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Avant les Femen: une histoire de la résistance mise à nue

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L’image du corps nu d’Amina a rapidement poussé les activistes et féministes à se battre sur le sens et le message de la photographie. Certains étaient particulièrement critiques, qualifiant la protestation d’Amina de « bêtises d’une jeune fille de la classe moyenne tunisienne ». D’autres ont dit que cette forme de protestation n’était rien de plus qu’une importation étrangère [le mouvement des Femen a été créé en Ukraine].

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Briser le tabou

Ce que beaucoup de commentateurs n’ont pas pris en compte, c’est qu’Amina n’est guère la première femme à exposer son corps nu en signe de protestation. En fait, sa nudité s’inscrit dans une longue tradition africaine appelée « setshwetla », une action où les femmes découvrent leurs corps comme forme de résistance.

La plus ancienne trace d’une telle protestation a eu lieu à la fin des années 1930, lorsque des milliers de femmes nigérianes de l’Abeokuta Women’s Union se sont révoltées contre l’imposition coloniale britannique en se dénudant lors de grandes manifestations. Dans certaines cultures africaines, où la mère est une figure vénérée, l’acte, ou simplement la menace de se déshabiller et de découvrir son corps, est destiné à humilier les hommes au pouvoir. Les mœurs selon lesquels les hommes sont les protecteurs et les « tuteurs » du corps des femmes rendent tabou le dévoilement du corps de la femme, et donnent un pouvoir spécifique à ce mode de protestation.

L’histoire est truffée d’exemples de femmes qui utilisent le « setshwetla » comme un outil de protestation : au Kenya, les membres des « Freedom Corner Grandmothers » ont mis à nu leurs corps pour protester contre l’empiètement du gouvernement sur les terres publiques. Au Nigeria, pendant les années de dictature, les mères de prisonniers politiques ont fièrement enlevé leurs vêtements. On raconte que, à la vue des mères qui protestaient contre la disparition de leurs enfants, les policiers nigérians ont fui, les yeux bien fermés.

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Un contexte de violence

Comment pouvons-nous alors rendre compte de la montée de la violence contre le corps des femmes dans les pays du Printemps arabe ? Tout au long des révoltes, certains actes de violence les plus horribles commis par des régimes autocratiques ont touché les corps féminins. La police égyptienne a traîné de force des femmes dans les rues du Caire […], tandis que d’autres ont été agressées sexuellement sur les lieux de la révolution, comme la place Tahrir.

Il semble y avoir une corrélation directe entre la participation, la visibilité et l’action des femmes dans la révolution égyptienne, et la fréquence et la gravité de la violence contre les femmes dans ces espaces publics. Les agresseurs, essentiellement des hommes, des soldats, des policiers et des politiques, ont tenté de dépouiller les femmes de leurs voix aussi facilement qu’ils le faisaient avec les vêtements qui les couvraient.

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« Je vais déchirer mes vêtements ! »

Je me souviens des colères frustrées de ma mère : face à des situations particulièrement injustes, elle criait : « ra7 ingada3 7wayji ! » («Je vais déchirer mes vêtements ! »). Pendant ce temps, alors que les corps des femmes sont des champs de bataille sur lesquels les guerres morales, religieuses et politiques sont menées, nous, les femmes, devrions toutes garder dans notre arsenal l’outil du « setshwetla ». Nous devrions aussi être prêtes et assez courageuses pour hardiment s’exclamer «Je vais déchirer mes vêtements ! ».

>> article lu sur le site « Free Arabs »

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