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«Les Frères musulmans auront du mal à dompter l’esprit de la révolution»

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À quelques jours du référendum sur la constitution égyptienne, l’opposition au président Mohamed Morsi ne désarme pas. Près du Palais présidentiel, laïcs, libéraux, mais aussi partisans de l’ancien régime et sociaux-démocrates se sont réunis au sein d’une force hétérogène pour empêcher le Président, et derrière lui, les Frères musulmans, de poursuivre ce qu’ils appellent, le « vol » de leur révolution.

Pour Karim-Emile Bitar, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales (IRIS), « le mouvement révolutionnaire a encore de beaux restes […] que les Frères musulmans auront du mal à dompter ».

Qui sont les membres de l’opposition ? Est-elle assez homogène pour sérieusement affronter le pouvoir des Frères musulmans ?

 

L’opposition est en effet plurielle et hétérogène. Elle est composée de libéraux, de socialistes, de mouvements de jeunesse et de personnalités issues de différents horizons mais unis par une volonté de refuser la confiscation de la révolution et le retour de l’arbitraire et du pouvoir personnel. Le Front de Salut National rassemble de nombreux partis politiques, le Tagammu, le nouveau Wafd, le parti des Égyptiens libres, le Parti social-démocrate, les Nassériens etc. Les trois personnalités qui se détachent sont Mohammed El Baradei, Amr Moussa et Hamdeen Sabahi. Ils disent vouloir éviter que Mohamed Morsi ne devienne un « nouveau pharaon ».

Cette opposition est solide, malgré son hétérogénéité. Mais il est à craindre que la formation de ce mouvement ne provoque en réaction un rapprochement entre Frères musulmans et salafistes. Depuis quelques semaines, Mohamed Morsi s’appuie de plus en plus sur sa base islamiste et aussi sur les salafistes, alors que les divergences entre Frères musulmans et salafistes étaient un atout pour les non-islamistes.

Quelles sont les grandes lignes de la constitution qui sera peut-être votée le 15 décembre prochain ?

 

Il y a un an, l’homme fort des Frères musulmans, Khairat El Shater, déclarait au New York Times qu’il fallait que le processus de rédaction de la nouvelle constitution soit très inclusif, et que les libéraux, la gauche, les femmes, les coptes, les syndicats et toutes les forces vives participent au processus. Il n’en a rien été. Ce projet constitutionnel est né à la suite d’obscures manœuvres, même les formes n’ont pas été respectées. Il en résulte un texte très médiocre et potentiellement dangereux. La coloration islamiste de cette nouvelle constitution est manifeste. Elle prévoit que la charia est la principale source de législation. Mais beaucoup d’autres articles ouvrent la voie à des interprétations abusives. Ainsi, l’État pourra intervenir pour préserver la « morale » et les « vraies valeurs et la famille égyptienne ». Une simple loi pourra conduire à des condamnations aux travaux forcés. Elle donne par ailleurs un pouvoir très étendu à l’institution religieuse Al Azhar, ce qui pourrait conduire à une dérive théocratique.

Les Frères musulmans mènent une campagne très populiste pour soutenir cette constitution. Ils prétendent qu’un non au référendum paverait la voie à une constitution qui instaurerait une laïcité à l’occidentale et que ce serait la porte ouverte à l’interdiction du voile islamique, au mariage homosexuel et à la perte des valeurs traditionnelles.

L’affrontement entre « libéraux » et « islamistes » était-il prévisible au moment de l’élection de Mohamed Morsi ?

 

Oui, mais il faut rappeler que l’affrontement actuel dépasse le traditionnel clivage entre « laïcs » et religieux. Les mouvements de l’opposition n’ont pas remis en cause l’article 2 et le fait que la charia soit source de législation. Ils savent que cela est finalement une question d’interprétation. Aucun n’a exigé une « laïcité » à l’occidentale ou une séparation totale de la religion et de la politique. Ce à quoi ils se sont surtout opposés, c’est à la façon qu’ont les Frères musulmans d’exercer le pouvoir et de chercher à en détenir tous les leviers. Un homme politique issu de la mouvance islamiste, Abdel Moneim Abou El Foutouh, ancien candidat populaire à la présidence de la République, est lui aussi très critique.

Pourquoi les États-Unis sont-ils si absents de cette crise ?

 

Les États-Unis semblent être parvenus à un modus vivendi avec les Frères musulmans, avec lesquels ils avaient ouvert le dialogue depuis plusieurs années déjà. Khairat El Shater est très bien connu du Département d’État. Pour les États-Unis, il y a une priorité absolue : que l’Égypte respecte le traité de paix de Camp David avec Israël. Tout le reste semble secondaire. Et on peut en effet considérer que la réaction des États-Unis face à la dérive autoritaire de Mohamed Morsi fut une réaction beaucoup trop timorée. Il est à craindre que l’on ne retombe dans le paradigme qui prévalait à l’époque de Moubarak, à savoir qu’on s’accommoderait des atteintes aux libertés et des manquements démocratiques tant que les grands intérêts géostratégiques sont préservés. Les États-Unis ont apprécié l’attitude de Mohamed Morsi durant la crise de Gaza et il en a profité pour annoncer son décret le lendemain.

Assiste-t-on à un deuxième Printemps arabe en Égypte ?

 

Non, mais nous avons vu que le mouvement révolutionnaire avait encore de beaux restes, que la jeunesse libérale refusait de se laisser déposséder des acquis et de voir la révolution confisquée et l’autoritarisme restauré. Le décret de Mohamed Morsi a été un coup de fouet qui a réveillé les libéraux et la gauche. Ils se sont montrés résilients et la bataille va se poursuivre. En cela, on voit que la révolution a créé un climat anti-autoritaire et libéral que les Frères musulmans auront du mal à dompter.

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