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Les erreurs stratégiques du traité de Maastricht

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Les auteurs du Cercle Turgot livrent une lecture d’ensemble des chocs successifs qui ont affecté le monde de la finance au cours des vingt-cinq dernières années, et explorent le profond changement de paradigme en cours.

Cette mutation conduit à repenser complètement les systèmes de régulation financière, mais aussi les visions communément admises de l’entreprise et de la banque. Issus des mondes de la finance, de l’industrie, de la haute administration ou de l’université, les auteurs esquissent, par leurs analyses croisées, le « monde d’après » et ses implications économiques et sociales. Ils émettent des signaux annonciateurs des évolutions ou des crises futures.

Accompagnant la 25e édition du prix Turgot du meilleur livre d’économie financière, cet ouvrage offre au lecteur une vision d’ensemble originale des grandes problématiques financières contemporaines.

Extraits de Grandeur et misère de la finance moderne – Regards croisés de 45 économistes (Eyrolles)

À la fin des années 1980, grâce aux réformes menées par Édouard Balladur en 1986-1987 (libéralisation de l’économie, forte baisse du déficit public) et au gouvernement raisonnable de Michel Rocard, de mai 1988 à mai 1991 (CSG, livre blanc sur les retraites, même si la dépense publique dérape), la croissance revient à un niveau élevé (hausse moyenne de 3,5 % en 1988- 1990).

Lors de la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, la France apparaît solide alors que l’Allemagne se cherche. En contrepartie de la réunification allemande qui intervient sur le plan monétaire dès le 1er juillet 1990, avant même l’union politique du 3 octobre 1990, François Mitterrand exige que l’Allemagne consolide son ancrage européen avec la mise en place d’une union économique et monétaire.

Un débat intense d’opportunité politique et de stratégie économique s’engage alors entre la France et l’Allemagne. Parce que la France semble solide et que l’Allemagne ne veut pas partager son pouvoir monétaire avec les pays du sud de l’Europe dont l’économie lui paraît fragile et la gestion publique inconséquente, la Bundesbank fait tout pour que l’union monétaire se fasse à cinq : Allemagne, France et les trois pays du Benelux. Mitterrand refuse en ne voulant pas laisser l’Italie hors de la construction monétaire. C’est ainsi que les Allemands ne consentiront, lors de la négociation du traité de Maastricht en décembre 1991, à l’union monétaire potentiellement ouverte aux douze membres de l’Union à ce moment-là, qu’en contrepartie de critères stricts.

Trois erreurs majeures, qui hantent l’Europe depuis, sont alors commises à Maastricht.

D’abord on crée une union monétaire potentiellement ouverte à tous les pays qui entreront ensuite dans l’Europe, semant ainsi les graines des crises monétaires futures lorsque des pays ayant des économies faibles, devenus membres de l’Union européenne, prétendront entrer dans la zone euro.

Ensuite, on permet à deux pays membres de l’Europe des douze (Royaume-Uni et Danemark) de ne pas entrer dans l’union monétaire tout en exerçant la plénitude de leurs droits au sein de l’Union.

Enfin et surtout, on entérine le fait que le principe fondateur de l’Union sera la concurrence fiscale et sociale, car les décisions dans ces domaines sont expressément exclues des décisions prises à la majorité qui doivent devenir la norme de la prise de décision au sein du Conseil des ministres européens. En conséquence, les questions fiscales et sociales doivent être expressément décidées à l’unanimité, ce qui donne un pouvoir de veto même au plus petit État membre. L’Irlande mène une politique de concurrence fiscale violente avec un taux d’impôt sur les sociétés (IS) à 12,5 %, un comportement qui officialise le droit des pays membres de l’Union à se conduire en prédateurs de la valeur ajoutée économique produite dans les autres États. L’Irlande obtiendra même de conserver ce taux d’IS prédateur lorsque l’Union lui apportera 85 milliards d’euros d’aides en novembre 2010. Les trois pays entrés dans l’Union en 1973 (Royaume-Uni, Danemark, Irlande), lors du premier élargissement de la Communauté européenne, ne respecteront jamais l’esprit originel de la Communauté imaginé en 1957 pour éviter la répétition des guerres qui ensanglantent le continent depuis trois siècles. Ce sera pire lors du grand élargissement de mai 2004 qui fera entrer dix pays dans ce qu’ils vont considérer être un « supermarché aux subventions » où l’on se sert sur l’étagère, sans avoir d’obligations en retour. Deux nouveaux pays porteront ensuite l’Union à 27 membres dont les deux tiers sont désormais acquis aux « bienfaits » de la concurrence fiscale et sociale avec la bénédiction des institutions européennes.

Il est essentiel de bien comprendre ce qui s’est passé à Maastricht. Sous l’apparence d’un renforcement des souverainetés partagées, s’est effectivement mise en place une Europe des égoïsmes et de la prédation fondée sur l’affirmation du principe de concurrence fiscale et sociale entre les peuples européens.

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Christian Saint-Étienne est un économiste, professeur titulaire de la chaire d’économie au Conservatoire national des arts et métiers. Ancien membre du Conseil d’analyse économique, Christian Saint-Etienne est l’auteur, entre autres, de La France est-elle en faillite ? et La Fin de l’euro, tous deux publiés aux éditions Bourin en 2008 et 2009. Il a également signé L’Incohérence française, paru chez Grasset, et Le Joker européen, édité chez Odile Jacob en 2012.

Grandeur et misère de la finance moderne – Regards croisés de 45 économistes, Eyrolles (3 janvier 2013)

Le Cercle Turgot rassemble les meilleurs experts francophones du monde de la finance, universitaires, dirigeants d’entreprises et d’institutions réputées, dont plusieurs auteurs des derniers best-sellers économiques. De grands acteurs de la finance sont ainsi rassemblés dans cette initiative inédite coordonnée par Jean-Louis Chambon et Jean-Jacques Pluchart.

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