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C.Steuer: «Tant d’espoirs révolutionnaires perdus en Égypte»

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Le début de la révolution égyptienne fête son deuxième anniversaire. Deux années riches et mouvementées pour les Égyptiens qui ont amorcé la reconstruction de leur État après avoir évincé Hosni Moubarak du pouvoir et porté Mohamed Morsi à la présidence.

C’est aux lendemains des révolutions que se découvrent souvent les multiples visages d’un peuple. Et pour les Égyptiens, qui n’avaient jusqu’à ce jour jamais connu la démocratie, la reconstruction est lente, fragile et parfois douloureuse.

Clément Steuer, chercheur en sciences politiques, analyse pour JOL Press les réussites et les zones d’ombre de ces deux années égyptiennes.

JOL Press : Deux ans après le début de la révolution égyptienne, estimez-vous que les revendications des manifestants de la Place Tahrir ont abouti ?
 

Clément Steuer : En partie seulement. Pour l’instant, la révolution amorcée le 25 janvier 2011 a principalement débouché sur une ouverture du champ politique, le démantèlement d’une partie des structures de l’ancien régime et l’abolition de l’état d’urgence.

Alors que le multipartisme était strictement limité et encadré depuis son instauration en 1977, la voie est désormais ouverte à la création de nouveaux partis politiques, émanant de différents courants plus ou moins puissamment ancrés dans la société égyptienne. Bien entendu, les principaux bénéficiaires de cette évolution ont été les mouvements islamistes, jusqu’alors exclus du jeu politique, ou partiellement intégrés, comme lors des législatives de 2005 où les Frères musulmans étaient parvenus à occuper un cinquième des sièges à l’Assemblée du peuple. Cependant, la nouvelle loi des partis a également modifié la donne dans le camp libéral, ou le parti des Égyptiens libres s’est rapidement posé en challenger du parti quasi-centenaire du Wafd, et parmi les militants socialistes, qui ont pu s’émanciper de la tutelle des partis historiques – le parti nassérien et le Tagammu – issus de l’ancien parti unique hérité de Nasser, l’Union socialiste arabe. Il existe désormais plusieurs partis ouvriers indépendants, ainsi qu’un parti animé par des intellectuels de gauche, le parti égyptien social-démocrate.

Une victoire pour le multipartisme

Par ailleurs, la dissolution de l’ancien parti hégémonique, le PND, sur décision de justice en avril 2011, et la fin de la tolérance de l’État envers les pratiques de fraudes et de violences électorales, ont entraîné une rapide recomposition du paysage politique égyptien. Si ce dernier est désormais dominé par les mouvements islamistes, les partis libéraux et socialistes sont parvenus à se constituer en une force d’opposition présente à l’Assemblée et capable de peser dans les scrutins présidentiels et référendaires. Enfin, l’abolition de l’état d’urgence, constamment renouvelé depuis 1981, répond à une ancienne demande de l’opposition, toutes tendances confondues. Outre qu’elle lève une grave hypothèque sur les libertés individuelles, cette abolition représente la fin d’une lourde entrave aux activités politiques, syndicales et associatives en Égypte. L’abandon par le régime de ces différents éléments de contrôle de l’espace politique caractéristiques de l’autoritarisme a ainsi débouché sur un transfert du pouvoir exécutif des mains de l’armée à celle d’un civil régulièrement élu.

Frustration et colère d’une partie de l’opinion

Néanmoins, une grande partie des espérances révolutionnaires – que l’on pourrait résumer par le slogan « pain, liberté et justice sociale » – n’ont pour l’instant pas été satisfaites. L’opposition estime que la nouvelle constitution, adoptée par référendum le 22 décembre 2013, ne garantit pas suffisamment les libertés individuelles. Les lacunes en matière de liberté de la presse et de liberté d’opinion sont particulièrement pointées du doigt, ainsi que les articles concernant l’indépendance de la justice. Par ailleurs, en stipulant qu’il ne peut exister qu’un seul syndicat par branche d’activité, ce texte constitutionnel pérennise l’une des principales limites à la liberté syndicale mise en place par l’ancien régime. Non seulement les principales revendications sociales (salaire minimum, liberté syndicale, lutte contre le chômage des jeunes et le coût de la vie) n’ont pas abouti, mais encore les difficultés économiques ont encore aggravé la situation des classes populaires et moyennes, du fait de l’inflation et de l’augmentation des taxes. Enfin, la crise du tourisme liée à l’instabilité politique du pays a privé de larges secteurs de la société de leur principale source de revenu. Ces espérances déçues nourrissent la frustration et la colère d’une partie de l’opinion, qui estime que la révolution a été confisquée par les islamistes, et qu’il convient de la compléter en chassant ces derniers du pouvoir.

JOL Press : Après leur échec pour faire annuler le référendum sur la constitution qu’ils jugeaient liberticide, quelle est, aujourd’hui, la position de l’opposition ?
 

Clément Steuer : Une partie de l’opposition – et notamment les organisations révolutionnaires de la jeunesse – continue de revendiquer l’abolition de cette constitution. Signalons d’ailleurs que la Haute cour constitutionnelle n’a toujours pas eu l’occasion de se prononcer sur la légalité de la commission constituante qui a rédigé ce document contesté, ni sur celle du référendum constitutionnel de décembre. Certains observateurs estiment qu’elle pourrait se saisir de cette question à l’occasion de l’examen de la loi électorale qui lui a été déférée cette semaine. En effet, à la suite de l’annulation de la précédente loi électorale par la même cour constitutionnelle, survenue le 14 juin 2012, l’Assemblée du peuple élue l’année dernière a été dissoute. De nouvelles élections législatives doivent en conséquence être organisées dans les prochaines mois, et les partis de l’opposition pourraient en profiter pour faire reculer le poids des islamistes dans les urnes. De fait, le Front de salut national conditionne sa participation à ces élections à l’acceptation par le pouvoir en place d’un certain nombre de garanties concernant la transparence du scrutin, ainsi qu’à un redécoupage des circonscriptions électorales.

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