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«Les coptes sont les boucs-émissaires des Frères musulmans»

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Les affrontements entre chrétiens coptes et musulmans suscitent de nombreuses inquiétudes en Egypte. A l’heure où l’Egypte subit une grave crise politique associée à de grandes difficultés économiques, la tension de la rue est palpable.

En France, où une grande communauté de coptes réside depuis plusieurs décennies, l’inquiétude est également grande. Au-delà de l’inquiétude, c’est la colère qui anime ces coptes de France. Bichoï Bastha fait partie de ces coptes.

A 23 ans, il est le fils d’Egyptiens arrivés en France dans les années 80 et vit aujourd’hui en région parisienne, d’où il anime, avec l’aide de plusieurs amis, un blog dédié à l’actualité copte.

Quel est le visage de la communauté copte en France ?

En France, les coptes sont environ 50 000. Ils habitent principalement l’Ile de France, et prient dans les dix églises que nous comptons dans la région (Villejuif, Chatenay Malabry, Colombes, Deuil la Barre, Sarcelles..).

D’autres communautés existent également à Strasbourg, Lyon, Marseille où il y a également plusieurs églises coptes orthodoxes.

En France, il y a plus de 20 prêtres coptes orthodoxes au service des fidèles, dans toutes les églises, les messes sont dites en français et en arabe.

Les prêtres coptes orthodoxes en France sont bilingues, ils ont fait leurs études dans des écoles françaises d’Egypte (Lycée Jésuite) avant d’être envoyés par le Pape Shenouda III en France pour le service. Les autres qui n’ont pas fait d’études en français en Egypte ont appris la langue ici directement.

Comment les coptes sont-ils arrivés en France ?

La majorité des coptes sont arrivés en France à la fin des années 70 et au début des années 80. A l’époque, la France avait besoin de main d’œuvre, et les coptes de toutes catégories sociales sont arrivés et ont commencé à travailler dans des restaurants. Beaucoup d’entre eux ont également émigré vers le Canada et les Etats-Unis, mais l’émigration vers la France a été plus facile qu’ailleurs sous François Mitterrand.

Après émigration, ces coptes ont réussi à devenir entrepreneurs et certains d’entre eux sont maintenant chefs d’entreprise et sont très bien intégrés dans la société française. 

En France, ils se sentent très proche des coptes d’Egypte, mais également de plus en plus des chrétiens de France. Lorsqu’ils sont arrivés en France, les coptes n’avaient que très peu d’églises et n’avaient donc pas d’autre choix que d’aller prier dans les églises catholiques. Mais en règle générale, les églises coptes orthodoxes de France ont de très bonnes relations avec les églises catholiques et protestantes. Elles participent ensemble à de nombreux événements œcuméniques. 

Quels sont vos liens avec la communauté copte d’Egypte ?

Les coptes de France sont très unis, particulièrement la jeune génération, ceux qui sont nés ici, car ils ont tous été élevés dans la même église, et se rencontrent tous les dimanches. Ils appartiennent totalement à la communauté copte d’Egypte, et suivent très régulièrement l’actualité de leur communauté, du clergé et du Pape.

La plupart des membres de cette génération de coptes nés en France et ayant entre 20 et 30 ans, parlent l’arabe et le français. Et en cela, la France est une exception, car dans de nombreuses églises européennes, les jeunes ne parlent que la langue de leur pays.

En France, les coptes ont toujours gardé un contact physique très important avec l’Egypte et il n’est pas rare qu’ils y retournent durant leurs vacances.

J’ai moi-même de la famille en Egypte, ainsi que tous mes amis. J’y retourne très régulièrement car c’est là que je me ressource, dans le cœur de l’Eglise copte, auprès de ma famille proche, en visitant les monastères, etc.

Tous les coptes qui retournent en Egypte ont cette même habitude : ils visitent les monastères et la cathédrale du Caire.

Depuis la France, comment analysez-vous les récents évènements qui ont opposé chrétiens et musulmans en Egypte ?

Pour moi, comme pour de nombreux Egyptiens, les causes de ces évènements importent peu. En revanche, ce qui se passe témoigne véritablement, de l’incapacité des Frères musulmans à diriger l’Egypte et du désintérêt des dirigeants pour le pays. Lors de mon dernier voyage, un de mes cousins m’a dit : « La confrérie, c’est pire que la peste. Ces gens sont des menteurs et des voleurs, et ils n’en ont rien à faire de l’Egypte. Ce qui leurs importe c’est leur confrérie, c’est tout. »

Ce qui se passe aujourd’hui en Egypte peut se résumer en un mot : le chaos.

Comment est-il possible que quelques graffitis soient à l’origine de la mort de quatre personnes ?  Comment est-il possible que des personnes profitent de funérailles pour tirer sur des fidèles, tout cela devant les forces de sécurité et sans que ces derniers n’interviennent ? 

En Egypte, la loi du plus fort règne. Les évènements de Khoussous et de Kom Ombo il y a un mois, ainsi que tous les autres qui ont suivi, montrent l’ingérence de l’État et surtout son incapacité à faire régner l’ordre. A chaque fois qu’il y a eu un problème et des morts, la police est arrivée à la fin, pour « sécuriser les lieux ». Et pourtant, même en leur présence, il y a des morts et des blessés.

La montée de l’islamisme est également très mal vécue par les Egyptiens. Auparavant, chrétiens et musulmans vivaient très bien ensemble, ils étaient de très bons voisins. Aujourd’hui, les musulmans, regardant de plus en plus les chaines de télévision islamiques sur lesquelles on leur dit que tuer des chrétiens est récompensé par le paradis. Ils détestent de plus en plus leurs frères égyptiens coptes, et n’hésitent plus à sortir les armes, bruler des magasins et des églises. 

Les Frères musulmans, et le double langage qu’ils pratiquent, sont coupables de ces évènements. L’unité nationale est prônée afin d’assurer un semblant de nationalisme, et dans le même temps, les salafistes sont encouragés à prononcer des discours haineux envers les coptes. Sur Internet, des centaines de vidéos de leaders des Frères musulmans affirmant que les coptes sont des chiens sont disponibles. Sur ces vidéos, tout le monde peut entendre que s’ils ne respectent pas la loi des frères, il y aura un bain de sang. Tout cela se déroule sur des places publiques : à Tahrir, dans les mosquées ou encore les vendredis. Dans les vingt hauts parleurs des minarets, les chrétiens s’entendent publiquement nommés des mécréants.

Je vais en Egypte plusieurs fois par an depuis mon enfance, et j’ai constaté ces différences de relations entre chrétiens et musulmans. Il fut un temps ou chrétiens et musulmans étaient avant tout égyptiens. Aujourd’hui, les salafistes et les frères musulmans ont divisés le pays en prônant le califat islamique et l’application de la Charia. 

Ces idées, entrées dans l’esprit des jeunes, les poussent ensuite à tuer, pour de simples graffitis sur des murs.

Pour ce qui s’est passé à la cathédrale, les évènements sont plus simples. Les baltagueyas, des jeunes payés par l’Etat, qui étaient à la Cathédrale Saint-Marc ont tiré sur des coptes. Ces gens-là sont connus et leurs visages ont été reconnus. Pour faire simple, la confrérie est directement responsable de ces affrontements. Un musulman d’Egypte n’aurait jamais fait ça.

Craignez-vous aujourd’hui pour l’avenir de la communauté copte en Egypte ? Auriez-vous préféré voir des membres de l’ancien régime au pouvoir ?

Honnêtement, je ne crains rien pour les coptes d’Egypte, car nous savons que Dieu prendra soin de ce pays. Nous savons aussi que les Frères ne seront que de passage. Les Egyptiens se réveillent et réalisent la supercherie.

Les coptes d’Egypte continuent d’émigrer pour avoir un avenir meilleur ailleurs. Ils n’émigrent pas tant en raison des persécutions qu’en raison du chômage très élevé et du manque de perspectives d’avenir en Egypte.

Les coptes n’avaient pas donné leur voix à Mohamed Morsi. Ils avaient conscience que les Frères musulmans ruineraient le pays, et que leurs situation ne s’aggraverait. Aujourd’hui je suis content de voir la création d’un Front de salut national qui regroupe les têtes de l’opposition. Je suis également à titre personnel content de revoir l’apparition d’Ahmed Shafiq. Même s’il a ruiné l’Egypte et l’a corrompue, il tient sans doute plus à l’Egypte que les frères musulmans.

Le patriarche copte Tawadros II a dénoncé les « négligences » de Mohamed Morsi face à ces évènements et a estimé que les violences religieuses avaient atteint un « niveau de chaos ». Qu’en pensez-vous ? Craignez-vous que ces affrontements dégénèrent en guerre civile ?

Tous les chrétiens autour de moi et mes amis sur Facebook étaient satisfaits de l’intervention du Pape Tawadros II. Ils apprécient l’honnêteté de ces paroles, et le courage qu’il a eu de raconter ce qui s’est réellement passé. Je pense que cela va affaiblir un pouvoir qui l’est déjà par son économie, son chômage et les nombreuses manifestations.

Que l’Eglise copte et sa plus haute autorité dénoncent le président Mohamed Morsi est très grave et très critique pour le pouvoir en place.

Je ne crois pas à la guerre civile en Egypte, mais je pense que de plus en plus d’affrontements surviendront entre les manifestants et les voyous payés par l’Etat. Les Frères n’ont pas d’autre recours que d’utiliser la violence pour calmer le peuple. Par contre, les jeunes révolutionnaires et les ultras seront toujours présents, et ces groupes-là viendront toujours défendre l’unité nationale du pays, en affrontant les baltagueyas

Je pense que l’Egypte a encore de nombreuses épreuves à supporter et beaucoup de morts à enterrer. Les coptes sont les boucs-émissaires ; pour toute révolution, il faut des martyrs.

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