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Gideon Kouts: «L’isolement diplomatique sert Netanyahou»

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JOL Press : Dix jours après le vote de l’Assemblée générale de l’ONU accordant le statut d’État non membre observateur à la Palestine, pouvez-vous nous rappeler comment a été perçu par le peuple israélien ce coup diplomatique – historique, prétendent certains ?

Gideon Kouts : Si, le 29 novembre, il y a eu des Israéliens pour aller manifester leur joie devant le musée de Tel Aviv, là même où David ben Gourion en 1948 a proclamé l’État d’Israël, dans leur ensemble, la population était majoritairement hostile à ce vote de l’Assemblée générale des Nations unies.

Ce vote avait été présenté comme mauvais pour Israël.

Benjamin Netanyahou a instrumentalisé le vote à l’ONU

JOL Press : Par qui ?

Gideon Kouts : Par le gouvernement tout d’abord. Benjamin Netanyahou et ses ministres avaient répété que cela réduirait les chances de voir reprendre les négociations avec les négociations. Lorsque le résultat du vote n’a plus fait de doutes, lorsque le vote de certains pays européens notamment a été connu, le gouvernement a entamé une marche arrière afin de dédramatiser l’événement, d’en réduire la portée. Un peu tard.

La presse a présenté l’affaire comme un échec diplomatique, à peine quelques jours après la réussite qu’a constitué l’opération à Gaza.

Replacer Mahmoud Abbas au centre du jeu

JOL Press : De votre point de vue, c’est un échec diplomatique ?

Gideon Kouts : Ce n’est pas une réussite, mais j’estime que les autorités ont trop insisté sur l’importance de ce vote.

D’abord, selon moi, il a été insuffisamment fait mention du fait que, pour la première fois, l’Autorité palestinienne par la voix de Mahmoud Abbas a accepté l’existence d’un État d’Israël dans les frontières de 1967.

Le gouvernement israélien a préféré insister sur le fait que la démarche palestinienne à l’ONU se substituait à la reprise des négociations bilatérales. C’est l’idée selon laquelle l’Autorité palestinienne irait chercher à l’ONU ce qu’elle n’est pas parvenu à obtenir dans son tête à tête avec Israël.

JOL Press : C’est une victoire importante pour Mahmoud Abbas, le Fatah et l’Autorité palestinienne…

Gideon Kouts : Effectivement. La reprise des hostilités à Gaza avait favorisé le Hamas et son chef Khaled Mechaal. Le Hamas était devenu l’interlocuteur de Jérusalem dans les tractations et Mahmoud Abbas s’était retrouvé marginalisé.

Il lui fallait impérativement reprendre la main, au risque de perdre le pouvoir et le contrôle de l’opinion publique palestinienne.

En ce sens, ce vote est aussi positif pour Israël qui, fondamentalement, n’aurait aucun intérêt à ce que le Hamas ne se renforce.

Les efforts pour convaincre Paris

JOL Press : Comment a été perçu le vote positif de la France ?

Gideon Kouts : Cela a été mal perçu, mais les israéliens ont désormais l’habitude puisque cela a été le cas il y a un peu plus d’un an lors de l’admission à l’Unesco.

En l’occurrence, ce qui a sans doute le plus choqué, c’est l’évolution de la position officielle de la France, une évolution dont la cohérence n’est pas forcément apparue très évidente.

Lors de la visite de Benjamin Netanyahou à Paris, François Hollande ne s’était pas particulièrement montré enthousiaste à l’égard de cette initiative palestinienne. En visite en Israël, Laurent Fabius avait clairement estimé que ce n’était pas le moment. Et puis, soudain, la France vote « oui » – quand la diplomatie imaginait qu’elle s’abstienne – et a déployé de nombreux efforts pour qu’il en soit ainsi.

JOL Press : L’annonce de représailles, l’annonce d’une reprise de la colonisation… Comment réagissent les Israéliens ?

Gideon Kouts : Avant même le vote, Israël avait prévenu qu’il y aurait des représailles. Barack Obama avait d’ailleurs expliqué qu’il fallait mieux ne rien faire. Pour l’instant, nous n’en sommes qu’à des déclarations d’intentions. Cela relève de la rhétorique, rien n’a été engagé sur le terrain.

Le gouvernement est contraint de se montrer ferme, nous sommes en pré-campagne électorale. Il lui fallait réagir après cet échec diplomatique.

Une droitisation de la scène politique israélienne

JOL Press : Le thème de la colonisation, c’est un thème porteur auprès des électeurs israéliens ?

Gideon Kouts : Pour faire simple, à gauche non, à droite oui.

La gauche et le centre-gauche sont très divisés : Tzipi Livni, de retour en politique, et son parti ont fait de la question israélo-palestinienne une priorité – et ils sont farouchement opposés à la reprise de la colonisation. Les travaillistes, pour leur part, privilégient les questions sociales.

JOL Press : La droite – l’alliance du Likoud de Benjamin Netanyahou et de l’extrème droite d’Avigdor Lieberman – figure en tête dans tous les sondages d’opinion. Les Israéliens sont-ils en train de se radicaliser ?

Gideon Kouts : Historiquement, Israël est plutôt née à gauche. Les Israéliens d’aujourd’hui ont beaucoup changé – ainsi, en moyenne, les candidats à la Knesset ont un peu moins de 50 ans. Leurs cultures, leurs expériences, leurs parcours sont radicalement différents. Par exemple, le souvenir des grandes guerres israélo-arabes s’est estompé. La crainte de missiles et de roquettes demeurent, mais cela n’a rien à voir avec les grands conflits meurtriers qui ont jalonné la seconde moitié du XXème siècle. Dans ces conditions, ils sont peut-être un peu moins enclins à éviter à tout prix le conflit ouvert.

Ce mouvement vers la droite des nouveaux Israéliens participe aussi d’un phénomène de droitisation que l’on observe dans bien d’autres pays à l’heure actuelle.

En même temps, Israël n’est pas à l’abri d’un autre phénomène social, la critique du libéralisme sauvage et la remise en cause de certains fondements du capitalisme.

Les implications de tous ces phénomènes en cours sont encore peu claires.

D’ici là, on s’achemine, semble-t-il, vers une nouvelle victoire de Benjamin Netanyahou. La petite guerre à Gaza plus l’isolement diplomatique donnent un avantage supplémentaire à la droite, favorable au retranchement.

Gideon Kouts est le correspondant à Paris et le chef du bureau européen de la radio-télévision publique israélienne IBA. Il est aussi l’ancien président de l’Association de la presse étrangère (APE) à Paris et enseigne à l’université Paris VIII-Saint-Denis.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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