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Bahreïn: la monarchie attise les tensions entre sunnites et chiites

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Farida Ghulam s’installe sur un canapé de brocart dans sa maison située dans un quartier chic de Manama, la capitale de Bahreïn. Elle est l’un des chefs de file du parti de centre-gauche, Waad. Après s’être versé un thé fort et sucré, Farida Ghulam explique comment les différences sectaires ont commencé à déchirer la vie des habitants de Bahreïn.

Après la coexistence, la division

Parmi le 1,2 million d’habitants de Bahreïn, 70 % des musulmans (qui représentent plus de 80% de la population totale) sont chiites, et 30% sont sunnites. La famille régnante du roi Hamad bin Isa Al-Khalifa est sunnite, mais depuis de nombreuses années, les deux groupes coexistent.

Mais cela a commencé à changer en février 2011 quand, inspirés par les révoltes du printemps arabe, des dizaines de milliers de Bahreïnis ont envahi les rues. Au début, chiites et sunnites faisaient partie de l’opposition, unis dans leurs revendications pour une réforme démocratique. Mais alors que le conflit se prolongeait, les différences confessionnelles ont pris le dessus.

Ghulam explique que les sunnites savent que le gouvernement est une monarchie corrompue. Mais ils craignent encore plus une prise de contrôle chiite. Le gouvernement les a convaincus, dit-elle, que les chiites sont déterminés à créer un État religieux dans le style iranien.

« Ils ont oublié que les chiites étaient leurs voisins », dit-elle, « et les ont accusés de supporter l’opposition. C’est comme le maccarthysme aux États-Unis [violente campagne de dénonciation des communistes dans les années 1950]».

Les dirigeants gouvernementaux nient le fait qu’ils attisent les braises du sectarisme

« Nous n’avons pas de problème avec le fait qu’une branche de l’islam diffère de celle à laquelle appartient le gouvernement », a déclaré Abdul Aziz Al-Khalifa, porte-parole du gouvernement et cousin du roi. « Le problème, c’est quand des éléments au sein du groupe ont recours à la violence pour exprimer leurs points de vue ».

En même temps, il note que les chiites sont redevables à leurs chefs religieux, ce qu’il n’a pas fait valoir à propos d’autres groupes religieux. « Il est très difficile pour eux [les chiites] de séparer les directives d’un dignitaire religieux de celles d’un mouvement politique ».

« Un grand nombre d’entre eux veulent aujourd’hui suivre le système en cours en Iran », poursuit-il. « Ils ont voulu créer une république islamique dans le passé. Je pense que sous les apparences, il y en a beaucoup plus qui croient en cette forme de gouvernement ».

Historiquement, il y a eu des liens entre les chiites de Bahreïn et l’Iran, qui se trouve juste de l’autre côté du Golfe. La Société islamique Al Wefaq, groupe d’opposition de Bahreïn, s’est inspirée de la révolution iranienne de 1979 contre le Shah.

Le groupe islamique Al Wefaq prend pourtant ses distances avec le système iranien

Mais Ali Salman, secrétaire général d’Al Wefaq, ne considère pas que le gouvernement iranien actuel soit un modèle pour Bahreïn. Vêtu d’une robe cléricale blanche et d’un turban blanc, il offre du café et des chocolats aux Bahreïnis lors d’une visite de son quartier général. Salman dit que le système iranien est loin d’être parfait.

« Je pense qu’il devrait y avoir plus de liberté en Iran », ajoute-t-il. Les dirigeants d’Al Wefaq soutiennent également le soulèvement populaire contre le régime syrien, ce qui les met en désaccord avec le soutien de l’Iran au président syrien Bachar al-Assad.

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Sur les questions sociales, Al Wefaq est beaucoup plus centriste que le gouvernement iranien ou les groupes conservateurs sunnites à Bahreïn. Par exemple, Salman a déclaré que le gouvernement ne devrait pas forcer les femmes à porter le hijab, et il n’a pas de problèmes avec la politique actuelle du pays sur la vente d’alcool (qui est plutôt laxiste).

Néanmoins, le gouvernement diabolise l’opposition chiite qu’elle considère comme extrémiste

Le village de Muhazza, à la périphérie de Manama, se trouve dans une région à majorité chiite. Les rues sont poussiéreuses et les maisons, basses, sont en béton – un contraste frappant avec les gratte-ciel étincelants de Manama.

À la fin du mois d’octobre, le gouvernement a interdit toutes les manifestations anti-gouvernementales, mais Muhazza défie régulièrement l’interdiction. Les résidents ont érigé des barrages routiers, faits de troncs de palmiers et de blocs de béton, afin de repousser les forces de sécurité.

Récemment, à 3 heures du matin, la police a encerclé l’appartement d’Abdullah al Mizo, un électricien. Il raconte que des hommes masqués en tenue civile ont martelé sur les portes et les fenêtres, et, finalement, ont ouvert une des portes à coups de pieds.

Il explique que les hommes travaillaient pour les services de sécurité de Bahreïn. « Ils m’ont dit que j’étais un salaud », raconte-t-il. « Ils m’ont dit : vous êtes chiite et terroriste ». Al Mizo affirme qu’il n’a pas participé à des manifestations, et que le régime punit collectivement les chiites.

Les attaques contre les chiites les poussent à haïr les sunnites

« Je ne sais pas pourquoi ils ont attaqué ma maison. Je pense qu’ils ont fait ça pour intimider les gens. Je ne suis pas un militant politique, mais je vais en devenir un à cause des actions du régime ».

Après avoir été attaqué parce qu’il était chiite, Al Mizo, à son tour, se méfie des sunnites. Il remarque que le gouvernement a recruté majoritairement des policiers sunnites en provenance du Pakistan, de la Syrie et d’autres pays musulmans. Il dit que leur religion leur enseigne à haïr les chiites. D’autres militants affirment que la religion sunnite enseigne la fidélité au pouvoir en place, et cela compte dans leur soutien au roi.

En mars 2011, des heurts ont opposé sunnites et chiites dans la ville de Hamad, à Barheïn :

Diviser pour régner

Salman, du groupe Al Wefaq, reconnaît que l’état actuel des relations entre sunnites et chiites est « très compliqué ». Salman affirme que la monarchie utilise la tactique « diviser pour régner » depuis longtemps, avant même l’insurrection de février 2011.

« Le gouvernement nous a dit de haïr les sunnites », dit-il, « en particulier les Frères musulmans et les salafistes », groupes ayant des opinions fortement conservatrices en matière de politique et de religion. « Et pendant ce temps, le gouvernement dit que l’opposition laïque d’Al Wefaq est désespérément arriérée… ».

Chaque groupe se méfiant de l’autre, « il ne peuvent que s’en remettre à la famille royale », a déclaré Salman.

Mettre de côté les différences confessionnelles s’annonce difficile

Au cours des six derniers mois, toutefois, Salman a vu des changements dans la communauté sunnite. « Ils se rendent compte que le gouvernement ment », dit-il. Ils savent que « toutes les communautés ont besoin d’un changement ».

« La seule façon pour ce petit pays de survivre est de mettre de côté musulmans et non musulmans, sunnites et chiites, et que tous se réunissent en tant que Bahreïnis ». Il admet que, pour le moment, c’est une bataille difficile.

GlobalPost / Adaptation : Anaïs Lefébure pour JOL Press

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