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Quel genre de président fut Jacques Chirac?

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Jeune conseiller d’État plutôt centriste, Philippe Bas entre à l’Élysée comme conseiller aux Affaires sociales du président Chirac. Il y restera huit ans, et deviendra secrétaire général de l’Élysée – pas le pire point de vue pour observer à l’oeuvre le grand fauve corrézien. Huit ans de travail en commun, de proximité quotidienne, de dévouement et même d’affection.

Avec Philippe Bas, le lecteur pénètre au coeur même de l’État, dans les coulisses et les couloirs de la présidence de la République. Nous assistons aux réunions, participons aux déplacements présidentiels, nous asseyons dans le bureau du président. Rouage essentiel de la machine FrancePhilippe Bas dessine d’un coup de crayon avisé les portraits des plus hauts responsables : Dominique de Villepin, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Louis Borloo. Il peint surtout le président Chirac dans son humanité. En 2007, Philippe Bas a quitté l’Élysée. En franchissant la Seine, il a quitté à regret la vie quotidienne avec le Président. Il la restitue dans ces pages avec pudeur, mais non sans ironie.

Extraits de « Avec Chirac » de Philippe Bas

Quel genre de président fut Jacques Chirac ? Un président étranger aux contingences qui font l’ordinaire des gouvernants, ceux dont l’œuvre, généralement médiocre, se réduit exactement aux objectifs d’apothicaires qu’ils se donnent : comptes, travail, revenu, commerce, profits… Il comprenait cependant l’importance de l’économie et veillait avec un soin particulier à ce que ses ministres y soient attentifs. C’est sous son autorité que les déficits ont le plus fortement été réduits dans les deux dernières décennies. On se souvient d’ailleurs des oppositions qu’avait provoquées le plan Juppé.

Mais il avait de la fonction présidentielle une conception trop haute pour l’abaisser en laissant l’angoisse de la dette et l’amour des excédents envahir son quotidien. Il voulait que les comptes servent les ambitions de la nation, mais refusait qu’ils en tiennent lieu. Énarque, il était pourtant l’exact contraire d’un technocrate, à qui l’arithmétique tient lieu de pensée. Il ne cherchait pas à avoir l’oreille des financiers et ne partageait pas les vues étriquées de ceux que seul l’intérêt stimule. S’il avait voulu être marchand ou banquier, il l’aurait été. Mais il avait préféré être président. Ce n’était pas pour se mettre dans la main des bourgeois.

Au chapitre de l’intendance, on le croyait non sans raison dépourvu de passions et de convictions, prêt à admettre toute solution pragmatique pourvu de n’avoir à y consacrer que le temps nécessaire. Pour toute question qu’il jugeait secondaire, il pouvait paraître indifférent ; mais dès que l’essentiel était en cause, soudain en éveil, on le voyait combatif, passionné, militant, intransigeant, forçant l’adhésion par son charisme et la puissance de son autorité.

Il n’avait de passion que pour les grandes affaires. Seuls l’intéressaient réellement l’avenir des nations et celle de l’humanité, la fraternité, l’art, les religions, la diplomatie, la paix et la guerre. Il croyait au destin particulier du peuple français.

Il était doté d’une inlassable énergie, fort d’inébranlables convictions, animé d’une incommensurable ambition d’agir. Mais surtout, fidèle à ses rêves d’adolescent, il était mû par une inépuisable générosité, une profonde chaleur humaine, quand tant d’autres princes ne sont qu’égoïsme et mépris. Son attention aux problèmes des Français, et plus encore aux souffrances qu’il rencontrait, n’était jamais feinte. Pour eux, il pouvait tout interrompre.

Jacques Chirac a toujours revendiqué son pragmatisme : « Je ne suis prisonnier d’aucun schéma de pensée. Le dogmatisme m’est antipathique. Mes convictions reposent sur un socle immuable : la défense des libertés et le respect des différences. » Apparemment ouvert aux compromis, il n’aurait jamais trahi sa quête d’absolu. L’enfant, qui demeurait en lui, l’observait sans cesse. Il ne voulait pas le décevoir. Et pourtant, habile à contourner les obstacles, il savait mieux qu’aucun autre prendre les détours nécessaires pour parvenir à ses fins.

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