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Manifestation contre le mariage gay: deux versions des faits

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Manifestation à Paris dimanche 24 mars. J’y étais, en Rouletabille, et j’en reviens avec un sentiment curieux. Ai-je bien vu ce que l’essentiel des médias a rapporté : était-ce juste une petite manif’ de plus, une « poignée d’individus » un peu agités ou autre chose… Comme un événement presque historique, un embryon de contestation populaire, le réveil d’une France qu’on a trop peu l’habitude d’entendre.

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Sentant que cette fois-ci, la manifestation des opposants au mariage et à l’adoption pour les personnes homosexuelles allait changer de ton, je me suis rendue place Dauphine pour me rapprocher au plus près de la mobilisation. Remontant l’avenue Foch, j’ai été très vite poussée contre des barrières mises en place par les forces de l’ordre afin de bloquer l’accès à la place de l’Etoile.

Les manifestants affluant de plus en plus nombreux avenue Foch ne pouvaient pas rejoindre l’avenue de la Grande Armée. « Il n’y a plus de place », expliquent les gendarmes. Plus de place entre l’Arche de la Défense et la place de l’Etoile ? La mobilisation a dû être beaucoup plus importante que prévue. Ce sentiment se confirme car une tension électrique est de plus en plus pesante en haut de l’avenue Foch. Les gens ont le sentiment d’être parqués « comme des bêtes » et la pression se fait de plus en plus forte à l’arrière. Après des tentatives de passage en force, les gendarmes décident d’ouvrir la rue qui rejoint l’avenue Foch à celle de la Grande Armée. Les manifestants s’engouffrent dans la brèche et, profitant de cet effet de masse, parviennent à forcer les barrages et arrivent place de l’Etoile.

Une tension palpable

Déjà, je m’interroge sur la tournure que vont prendre les événements. Les gendarmes ont déjà sorti leurs gaz lacrymogènes contre les manifestants qui les bousculaient en haut de l’avenue Foch, la place de l’Etoile commence à se remplir et déjà des affrontements ont lieu entre les CRS qui bloquent l’accès aux Champs Elysées. Vers 16h30, les premiers chiffres commencent à tomber. Le Figaro annonce 500 000 personnes alors que les organisateurs osent un 1 400 000. Cette différence, aussi grotesque soit-elle, n’a en soit pas trop d’importance. Les manifestants sont galvanisés, ils iront sur les Champs-Elysées qu’on leur a « injustement » interdits cinq jours plus tôt.

Dans ce tumulte, les slogans se multiplient. Le retrait du projet de loi Taubira ne semble  plus au cœur des préoccupations des manifestants. Ce qu’ils veulent, c’est la démission du gouvernement : « Taubira, fait ton sac, fais comme Cahuzac », « « Taubira, t’es foutue, les familles sont dans la rue », « Hollande démission », « On veut du boulot, pas du mariage homo », « Tous à l’Elysée »… La ferveur grandit et vers 17h30, les chiffres de la Préfecture de Police tombent : ils étaient 300 000. La clameur gronde : « Comment peut-on dire que nous sommes juste 300 000 quand on a même pas eu accès à la Grande Armée ? » « Mensonge ! » « Démission ! » « 700 000 Français signent une pétition et ils s’en foutent, on pourrait être 3 millions, ça ne changerait rien » « On ne lâche rien ».

Les Champs-Elysées, pris ou pas ?

Si la colère gronde, la sociologie des manifestants est intéressante à observer. Les poings sont levés mais ces personnes qui défilent ne semblent pas habitués à battre le pavé. Ils sont conciliants avec les gendarmes, certaines familles sortent de la messe, le rameaux bénis encore dans le sac ou à la boutonnière, les poussettes sont nombreuses et ils ne peuvent s’empêcher de sourire et de chanter. Cependant, la détermination de ces familles est palpable. Petite bourgeoise certes, mais bourgeoise en colère. Si les affrontements continuent en haut des Champs Elysées avec les CRS, de nombreux manifestants décident de contourner le barrage policier et partent à l’assaut de la plus belle avenue du monde. Là encore, ambiance surréaliste : ils sont en colère mais entonnent des chants de colonies de vacances, le sourire aux lèvres.

Une foule de plus en plus importante afflue sur les Champs. On entonne la chanson de Joe Dassin en descendant fièrement la grande avenue. Rond-point des Champs Elysée, les CRS ont formé un nouveau barrage. Les manifestants s’arrêtent, s’installent, s’assoient, sortent de leur sac, vin rouge et chips. « Apéro chez Flamby », scandent certains jeunes amusés. Vers 20h30, ce petit campement sera délogé avec poigne par les forces de l’ordre.

Ce qu’en ont dit les médias

Voilà ce que j’ai vu. Certaine d’avoir assisté à un événement quasi historique (la dernière manifestation sur les Champs remonte au 30 mai 1968, en soutien au général De Gaulle), j’allume les chaînes d’info en continue de retour à la maison. Et là, quelle n’est pas ma surprise d’entendre le récit de la journée : « Le ministre de l’Intérieur a estimé que la manifestation contre le mariage des homosexuels à Paris avait ‘incontestablement’ parfois ‘échappé’ à ses organisateurs, faisant allusion à plusieurs incidents en marge du cortège ». En marge ? Bon…

« Environ 300 personnes restaient sur place vers 20H30, ‘essentiellement du GUD et de l’extrême droite’, selon le ministre de l’Intérieur Manuel Valls ». Certes, étaient présents les identitaires et des membres du GUD, mais peut-on croire que tous ces jeunes qui avaient allumé des feux de camps et chantaient des chants de veillée étaient de furieux militants d’extrême droite ? « Plusieurs manifestants anti-mariage pour tous auraient tenté d’aller sur les Champs-Elysées, pourtant interdits par la préfecture de police de Paris ». Mais ils n’ont pas tenté, ils y étaient !

Drôle de traitement de l’information

Je ne sais pas quelles consignes ont reçues telle ou telle rédaction, et pour quelle raison l’article qui annonçait 500 000 personnes a été retiré du site du Figaro. Je ne sais pas quel message a voulu faire passer la Préfecture de police en minimisant les chiffres. J’ignore jusqu’où iront des manifestants qu’on préfère ignorer ou diaboliser. Je m’interroge simplement sur la réponse que va bien pouvoir apporter le chef de l’Etat après de tels événements. Faire taire, est-ce encore raisonnable à l’heure où dans chaque téléphone portable, se cache une caméra prête à révéler au grand jour ce qui s’est vraiment passé ? 

Vidéo : COPYRIGHT LINE PRESS © 2013

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