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Secret de la diplomatie qatarie: savoir parler avec tout le monde

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Au terme d’une longue enquête au pays d’Al-Jazeera, après y avoir découvert les raisons de leur libération d’Irak où ils étaient retenus en otages en 2004, Christian Chesnot et Georges Malbrunot lèvent le voile sur les coulisses de ce pays déroutant. Ils révèlent comment le Qatar a tenté d’acheter un veto russe à l’ONU, les dessous de ses investissements en France, et comment il est passé de la diplomatie du carnet de chèques à l’armement des rebelles libyens et syriens.

Qatar les secrets du coffre-fort est une plongée dans l’univers surréaliste d’un empire de poche dont on se demande aussi pourquoi il cherche à noyauter des institutions internationales comme l’UNESCO et la Ligue arabe. Le Qatar roule-t-il pour les islamistes ou veut-il, par son entrisme forcené, assurer sa sécurité comme son rayonnement ?

Extraits de Qatar les secrets du coffre-fort, de Georges Malbrunot et Christian Chesnot (Michel Lafon)

C’est l’un des principaux crédos de l’émir : être ami avec tout le monde. Et à défaut d’être ami avec tout le monde, au moins parler à tout le monde pour n’avoir aucun ennemi. Cheikh Hamad l’affirme clairement lors d’un long entretien publié dans le Financial Times le 24 octobre 2010 : « Notre politique c’est d’être ami avec tout le monde. Nous recherchons la paix. Cela ne veut pas dire que si deux camps s’affrontent, nous devons prendre parti en faveur de l’un des deux. Non, nous aimons être en liaison avec les deux parties. »

Cette recherche du dialogue vise à se protéger contre des régimes ou des mouvements parias. Quelles que soient les difficultés, le Qatar garde le contact avec l’Iran, le Hezbollah libanais, le Hamas, les talibans, les chebabs somaliens. Tout en discutant avec les ennemis de ceux-ci : États-Unis, Israël, Afghanistan…

En 2011, le Qatar a ouvert un bureau taliban à Doha, avec l’aval américain, pour que les deux parties se parlent. En décembre 2012, la diplomatie conciliatrice de Doha a largement œuvré en coulisses pour attirer à Chantilly, près de Paris, un représentant de la « shoura » pakistanaise de Quetta, l’une des plus radicales, à une conférence de réconciliation sur l’Afghanistan.

Non seulement le Qatar parle aux parias, mais bien souvent il les accueille. La liste de leurs hôtes est longue : Khaled Meshaal, le chef du bureau politique du Hamas et ami personnel de l’émir, les anciens diplomates de Saddam Hussein – Naji Sabri, reconverti en professeur d’université à Doha, Riyad al-Qaïssi, Amer Saadi, ex conseiller scientifique du dictateur irakien devenu collaborateur de la cheikha, mais aussi Saggida, la veuve de Saddam qui vit avec ses filles dans une résidence à Doha. Tout le monde, ou presque, le sait. Mais pas question de les voir : tous ces hôtes ont signé un accord avec les autorités leur interdisant de rencontrer un journaliste.

On pourrait également ajouter l’islamiste algérien Abbassi Madani, longtemps hébergé au Shératon, dont le fils a ouvert une chaîne de télévision à Londres. Puis l’ancien chef des services de renseignements du colonel Kadhafi, Moussa Koussa, et le gendre de Ben Ali, Saker Materi, que Doha aurait expédié finalement aux Seychelles, avant la visite à l’automne 2012 du président tunisien Moncef Marzouki.

L’hospitalité qatarienne est même allée jusqu’à accorder l’asile à l’ex-président tchéchène Zelimkan Lamdarbiev que les services de renseignements russes ont finalement assassiné en 2004, après avoir dissimulé un engin explosif sous sa voiture qui sautera un vendredi lorsqu’il se rendra à la mosquée. « On avait pourtant dit aux Russes qu’on l’hébergeait et qu’ils devaient attendre… », confia peu après le prince héritier Tamim à un ami.

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Qatar les secrets du coffre-fort, Michel Lafon (14 mars 2013)

Christian Chesnot et Georges Malbrunot, grands reporters respectivement à France Inter et au Figaro, détenus pendant quatre mois en Irak en 2004, sont tous deux des spécialistes du Moyen-Orient et ont écrit ensemble plusieurs livres sur le conflit israélo-palestinien, Al-Qaida et l’Irak.

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