérales-réformistes-populistes — qui peuvent être désignées sous le nom de « pouvoirs civils », quelle que soit la signification exacte de ce terme.

Malheureusement, comme ces pouvoirs civils ne sont pas révolutionnaires et ont un caractère clairement centriste, ils ont tendance à se réconcilier, et même à s’allier avec les partisans de l’ancien régime dans leur lutte contre Morsi, croyant qu’il est leur grand rival.

À mon avis, cette tendance aura des répercussions catastrophiques pour l’avenir de la révolution. Elle permettra de réintroduire les feloul comme acteurs acceptables dans le domaine politique et donnera la possibilité au régime de Moubarak de revenir, peut-être sous une forme encore pire. »

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