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Liban: le projet de loi électorale qui divise ce pays multi-confessionnel

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Tous les quatre ans, les 128 députés de l’Assemblée libanaise – unique chambre législative du pays – sont renouvelés ; la moitié sont des chrétiens, et l’autre moitié des musulmans. Cette année, un nouveau mode de scrutin pourrait bien changer le visage de la Chambre des députés.

Réunies mardi 19 février au siège du Parlement libanais, situé place de l’Étoile à Beyrouth, sous la présidence de Nabih Berri, les commissions parlementaires ont en effet approuvé un projet de loi électorale suggéré par le rassemblement dit « orthodoxe », pourtant loin de faire l’unanimité.

Vers un communautarisme politique accru ?

Après des mois de discussions et de tractations entre les différents partis libanais, un projet, très controversé, a été aprouvé mardi par des commissions parlementaires conjointes, en vue des prochaines élections législatives qui devraient se tenir au mois de juin prochain.

Ce projet de loi électorale dit du « rassemblement orthodoxe » prévoit désormais que chaque communauté confessionnelle élise ses propres députés. Autrement dit, maronites, sunnites, chiites, druzes, grecs-orthodoxes, arméniens-catholiques et toutes les autres confessions présentes au Liban ne pourront voter que pour les candidats issus de leur propre communauté, et ce indépendamment de leur ancrage local. Un électeur maronite ne pourra donc pas voter pour un candidat chiite, et inversement.

Concernant les électeurs juifs, petite minorité présente au Liban, ceux-ci  « auront le droit de voter pour le candidat chrétien ou musulman de leur choix ».

Une circonscription unique, un mode de scrutin à la proportionnelle

Le projet de loi, qui s’inscrit dans un jeu politique traditionnellement complexe, du fait de la grande diversité de confessions au Liban, a déchiré la classe politique libanaise.

Et malgré la Constitution libanaise, qui indique clairement que « la suppression du confessionnalisme politique constitue un but national essentiel pour la réalisation duquel il est nécessaire d’œuvrer », le projet de loi a été approuvé. Soumis au Parlement dans les jours qui viennent, cette proposition, si elle est appliquée, aura lieu dans le cadre d’une circonscription unique, selon un mode de scrutin à la proportionnelle.

Création de sièges supplémentaires au Parlement

Jusqu’alors, le système s’appuie sur un ensemble de 26 circonscriptions, dont les tailles sont variables, et les sièges sont répartis par communautés et circonscriptions. Les partis chrétiens reprochent ainsi au système actuel et aux lois électorales en vigueur depuis des années de faire élire la majorité des députés chrétiens par des voix musulmanes, dans les régions où les chrétiens sont minoritaires.

Le quotidien libanais L’Orient-Le Jour rappelle que le projet prévoit ainsi la création de sièges supplémentaires au Parlement : un siège aux grecs-catholiques et deux sièges aux chrétiens syriaques. « Et pour maintenir l’équilibre entre chrétiens et musulmans, trois autres sièges (un chiite, un sunnite et un druze) ont été ajoutés, portant le nombre total de sièges au parlement de 128 à 134 ».

L’article 2 du projet de loi stipule en conséquence que « les électeurs chrétiens des sectes minoritaires voteront pour les candidats des minorités, alors que les électeurs musulmans des sectes minoritaires qui ne sont pas représentées par un député à la Chambre pourront voter pour le candidat musulman de leur choix ».

Le Hezbollah et les partis chrétiens soutiennent le projet

La proposition a été particulièrement bien accueillie par le Hezbollah (« Parti de Dieu ») et par les principaux partis chrétiens. Le général maronite Michel Aoun, à la tête du Courant patriotique libre, et allié du Hezbollah, n’a pas caché sa joie : « Aujourd’hui, ceux qui avaient vu leurs droits amputés les ont récupérés, et ce sans qu’il soit porté atteinte aux autres », a-t-il déclaré, ajoutant : « aujourd’hui, la voix des marginalisés a retrouvé son poids, et nous sommes très contents de cet exploit ».

Les deux forces chiites en vigueur au Liban, à savoir le Hezbollah et Amal, ont aussi appuyé le projet de loi. Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, avait déclaré, à la fin du mois de janvier, qu’il considérait que ce nouveau mode de scrutin était le plus à même de donner aux forces politiques en présence « leur véritable poids électoral ».

« Les chrétiens affirment que le projet orthodoxe leur donnera l’occasion d’être représentés pleinement : offrons-leur, comme musulmans, cette occasion, et élisons un Parlement où personne ne pourra affirmer qu’il n’est pas équitablement représenté en fonction de son véritable poids électoral », a-t-il affirmé.

Un projet encore loin de faire l’unanimité

Plusieurs personnalités chrétiennes indépendantes, ainsi que le mouvement sunnite de l’ancien premier ministre Saad Hariri (le Courant du Futur) et le chef des druzes Walid Joumblatt ont exprimé leur vive opposition au projet de loi. En effet, un tel projet risque en fait de leur faire perdre un certain nombre de sièges à l’Assemblée.

Sur Twitter, Saad Hariri a qualifié le jour de l’approbation du projet de « jour noir dans l’histoire de l’action législative libanaise », qui risque de menacer « les valeurs nationales, la modération et la coexistence religieuse ». Walid Joumblatt estime de son côté que le projet ramène le Liban « à l’isolationnisme » et « divise l’entité libanaise ». Selon une source citée par France 24, Les deux hommes politiques « sont représentés au Parlement au-delà de leur poids politique en faisant élire par leur électorat des députés d’autres confessions, ce qu’ils ne peuvent admettre publiquement… »

Le Président libanais opposé au projet de loi électorale

Le chef de l’État libanais, Michel Sleimane – un chrétien maronite – a aussi fait entendre son opposition au projet, qui selon lui est contraire à la Constitution.

Si le Parlement adopte la proposition, le président libanais pourra faire appel au Conseil Constitutionnel. Et si le Parlement rejette le projet, et qu’aucune loi électorale n’est retenue pour les prochaines élections législatives avant le 11 mars, celles-ci devront être reportées.

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