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Peter Whittle: «Avec le mariage gay, David Cameron fait diversion»

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 Côté français, le débat porte sur la place de l’enfant, la définition de la famille, la procréation médicalement assistée (PMA) ou la gestation pour autrui (GPA). Les députés enchaînent les nuits blanches dans l’hémicycle et l’examen du texte devrait durer jusqu’en juin. Dans la rue, les manifestations, « pour » et « contre », se multiplient. Qu’en est-il au Royaume-Uni ?

JOL Press a interrogé Peter Whittle, directeur et fondateur du think tank The New Culture Forum.

JOL Press : Depuis 2004 et l’adoption du « civil partnership », les couples homosexuels britanniques bénéficient quasiment des mêmes droits que les couples hétérosexuels. Pourquoi, dans ces conditions, le Premier ministre David Cameron et son gouvernement ont-ils choisi de franchir cette étape supplémentaire ?

Peter Whittle : C’est effectivement la question que se pose un certain nombre de personnes ici au Royaume-Uni. Pour quoi faire et pourquoi maintenant ?

Pour certains – et, en particulier, pour ceux qui n’ont pas un avis très tranché sur la question -, David Cameron chercherait à faire diversion, à faire oublier que le pays traverse de grandes difficultés – et que la situation ne semble pas sur le point de s’améliorer.

De ce projet, il n’était fait aucune mention dans le programme électoral des conservateurs ou dans l’accord de coalition de 2010.

JOL Press : Alors, justement, qu’apporte de plus le « same-sex marriage » par rapport au « civil partnership », beaucoup plus avancé que le Pacs français ?

Peter Whittle : David Cameron avance comme principal argument celui de l’égalité. Il n’est plus seulement question d’ouvrir des droits équivalents mais d’ouvrir une institution historiquement et fondamentalement hétérosexuelle aux homosexuels.

De plus, alors que les civil partnerships étaient signés dans des registry offices – des bureaux de l’état-civil -, les marriages pourront aussi être célébrés dans les églises ou toutes autres structures religieuses.

JOL Press : En France, l’église catholique – et les autres confessions – sont farouchement – majoritairement – opposées au mariage homosexuel. Comment ont réagi les autorités religieuses au same-sex marriage britannique ?

Peter Whittle : On a principalement assisté à une mobilisation de l’église anglicane, dont la hiérarchie s’oppose au projet et a annoncé qu’elle n’entendait pas célébrer des unions homosexuelles. Les autres religions – en particulier les musulmans et les évangéliques – y sont tout autant opposées, mais sont restées discrètes.

JOL Press : La loi oblige-t-elle les représentants religieux à procéder à de telles unions ?

Peter Whittle : Non, le gouvernement a fait savoir – et cela a été ajouté à la loi – que le refus de précéder à telles unions ne conduirait pas les structures religieuses à enfreindre la loi et qu’elles ne risquaient donc pas d’être poursuivies pour cela.

JOL Press : À part cela, le same-sex marriage est identique au mariage « hétérosexuel » existant ?

Peter Whittle : À une exception près, l’adultère ne sera pas un motif d’annulation du mariage

JOL Press : Tout cela n’est pas très clair… On ne comprend pas, dans ces conditions, l’intérêt d’un tel projet pour une large part redondant avec le civil partnership existant…

Peter Whittle : L’enjeu est symbolique, c’est l’utilisation du mot « mariage », et le chamboulement d’une institution séculaire.

C’est ce qui trouble les opposants et ce qui motive les partisans.

JOL Press : Quels sont les arguments des adversaires ?

Peter Whittle : David Cameron est confronté à une rébellion sans précédent de son groupe parlementaire. Il est estimé qu’environ 180 membres du Parlement conservateurs vont voter contre et cette réforme ne passera que grâce aux voix des travaillistes et des libéraux-démocrates.

La rhétorique des opposants est classique, ils dénoncent l’attente à ce qu’il estime être un pilier de notre société, une institution sacrée

JOL Press : David Cameron ne prend-il pas un risque politique en affrontant une majorité de son propre parti ?

Peter Whittle : Pas nécessairement, l’effondrement annoncé de ses partenaires de coalition libéraux-démocrates encourage David Cameron a tenté de renouveler l’image des Tories, à essayer de grignoter le terrain laissé disponible au centre et, surtout, d’empêcher les travaillistes de trop en profiter. C’est ce qu’il essaie de faire en adoptant une ligne résolument moderne. C’est d’ailleurs également à des fins électoralistes qu’il a promis la tenue d’un référendum sur l’Europe après les prochaines élections.

Au-delà, l’expérience du « civil partnership » a montré qu’une fois adoptée, l’évolution rentrait rapidement dans les mœurs. S’ils étaient interrogés sur la question de savoir si les homosexuels peuvent ou non se marier, de nombreux Britanniques répondraient sans doute : « Pourquoi pas ? ». Beaucoup pensent sans doute qu’ils le peuvent déjà…

Il n’en reste pas moins que des sondages ont été réalisés et qu’ils montrent que 55% des Britanniques sont « pour » et 38% « contre » le mariage homosexuel. Là où il apparait que David Cameron prend un risque, c’est lorsqu’on réalise que la proportion est exactement inverse chez les seuls conservateurs. Et puis, cette réforme ne devrait pas lui permettre d’accentuer son audience auprès des minorités ethniques qu’il cherche tend à rallier à sa cause : par exemple, 70% de la communauté noire est contre le mariage homosexuel… et les chiffres sont encore plus élevés parmi les musulmans.

JOL Press : Est-ce qu’au moins cela correspondait, selon vous, à une revendication des homosexuels britanniques dans leur majorité ?

Peter Whittle : Cette évolution historique n’est pas le fruit d’une revendication de ce que l’on appelle la « communauté homosexuelle » – même si je n’aime pas cette expression.

Chez les gays, on ne peut dire que cela ait été une revendication essentielle, hormis, encore une fois, dans la mesure où cela permettait d’affirmer l’égalité prétendument parfaite entre homosexuels et hétérosexuels. Mais, on l’a vu, le fait que les églises ne soient pas obligées de procéder à des mariages entre personnes de même sexe et que celles-ci soient contraintes de se satisfaire du mariage civil – qui, je le rappelle, n’est pas obligatoire au Royaume-Uni – rend cette égalité illusoire.

Par ailleurs, on rencontre un certain nombre d’homosexuels que je qualifierais de radicaux et qui, au contraire, refusent de se soumettre à une institution fondamentalement « hétérosexuelle » – et, aux yeux de certains, « bourgeoise ».

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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