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Égypte: une opposition improbable pour contrer le président Morsi

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De nouveaux manifestants dans l’Égypte postrévolutionnaire

Sara Ebeid, 34 ans, n’avait jamais participé à une manifestation contre le gouvernement égyptien. Lors du Printemps arabe, elle soutenait l’ancien dictateur Hosni Moubarak et était opposée à la révolution de 2011.

Mais tout a changé mardi 4 décembre, lorsqu’elle s’est jointe aux dizaines de milliers d’Égyptiens qui se sont réunis devant le palais présidentiel pour protester contre les nouveaux pouvoirs que s’est octroyés le président Mohamed Morsi.

Emportée dans le mouvement, Sara Ebeid, une employée de la société Nokia, a également suivie la manifestation du lendemain. Ce mouvement de foule a rapidement tourné à la violence. Des affrontements ont éclaté entre partisans et opposants du président Morsi, faisant au moins six morts et 650 blessés.

Ces affrontements ont été les plus féroces depuis que Mohamed Morsi a été élu en juin dernier. Jeudi 6 décembre, le Président a envoyé des chars pour disperser la foule et protéger le palais présidentiel.

Alliance improbable devant le palais présidentiel

« Je n’ai jamais été manifester avec les révolutionnaires place Tahrir parce que j’ai toujours été une felloul », affirme Sara Ebeid, utilisant le mot arabe utilisé pour qualifier les « résistants » ou partisans du régime d’Hosni Moubarak. « Mais maintenant, nous avons le même objectif. Je veux le départ de Morsi. »

Le changement survenu chez Sara Ebeid illustre l’étrange tournure que prennent les évènements dans cette Égypte postrévolutionnaire. Alors que l’opposition au Président se renforce, une alliance improbable se forme entre les révolutionnaires pro-démocratie et le bloc contre-révolutionnaire qui a rejeté le soulèvement de 2011.

Ce dernier groupe a largement soutenu la répression des forces de l’ordre contre les manifestants de la place Tahrir, et ils sont nombreux à avoir voté pour le candidat Ahmad Chafik, soutenu par l’armée, lors des élections de juin dernier.

Le coup de force de Mohamed Morsi

Ces récente vague de protestations est survenue après une confrontation entre Mohamed Morsi, ancien dirigeant des Frères musulmans, et le pouvoir judiciaire du pays, connu pour son soutien à l’ancien président Moubarak et à l’armée. En juin dernier, la Cour suprême constitutionnelle s’est prononcée en faveur de la dissolution du Parlement, dominé par les islamistes après les élections législatives de l’hiver 2011.

Mohamed Morsi a plus tard répondu en octroyant plus de pouvoir au président, lui permettant de mettre ses décisions à l’abri d’un recours de la justice. Cette opération a été considérée comme un retour de la dictature et les manifestations ont commencé. Le projet de constitution rédigé à la hâte et sans le soutien des laïcs et de l’église copte n’a fait qu’empirer les choses.

Trois opposants pour contrer le Président

Cette alliance entre les soutiens d’Hosni Moubarak et les activistes libéraux a été rendue presqu’officielle mercredi 5 décembre, lorsque les trois principales figures de la politique égyptienne ont joint leurs forces en opposition à Mohamed Morsi.

Amr Moussa, un ancien membre du gouvernement de Moubarak, Hamdeen Sabbahi, opposant de longue date au régime de Moubarak, et le prix Nobel de la paix 2005 Mohamed El Baradei forment désormais la plus improbable des coalitions politiques.

Autre surprise, les activistes pro-démocratie ont apporté leur soutien au pouvoir judiciaire, qui malgré quelques exceptions, est considéré comme une force favorable à Hosni Moubarak.

Le pouvoir judiciaire s’engage contre le pouvoir

La majorité des juges égyptiens ont suspendu leurs travaux à la suite du décret du président Morsi qui a mis ce pouvoir à l’écart. Certains ont annoncé qu’ils boycotteraient la supervision du référendum prévu le 15 décembre prochain.

Mervat Sameh, 15 ans, a également manifesté devant le palace présidentiel dans la soirée de mardi. Pour lui, il est temps d’oublier les vieilles querelles qui opposent les révolutionnaires et les partisans d’Hosni Moubarak.

« Ces gens sont avec nous aujourd’hui. Et dans cette situation, où ils mettent leur vie en danger, nous devons leur faire confiance », explique-t-il.

Pourtant, cette coopération n’est pas sans controverse.

La confiance s’installe entre les révolutionnaires

Certains activistes ont accepté prudemment la participation de ceux qui ne se sont pas soulevés contre Hosni Moubarak l’an dernier. Pour eux, cette alliance permet d’augmenter le nombre de manifestants, mais c’est tout.

« Les felloul sont des Égyptiens qui choisissent quelque chose de sinistre. Nous devons gagner mais ne jamais nous aligner sur leurs objectifs », explique l’activiste égyptien Wael Eskandar, sur Twitter le 28 novembre dernier.

La présence des soutiens d’Hosni Moubarak lors des manifestations de cette semaine a ajouté de la crédibilité au discours des Frères musulmans selon lesquels les partisans de l’ancien régime et l’armée conspirent pour renverser un gouvernement d’islamistes démocratiquement élu.

Les dirigeants et porte-paroles des Frères musulmans ont rapidement parlé des manifestations comme le travail de « bandits armés », soutenus et payés par les fidèles de Moubarak.

« La Cour constitutionnelle a outrepassé les limites imposées par la loi et Mohamed Morsi devait réagir », estime Ibrahim Al Iraqi, un dirigeant Frère musulman de la province de Dahqhleya. « Et aujourd’hui, les forces contre-révolutionnaires et les fidèles de l’ancien régime incitent les gens à se soulever contre les intérêts de l’Égypte. »

Une condition : pas de religieux au pouvoir

Les revendications politiques de la nouvelle opposition – portée par la coalition de Mohamed El Baradei, Amr Moussa et Hamdeen Sabbahi – incluent l’annulation du décret présidentiel, l’annulation du référendum sur le projet constitutionnel, et la création d’une nouvelle et plus représentative Assemblée constituante.

Mais les manifestants pro-Moubarak comme Sara Ebeid sont fermes sur un point, quoiqu’il arrive : ils veulent que les islamistes restent éloignés du pouvoir.

« Je ne veux pas parler de la constitution. Il ne peut pas y a voir de négociations à ce sujet », explique-t-elle. « Je veux le départ de Mohamed Morsi, Je veux le départ des Frères musulmans. Je ne veux pas que l’État soit, de près ou de loin, proche d’une religion. »

Heba Habib a contribué à ce reportage depuis Le Caire.

Global Post / Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

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