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Russie: le lent redémarrage des relations avec l’Occident

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Un dégel (relatif) des relations

Après des mois de discours anti-américains, dont l’accusation faite à Hillary Clinton de chercher à déstabiliser la Russie, le Kremlin semble adoucir ses propos à l’égard de Washington.

Cela fait partie d’un cycle prévisible : les menaces et outrages n’ont que peu d’utilité si les relations restent extrêmement limitées. Offrir des chances d’amélioration des relations donne aux pays occidentaux un plus grand intérêt à traiter Moscou avec sérieux, et augmente l’impact des retombées si Moscou décide au contraire de s’attaquer [aux États-Unis].

Même si l’attitude de « dégel » [des relations] devrait être la bienvenue, les États-Unis et d’autres pays occidentaux ne doivent pas réagir naïvement en répondant simplement de la même manière. Au contraire, ils devraient indiquer très clairement qu’il y aura besoin d’autre chose – d’action, et non pas de simples paroles -, en faisant davantage pour défendre leurs valeurs communes.

Même si la politique louable du président Barack Obama, mise en place afin d’améliorer les rapports avec la Russie, connue sous le nom de « reset » [« remise à zéro »], a permis d’atteindre une certaine coopération sur l’Afghanistan et l’Iran et a permis de construire une infrastructure diplomatique, ce n’est cependant pas un secret si l’on dit qu’il n’est pas parvenu à son objectif principal, qui était d’obtenir de Moscou qu’il cesse de traiter les relations comme un jeu à somme nulle.

Vladimir Poutine cherche avant tout à servir son propre intérêt

La politique étrangère entreprise par Vladimir Poutine a toujours cherché à parvenir à ce qui était bon pour lui, et non pour le pays. Quand les circonstances se sont aggravées pour le Président dans son pays – lorsque des protestations de masse ont éclaté l’année dernière -, ou à l’approche des élections, il a pris les pays occidentaux pour responsables des problèmes de la Russie, et a couru après la popularité en proférant des menaces, si ce n’est pire.

Que l’actuel « réchauffement » [des relations] se maintienne ou non, l’Occident devrait élaborer une approche sensée, afin de briser le cycle, à commencer par la recherche de solidarité avec la Russie. Ce n’est pas un hasard si Poutine a dépensé beaucoup d’énergie pour saper la politique occidentale envers la Russie, en rompant précisément l’unité. Au premier rang de ses méthodes : les accords bilatéraux lucratifs signés par les compagnies énergétiques russes avec des entreprises occidentales, qui deviennent en fait les défenseurs du Kremlin à l’intérieur de leur pays.

La dépendance de l’Allemagne aux ressources russes a empêché l’élaboration d’une politique énergétique commune

L’Allemagne, dont le boom économique dépend du gaz naturel russe – le pays achète 40% de ses approvisionnements à la société Gazprom, en Russie -, a été parmi les pays les plus coupables, en partie parce que son industrie énergétique est très influente.

La chancelière allemande Angela Merkel a pris ses fonctions en 2005, promettant d’aider à forger une politique énergétique européenne commune. Mais l’Allemagne est vite apparue comme le plus gros propulseur de la Russie en Europe. Quand l’administration Bush a fait campagne en 2008 pour mettre l’Ukraine et la Géorgie dans la voie d’une adhésion à l’Otan, ce qui a provoqué la colère de Moscou, Merkel a dirigé l’opposition.

L’Otan a finalement rejeté l’initiative, en dépit de l’indignation internationale suite à l’invasion russe en Géorgie [en août 2008]. Merkel a ensuite mené à bien l’effort de bloquer les projets de règlements européens qui auraient restreint les marges de manœuvre des entreprises étrangères pour l’achat d’équipements énergiques européens, mesures qui visaient à ralentir l’extension du contrôle de Gazprom sur l’approvisionnement en énergie.

Des signes de changement à Berlin

Les législateurs allemands ont demandé à Merkel de soulever les préoccupations au sujet de l’autoritarisme croissant de Moscou alors qu’elle rencontrera Poutine vendredi 16 novembre. Cela aura lieu dans le cadre de sa visite pour assister au soi-disant « dialogue de Saint-Pétersbourg », une conférence sur la société civile mise en place par son prédécesseur et proche allié de Poutine, Gerhard Schröeder, pour montrer que Berlin travaille à améliorer la société civile russe.

En réalité, la conférence – largement organisée par Gazprom – a été une imposture. Merkel pourrait essayer de commencer à changer cela en utilisant la conférence pour accomplir son but déclaré : défier le Kremlin de parvenir à se démocratiser.

Les nouveaux gisements de pétrole et de gaz dans le monde vont impacter le marché russe

Si elle le faisait, cela reflèterait plus qu’une simple prise de conscience que la relation étroite entre l’Allemagne et la Russie est en contradiction avec les valeurs occidentales. Cela offrirait une autre preuve que les changements dramatiques dans l’industrie énergétique globale ont des effets politiques.

L’exploitation de nouveaux gisements de pétrole et de gaz dans le monde entier – l’Agence internationale de l’énergie prévoit que les États-Unis vont bientôt prendre le relais de la Russie et de l’Arabie Saoudite en tant que premier producteur mondial de pétrole – et le développement de gaz naturel liquide ouvrent le marché. Cela abaisse le levier géostratégique de la Russie.

Les États-Unis entament aussi le dégel

Le Congrès américain pourrait donner l’exemple à Angela Merkel cette semaine, alors qu’il doit voter pour abroger l’amendement Jackson-Vanik, un ensemble de sanctions datant de l’ère de la Guerre froide*

Le vote à la Chambre des représentants devrait être une mesure combinée qui inclurait de nouvelles sanctions contre les fonctionnaires liés à la mort en prison de l’avocat Sergueï Magnitski [le 16 novembre 2009], qui avait dénoncé l’importante corruption policière russe.

Les États-Unis et leurs alliés doivent encourager Moscou à soutenir les valeurs occidentales

Même si le discours de Moscou est en pleine évolution, il continue de bloquer l’action internationale en Syrie, d’utiliser l’énergie comme instrument politique en Europe, de consolider le contrôle du Kremlin sur les affaires russes – l’État va bientôt détenir plus de 60% de l’industrie pétrolière – et de réprimer les critiques internes. Une nouvelle loi radicale redéfinissant la trahison est entrée en vigueur mardi 13 novembre.

La mutation du marché de l’énergie – qui va de pair avec les prévisions disant que l’économie russe va s’aggraver -, pourrait limiter les actions de la Russie et lui donner plus de motifs pour devenir un acteur responsable dans le monde. Les États-Unis et leurs alliés devraient encourager cela en cherchant à pousser Moscou dans une voie qui découragerait les cycles d’amélioration et de détérioration des relations. Soutenir les valeurs occidentales cette semaine serait un bon début.

Global Post / Adaptation : Anaïs Lefébure pour JOL Press

*Adopté en 1974, l’amendement Jackson-Vanik interdit d’accorder le statut de nation la plus favorisée (NPF) et d’octroyer des crédits d’État et des garanties de crédits aux pays violant ou limitant le droit de leurs citoyens à l’émigration. Il a été promulgué en réponse aux restrictions qui frappaient le départ des juifs de l’ex-URSS. Barack Obama avait déclaré que l’abrogation de cet amendement constituait une priorité dans le cadre des relations avec la Russie.

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