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G. Kouts: «La percée des centristes forcera B. Netanyahou à se modérer»

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JOL Press : Recul de Benjamin Netanyahou, percée du centriste et ancien journaliste-vedette, Yaïr Lapid… Les instituts de sondage se sont donc trompés ?

Gideon Kouts : Non, on ne peut pas dire qu’ils se soient véritablement trompés.

Benjamin Netanyahou avait perdu du terrain au cours des dernières semaines au profit des religieux de Naftali Bennett. Cela s’est confirmé.

La surprise vient effectivement de la répartition des voix au sein du centre-gauche. Shaul Mofaz, le leader de Kadima, prédisait que son parti serait la surprise de ces élections et conserverait l’essentiel de sa représentation parlementaire ; il sort laminé avec 2 voix. Tzipi Livni sort son épingle du jeu, mais modestement avec 6 députés pour HaTnouha. Quant à Yaïr Lapid et son mouvement Yesh Atid, ils déjouent tous les pronostics et deviennent le deuxième parti de la Knesset avec 19 élus.

JOL Press : Certes, c’est une surprise de taille. Mais il n’était pas prévu que le « bloc de droite » et le « bloc de gauche » soient à égalité parfaite avec 60 sièges chacun…

Gideon Kouts : Il est incorrect de parler d’égalité entre la droite et la gauche. S’il existe un « bloc de droite » – le Likoud de Benjamin Netanyahou, Israël Beiteinou d’Avigdor Lieberman, le parti de Naftali Bennett et les mouvements religieux orthodoxes -, une coalition qui dirigeait le pays, il n’existe pas de « bloc de gauche ».

Impensable d’imaginer une coalition gouvernementale qui irait des élus arabes israéliens et du Meretz – à l’extrême gauche – jusqu’au centre version Yaïr Lapid en passant par le parti travailliste, Kadima et HaTnouha. Impensable ! Ce serait comme imaginer, en France, un gouvernement de Besancenot à Borloo…

JOL Press : Donc, le centre gauche en Israël n’est pas à gauche ?

Gideon Kouts : Par tradition, le centre en Israël n’est jamais à gauche. Le père de Yaïr Lapid avait lui-même créé un parti centriste qui a contribué largement à la création de Kadima – et le premier leader de Kadima fut l’ancien Premier ministre Ariel Sharon, qui n’était pas un homme de gauche, pas même un centriste…

JOL Press : Benjamin Netanyahou a donc perdu des voix à droite – au profit de Naftali Bennett – et au centre – au profit de Yaïr Lapid – et c’est donc ce qui explique cette illusion d’égalité entre la droite et une gauche virtuelle. C’est bien cela ?

Gideon Kouts : Absolument. Yaïr Lapid a profité de deux phénomènes… D’abord, des électeurs indécis se sont portés sur sa candidature, séduits par ses réponses à ces problématiques qui ont été, contre toute attente, au cœur de la campagne – à savoir les questions économiques, sociales et sociétales – comme par exemple, la loi sur l’égalité entre religieux et laïques, la situation des classes moyennes dont les conditions de vie se sont dégradées.

Les sujets de sécurité et tout ce qui relève du processus de paix ayant été placés au second plan – et pratiquement absent de la campagne -, d’anciens électeurs de Benjamin Netanyahou se sont laissé séduire par le discours plus modéré de Yaïr Lapid.

Cela explique sa percée.

JOL Press : Dans ces conditions, quelle coalition pour quel gouvernement ?

Gideon Kouts : Yaïr Lapid l’a déjà dit, il est prêt à aller au gouvernement. Non seulement, il va y aller ; mais, il va y aller à ses conditions ou presque. Il est en position de faiseur de Premier ministre et peut demander n’importe quel poste sauf celui de Benjamin Netanyahou.

JOL Press : Yaïr Lapid Premier ministre, c’est impensable ?

Gideon Kouts : Le premier groupe de la Knesset sera celui constitué par les élus de la liste Likoud-Israël Beiteinou et il est donc normal que le président Shimon Peres demande en premier lieu à Benjamin Netanyahou de tenter de former un gouvernement.

JOL Press : Avec qui ?

Gideon Kouts : Avec  ses élus, Yaïr Lapid, Naftali Bennett et probablement les partis religieux.

A priori, les agendas du parti religieux Shass et de Yaïr Lapid ne sont pas compatibles mais les responsables du Shass ont déjà dit qu’il leur semblait indispensable de trouver une solution à la question du service militaire pour les religieux.

Le Shass, ultrareligieux, est aussi un parti social, représentant les couches les plus populaires et défavorisées. C’est un parti de gouvernement par définition, il a été créé pour cela. Et si Yaïr Lapid insistait pour que les questions sociales soient au cœur des priorités du prochain gouvernement Netanyahou, les deux mouvements pourraient parfaitement cohabiter.

JOL Press : Un gouvernement de grande coalition, du grand écart…

Gideon Kouts : Après les précédentes élections en 2009, le parti travailliste, pourtant bien plus à gauche que Yesh Atid de Yaïr Lapid avait rejoint le gouvernement et Ehud Barak, son leader d’alors et ancien Premier ministre, est toujours le ministre de la Défense du gouvernement sortant – même s’il est sur le point de mettre un terme à sa carrière politique.

Pour autant, si le prochain gouvernement de Benjamin Netanyahou ne sera pas un gouvernement d’extrême droite, ce ne sera pas non plus un gouvernement de gauche – même s’il sera sans doute amené à prendre en considération les effets de la contestation sociale en cours.

Et cela pourrait faciliter aussi les avancées sur la question des pourparlers de paix, même si, véritablement, cela ne sera pas en tête des préoccupations.

JOL Press :  Une telle coalition, cela peut durer longtemps ?

Gideon Kouts : C’est la véritable question. Le Premier ministre ne pourra pas faire ce qu’il veut. En fonction du climat politique, il pourrait user de son pouvoir de dissolution de la Knesset d’ici un an ou deux ans. Et d’ici là, nous verrons renaître l’incessant débat sur la réforme du mode de scrutin…

Mais la durée de ce gouvernement dépendra aussi largement du contexte international.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press      

[image:2,s] Gideon Kouts est le correspondant à Paris et le chef du bureau européen de la radio-télévision publique israélienne IBA. Il est aussi l’ancien président de l’Association de la presse étrangère (APE) à Paris et enseigne à l’université Paris VIII-Saint-Denis.

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