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Égypte: deux ans après, les figures de la révolution plus que jamais divisées

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Des milieux sociaux différents, mais un même objectif : renverser Moubarak

Il y a deux ans, le 11 février 2011, les membres de la Coalition de la jeunesse révolutionnaire ne voyaient pas les nuages ​​sombres de l’intérieur de leur « tente verte », plantée place Tahrir. Ils étaient emportés par l’émotion des manifestations massives sur lesquelles le monde avait les yeux rivés.

Ils venaient de tous les coins du Caire. Des jeunes hommes des Frères musulmans avec des tapis de prière, et une femme chrétienne copte qui portait un pendentif en forme de croix et de croissant entremêlés. Ils venaient de quartiers riches et de quartiers pauvres. Ils étaient avocats, avaient fait de belles études, ou étaient des ouvriers peu scolarisés. Certains avaient des aspirations politiques et d’autres avaient des idéaux socialistes. Mais ils étaient tous concentrés sur un seul objectif : renverser l’autocrate Hosni Moubarak, soutenu par les Américains.

« Ce soir-là, j’étais avec eux dans la tente lorsqu’ils ont signé l’acte de naissance d’une Égypte libre »

Et ce soir-là, j’étais avec eux dans la « tente verte » lorsque Moubarak a annoncé qu’il se retirait après trente ans de brutalité et de corruption. J’étais avec eux alors qu’ils s’embrassaient et pleuraient littéralement de joie pendant que des feux d’artifice éclataient dans le ciel étoilé, et l’on pouvait même voir les éclairs de lumière à travers la toile verte transparente de la tente.

Cette nuit-là, une multitude de jeunes se sont entassés en utilisant la faible lumière de leurs téléphones portables pour conclure un document qu’ils ont appelé « l’acte de naissance d’une Égypte libre », écrit sur ​​un bout de carton. Un beau et idéaliste – voire poétique – document appelant à une nouvelle ère en Égypte. Ils ont tous signé.

Ils se vantaient qu’un jour, le document écrit « crûment » mais joliment formulé serait dans un musée célébrant la révolution. Et la « tente verte » aurait sa place au musée, aussi. Pour une partie des Frères musulmans, sa couleur verte était un grand symbole à la fois de l’islam et de cette nation démocratique placée sous la vertu de Dieu et sous les lois de la charia. Les jeunes plus laïques, et la femme chrétienne de la coalition ne le verront sûrement plus jamais de cette façon, mais ils étaient peut-être trop bouleversés à ce moment-là pour montrer leur désaccord avec les jeunes Frères musulmans.

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Des différences inconciliables

Ils étaient tous concentrés sur la manière dont la tente représentait religieux et laïcs, riches et pauvres, chrétiens et musulmans, qui s’étaient tous rassemblés littéralement sous cette tente, pour renverser Moubarak. Ils ont fait l’Histoire. Et c’est ce qui importait.

Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que ce soir de février, marqué par l’unité et la célébration de la démission de Moubarak, était en fait le point de départ où toutes leurs différences commenceraient à émerger, comme les fissures dans une fondation qui s’effondre. Ce qu’ils ne savaient pas alors, c’est que les divisions – en particulier entre les religieux et les mouvements laïques – seraient finalement inconciliables et pousseraient l’Égypte post-révolutionnaire à s’effondrer sur elle-même.

Autrement dit, même si vous appelez ce qui s’est passé une « révolution », pour beaucoup, il s’agit plutôt d’un coup d’État militaire la première année, suivi d’une élection populaire qui a ensuite remplacé une autocratie rigide et impitoyable en une théocratie maladroite et claustrophobe.

Il y a tellement de haine entre certains membres de la coalition aujourd’hui dissoute – en particulier entre les islamistes et les laïcs – qu’ils ont refusé de se réunir dans un café pour une réunion. Quelques-uns ne sont plus en bons termes, comme je l’ai appris dans une tentative de rassembler la coalition pour discuter de la situation en Égypte.

Un retour à la case départ ?

Au lieu d’une réunion, je me suis retrouvé à faire la navette entre des petits groupes politiques aux opinions semblables, miroir de la façon dont le groupe s’est scindé politiquement. Dans les conversations, le cœur du débat portait sur ce dont la révolution avait besoin pour s’accomplir, et si elle était la conséquence de la croyance islamiste mise en avant par la démocratie, ou bien l’échec d’un mouvement laïque, détourné par les Frères musulmans.

Une des rares choses qu’ils partagent maintenant sont les regrets. La plupart de ces regrets sont centrés sur la façon dont ils ont malmené un moment de l’Histoire, sur la façon dont ils ont perdu le contrôle d’une révolution qui leur tenait tellement à cœur au début.

« Je pense que nous en sommes au même stade qu’avant la révolution. Nous sommes de retour à la case départ, la répression policière est toujours aussi brutale et la nouvelle dictature est tout aussi mauvaise que la précédente », se désole Sally Moore, qui est venue à la Coalition de la jeunesse révolutionnaire comme partisane du chef de l’opposition, Mohamed ElBaradei.

« Nous aurions dû lutter pour avoir une Constitution solide »

Elle est psychologue de formation et membre de la minorité chrétienne égyptienne connue sous le nom de « coptes ». Et de tous les membres de la coalition aujourd’hui dissoute, elle semblait la plus déprimée sur l’avenir, sur une Constitution imparfaite qui ne parvient pas à la protéger en tant que femme et en tant que minorité religieuse.

« Nous avons tout gâché. Nous aurions dû lutter pour avoir d’abord une Constitution solide, puis l’utiliser comme base pour les élections. Mais nous avons fait le contraire et cela s’est avéré désastreux pour nous tous. Il suffit de regarder autour de vous », dit-elle, agitant sa main au-dessus d’un journal sur la table d’un café du Caire, qui montre, gros titres et grandes photos à l’appui, les funérailles de l’un des cinquante manifestants tués dans les affrontements qui ont secoué l’Égypte la semaine dernière.

« Je ne peux pas voir les Frères musulmans sans vouloir les frapper au visage »

Sally Moore était habillée tout en noir et venait du palais présidentiel, où les manifestations étaient encore frémissantes. Elle marchait avec des béquilles après s’être blessée à la cheville lors du tournage d’un documentaire sur les manifestations. Elle ne voulait pas se joindre à une réunion plus tôt avec ses anciens collègues, car des membres des Jeunes Frères musulmans étaient présents, et qu’elle « ne peut pas les voir sans crier après eux et vouloir les frapper au visage », explique-t-elle.

Elle ajoute qu’elle a l’impression que les Frères musulmans ont volé la révolution, et que les femmes, les membres de la minorité chrétienne et « ceux qui croient dans les idéaux de la démocratie » ont tout perdu. Mais elle a accepté de se joindre à moi pour prendre un café avec Bassem Kamel, un membre un peu dégarni de l’ancienne coalition, qui est venu vêtu d’un costume gris et d’une chemise blanche immaculée avec des boutons de manchette.

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« Morsi essaie de fermer les portes que nous avons ouvertes »

Il y a deux ans, il était un chef de file de l’aile « jeune » de la campagne de Mohamed El Baradei, qui n’a mené à rien lors de l’élection présidentielle. Il a finalement rompu avec la campagne égyptienne, et a rejoint le Parti social-démocrate. Il a fait campagne pour la chambre basse du Parlement l’année dernière, et a remporté un siège. Mais la Haute Cour de l’Égypte a déclaré que près d’un tiers des sièges à la chambre basse étaient contestés, et donc toute la chambre basse du Parlement a été dissoute par les généraux au pouvoir.

Cela a laissé à Bassem Kamel et à d’autres un goût amer dans la bouche, et ils attendent désormais la nouvelle élection qui aura lieu au plus tôt en avril, selon le moment choisi par le gouvernement de Mohamed Morsi.

« Je suis en désaccord avec Sally. Je pense que nous nous trouvons dans une meilleure situation. Mais quand je dis cela, j’insiste aussi pour dire que je pense que Morsi est pire que Moubarak. Vraiment. Mais je trouve que les gens sont plus libres maintenant, et qu’ils peuvent exprimer leur opinion. Nous avons l’espoir d’un changement, même si en ce moment nous avons Morsi qui, je trouve, est un fasciste. Il nous trompe sur notre avenir et il le fait avec des mots religieux. Il essaie de fermer les portes que nous avons ouvertes », a déclaré Kamel.

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GlobalPost / Adapation : Anaïs Lefébure pour JOL Press

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