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Margaret Thatcher ou la foi dans une autre Europe

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Je me souviens très bien de ce 20 novembre 1990. Il faisait nuit, il faisait froid et, étudiant, j’avais été me poster devant le porche de l’Élysée, là où – m’avait assuré mon professeur d’histoire – se préparait un moment historique. L’Allemagne venait à peine de se réunifier et l’Europe se cherchait, la Guerre froide n’était pas terminée… et Margaret Thatcher était à Paris pour une rencontre au sommet avec le président François Mitterrand. A Londres, un « putsch ministériel » était en cours et les jours de la « Dame de fer » au 10 Downing Street étaient comptés.

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La chute de Margaret Thatcher, première femme Premier ministre britannique, avait été perçue comme une trahison pour certains, une libération pour tant d’autres – même dans son camp. Les réactions à sa disparition, 23 ans plus tard, le montrent… Rarement un responsable politique n’a été autant adulé et tout autant détesté. Les sentiments qu’elle a suscités – et suscite – sont sans doute à la hauteur de son héritage.

Margaret Thatcher, sauveur ou fossoyeur du Royaume-Uni, a aussi profondément transformé le rôle – et la place – du Royaume-Uni en Europe. Et ainsi, elle a profondément affecté l’avenir de la construction européenne.     

« Rendez-moi mon argent ! » 

Dans l’imaginaire européen, elle reste comme le Premier ministre qui a réclamé à ses partenaires européens qu’ils lui rendent une partie de sa contribution au budget communautaire. En réalité, son impact continental a été bien plus large et bien plus nuancé que cette caricature ne le laisse imaginer.

Même s’il est certain qu’elle est pour une large part dans l’émergence d’un sentiment eurosceptique au Royaume-Uni et dans le reste de l’Europe. C’est avec elle que les conservateurs britanniques ont été contaminés par un sentiment d’hostilité envers le continent, et plus encore l’hydre de Bruxelles. Sur ce plan, le thatchérisme est une profonde rupture pour un parti qui avait fait entrer le Royaume-Uni dans l’Europe en 1973…

L’euro-pragmatisme de Bruges

Pourtant, la vision européenne de Margaret Thatcher a sans doute été caricaturée. 25 ans plus tard, son discours de Bruges – le 20 septembre 1988 -, un discours qui fait office de Bible pour les eurosceptiques britanniques, semble aujourd’hui bien plus pragmatique et même pro-européen – qu’il ne paraissait à l’époque.

Si, par ses propos, Margaret Thatcher entendait se distinguer de l’aspiration franco-allemande à toujours plus d’intégration – dans une logique fédéraliste -, elle ne rejetait pas l’Europe et la construction européenne en tant que telles. L’Europe qu’elle voulait devait être une Europe du libre-échangisme et une Europe des libertés – transposant sur ce plan sa profonde détestation de toutes formes d’étatisme.

Son discours de Bruges manifeste davantage de ferveur européenne que celui de David Cameron à La Haye en début d’année : « Le Royaume-Uni ne rêve pas d’une existence recluse et confortable à l’écart de la Communauté européenne. Notre destinée est en Europe, au sein de la Communauté… La Communauté européenne est un outil pratique par lequel l’Europe peut assurer, dans le futur ,la prospérité et la sécurité de ses peuples dans un monde composé de nombreuses nations ou communautés de nations puissantes. »

Marché unique et élargissement

Si Margaret Thatcher, en obtenant le rabais budgétaire, a condamné toutes les discussions budgétaires futures à un jeu de somme nulle, elle a aussi contribué à la mise en place du Marché unique et à la poursuite de l’élargissement – d’abord vers le sud, puis vers le nord et l’est.

Ses motivations étaient de combattre ainsi les deux principales menaces européennes, à ses yeux, le socialisme et l’approfondissement de la construction européenne.

Ingrats héritiers…

Quelle ironie de voir, dans ces conditions, les prétendus héritiers de Margaret Thatcher dénoncer une conséquence logiques de ces deux tendances historiques : la libre-circulation des personnes d’Europe centrale et orientale.

Mais, pire encore, ces prétendus héritiers rejettent cette Europe ouverte et libérale, une « Europe britannique », aurait-elle dit. Et le Royaume-Uni risque de perdre, tout simplement, son pouvoir d‘influence.

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