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Pourquoi l’Europe n’a pas aidé la France au Mali

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Les prouesses militaires de la France ne semblent toujours pas pleinement appréciées aux États-Unis.

Pourtant, peu de troupes ailleurs dans le monde sont mieux préparées que l’infanterie de marine, la légion étrangère ou toute autre unité d’élite française en route vers le nord du Mali pour affronter les rebelles djihadistes qui contrôlent le territoire.

L’armée française : la plus apte à intervenir au Sahel

« Les forces spéciales françaises sont au top, ce sont les meilleurs d’entre eux qui sont sur place, explique Brooks Tigner, analyste politique en chef de Security Europe, un bulletin d’informations spécialisé. Ils ont une grande expérience dans les expéditions militaire en Afrique de l’Ouest. Ils connaissent parfaitement le territoire, ses frontières, sa topographie et les problèmes ethniques qui s’y jouent. Ils sont donc très bien placés pour intervenir. »

Parmi les alliés européens des États-Unis, seuls les Britanniques sont à même d’égaliser la capacité française à mobiliser un tel dispositif militaire à l’étranger. Cependant, ils ne disposent pas de l’expérience acquise par la France dans ses anciennes colonies d’Afrique du Nord et de l’Ouest – où la récente montée en puissance de groupes islamistes est devenue une menace pour la sécurité de la communauté internationale.

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Un passé militaire en Afrique du Nord

Les troupes françaises ont déjà été déployées dans plus d’une douzaine de missions en Afrique au cours des deux dernières décennies. C’est l’aviation franco-anglaise qui dirigeait la campagne aérienne de l’Otan menée en Libye en 2011. La même année, les forces françaises parvenaient à endiguer une guerre civile en Côte d’Ivoire. Et trois ans plus tôt, la France se faisait le fer de lance d’une opération européenne de prévention d’un conflit au Soudan qui menaçait de s’étendre au Tchad.

Et malgré l’enlisement des discussions qui avaient précédé chacune de ces opérations, les troupes françaises avaient atteint leurs objectifs à moindre frais.

Une reconquête longue et coûteuse

La presse française a émis l’idée que les opérations en cours pour reconquérir un territoire grand comme deux fois la France risquaient à terme de dégénérer en un conflit semblable au bourbier afghan. Pourtant, les dirigeants français semblent faire confiance à leurs 2500 soldats pour terminer le travail puis redonner le contrôle du pays aux troupes africaines locales.

« Notre objectif est la reconquête totale du Mali, avait déclaré le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian à la télévision. Nous ne partirons pas tant qu’il restera la moindre poche de résistance. »

Pourtant, en dépit de leur confiance, les Français sont bien conscients qu’un conflit prolongé contre des opposants islamistes bien armés et très motivés pourrait affaiblir leurs forces et leurs finances. À l’instar d’autres pays européens, la France a dû faire des coupes dans son budget de la défense pour mieux faire face à la crise économique.

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« Une armée de poche d’une grande qualité »

Pour la première fois, les dépenses militaires françaises en 2011 sont passées en dessous de l’objectif des 2 % du PIB fixé par l’Otan.

Selon les derniers chiffres de l’Otan pour 2011, les seuls membres de l’alliance nord-atlantique à respecter cet objectif, à part les États-Unis, étaient la Grande-Bretagne et la Grèce, pourtant ravagée par la crise. En comparaison, les États-Unis continuent de consacrer 4,8 % de leur PIB à la défense.

Ces coupes budgétaires ont eu des répercussions à plus long terme. Les effectifs militaires français ont chuté de 548 000 à 227 000 hommes depuis 1990. Les analystes militaires pensent qu’actuellement la France ne peut soutenir le déploiement que de 30 000 soldats à l’étranger, contre 50 000 dix ans plus tôt. Certains responsables doutent même de cette capacité.

« Nous avons une armée de poche d’une grande qualité, mais finalement assez vulnérable, » affirmait un rapport du Sénat publié l’année dernière.

Les lacunes de l’armée française : le transport…

Avant le déploiement au Mali, la France avait déjà 4750 soldats dispersés autour du monde, dont 1650 en Afghanistan, 950 au Tchad, 900 au Liban et 460 en Côte d’Ivoire. Et bien que les effectifs envoyés au Mali soient relativement petits, les soldats français ont dû être conduits en Afrique de l’Ouest par des véhicules de transport britanniques et américains.

Le transport aérien stratégique est un problème de longue date qui devrait être résolu par la livraison de nouveaux avions de transport A400M, actuellement construits par Airbus. 50 appareils de ce genre ont été commandés, et les trois premiers devraient arriver dans la seconde moitié de l’année 2013.

… et l’observation aérienne

Une autre lacune de l’armée française réside en l’absence de drones et de satellites de surveillance, qui pourraient néanmoins s’avérer cruciaux si les troupes françaises devaient poursuivre de petits groupes d’islamistes à travers les terrains désertiques du Nord-Mali.

« Ils leur manque des yeux dans le ciel qui pourraient traquer des cibles mouvantes en temps réel, » remarque Brooks Tigners. Et, une fois encore, l’aide des Anglais et des Américains pourrait leur être utile.

Même si le gouvernement français a promptement remercié les alliés pour leur aide, une certaine aigreur s’est installée dans les relations avec les autres pays européens qui n’ont pas été plus avenants.

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La difficulté d’une coopération militaire européenne

« L’Europe ne peut pas toujours laisser la responsabilité à un unique État-membre, » signale Arnaud Danjean, membre de la sous-commission Sécurité et Défense du Parlement européen. Pourtant, selon lui, tous ces États sont bien conscients d’être concernés par la menace islamiste en provenance du Sahel. Ce n’est pas pour cela qu’ils ont proposé d’envoyer des troupes au Mali, laissant ainsi la France « représenter » l’armée européenne à elle seule.

Les autorités françaises se sont longtemps plaintes que les efforts réalisés pour conférer à l’Union européenne un rôle de défense ont échoué parce que les pays-membres n’ont jamais pu – ou voulu – envoyer des troupes dans les points chauds de la planète.

Les Européens gardiens de la paix, mais pas bellicistes

Les dépenses militaires ont été fortement réduites dans toute l’Europe ces dernières années. Les États-Unis, qui fournissaient la moitié du budget de la défense de l’Otan pendant la guerre froide, en paie désormais les trois quarts.

Même les pays possédant de grandes armées sont incapables, ou ne souhaitent pas, déployer leurs hommes. Bien que l’Allemagne possède environ 200 000 soldats, moins de 9000 seraient en réalité disponibles pour un déploiement à l’étranger – dans l’hypothèse peu probable où le gouvernement serait prêt à les y envoyer.

« Beaucoup d’Européens ont envoyé des hommes pour des missions de paix. Mais comme nous l’avons vu en Libye, et comme nous le voyons au Mali, peu de pays ont vraiment envie de faire feu, de se battre ou de se lancer dans des bombardements, explique Daniel Keohane, directeur des affaires stratégiques à la FRIDE, un think-tank sur les relations internationales. La façon d’utiliser ses forces militaires divise profondément les pays membres de l’Europe. »

L’Europe a-t-elle fui ses responsabilités ?

En 2007, les membres de l’Union Européenne avaient mis en place un système de rotation concernant l’entretien de deux unités tactiques ultramobiles de 1500 hommes chacune, constamment prêtes pour un déploiement d’urgence. Cependant, il n’a jamais été convenu d’utiliser ces troupes.

Ce que l’Union européenne avait de mieux à envoyer au Mali fut donc 450 soldats pour une mission d’entraînement de l’armée malienne affaiblie.

« La France est intervenue parce que le problème au Sahel est sur le point de devenir une menace sérieuse pour l’Europe, pouvait-on lire dans le quotidien allemand Suddeutsche Zeitung la semaine dernière. Elle a dû y aller seule parce que les autres États européens ont fui leurs responsabilités. Cela en dit long sur l’état de la sécurité européenne et de la politique de défense commune. Et rien de tout cela n’est bon… »

GlobalPost / Adaptation : Antonin Marot pour JOL Press

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