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Yémen: l’impunité du président déchu Saleh attise la révolte

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S’il y a une chose qui rassemble les Yéménites, ce sont les accusations portées contre leur ancien leader, Ali Abdallah Saleh, pour les innombrables abus commis au cours de la répression du soulèvement de 2011.

Une enquête corrompue et incomplète

Au cœur de ces abus : la mort de 52 manifestants, le 18 mars 2011. Ce jour-là, les forces de sécurité ont ouvert le feu sur une foule, réunie sur une place centrale de Sanaa, la capitale. Les militants sont aujourd’hui nombreux à accuser l’ancien président d’avoir ordonné cette attaque.

La réponse n’a jamais été donnée, et le président déchu a réussi à s’organiser une sortie élégante, échangeant son pouvoir contre une immunité négociée par l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis, deux de ses solides alliés.

Un rapport de l’organisation Human Rights Watch, publié mardi 12 février, jette aujourd’hui le trouble sur cette affaire, car l’enquête initiale pour homicide serait, selon l’ONG, incomplète et possiblement corrompue.

Human Rights Watch déclare ainsi qu’à la demande d’Ali Abdallah Saleh, les enquêteurs n’ont jamais interrogé les membres du gouvernement au cours de leur enquête criminelle. L’ONG a également constaté que dès l’ouverture de l’enquête, Ali Abdallah Saleh a immédiatement procédé au licenciement de son procureur général, après que ce dernier a exigé que les fonctionnaires du gouvernement soient interrogés.

Les Yéménites réclament justice

Connu sous le nom du massacre de Juma’at al-Karama (le « vendredi de la dignité »), le 18 mars 2011 a marqué un tournant dans le soulèvement des Yéménites et a déclenché une série de défections aux plus hauts rangs du gouvernement et de l’armée.

Dans le cadre d’un accord de coopération du Golfe pour le transfert du pouvoir au Yémen, Ali Abdallah Saleh s’est vu offrir l’immunité après avoir quitté son poste en novembre 2011.

« Près de deux ans après le massacre de Juma’at al-Karama, les victimes et leurs familles attendent que justice leur soit rendue, » déclare Letta Tayler, auteure du rapport et directrice de recherche pour Human Rights Watch.

« Si le Yémen ne mène pas cette enquête dans les règles et ne poursuit pas les responsables de cette attaque meurtrière, la culture de l’impunité risque de se perpétuer au cœur du soulèvement du Yémen, » indique-t-elle encore.

Ali Abdallah Saleh, toujours président dans l’ombre

Près de deux ans après l’attaque, les affrontements entre les manifestants, les factions politiques et les forces de sécurité éclatent encore régulièrement dans tout le pays. Les manifestants sont absolument convaincus que, malgré le départ de l’ancien président, les revendications qu’ils ont exprimées au cours de la révolution n’ont jamais été entendues.

Car, dans les faits, Ali Abdallah Saleh continue d’exercer un pouvoir considérable dans la vie politique du Yémen – comme un rappel sinistre de l’échec des objectifs de la révolution.

« Le problème que je vois, c’est que ce rapport – tout comme les affrontements qui surviennent encore – rappellent une fois de plus que les comptes de la révolution n’ont pas été faits, » estime Gregory Johnsen, expert du Yémen à l’université de Princeton.

« Et bien entendu, cet accord d’immunité ainsi que la présence continue d’Ali Abdallah Saleh sur la scène politique en est un rappel quotidien, » indique-t-il encore.

Le Yémen ne peut pas tourner la page

Les manifestants yéménites, dont beaucoup sont restés sur la Place du changement de Sanaa, veulent désormais que l’ancien président soit traduit devant une cour de justice pour crimes contre l’humanité. Dans tout le pays, les activistes sont souvent au cœur de violents affrontements. La ville portuaire d’Aden a notamment été le théâtre de violences entre manifestants et séparatistes, mardi 12 février, faisant au moins deux morts et plusieurs dizaines de blessés.

« Les affrontements meurtriers qui surviennent dans le sud du pays sont un triste rappel des nombreuses revendications exprimées pendant le soulèvement au Yémen et qui n’ont toujours pas été écoutées, » explique Letta Tayler. « A moins que le gouvernement de transition ne désigne les responsables des attaques meurtrières passées et présentes, à Sanaa, Aden ou ailleurs, il n’y aura pas de rupture avec les abus du passé au Yémen. »

Global Post / Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

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