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Serbie-Kosovo: un accord de normalisation historique, et après?

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En 1999, la guerre qui oppose le Kosovo, peuplé à majorité d’albanophones, à la République fédérale de Yougoslavie – qui considère ce territoire comme une province de la Serbie – fait des milliers de morts. L’Otan finit par intervenir, et bombarde les forces serbes ; une force internationale (la KFOR) se déploie sur place ; un protectorat onusien est mis en place ; en février 2008, le Kosovo proclame son indépendance ; l’Union européenne – via Eulex, la plus grande mission civile de son histoire – prend le relais de l’ONU.
 
Ainsi résumé, un conflit qui libérait il y a quatorze ans des haines ancestrales, aujourd’hui toujours source de tensions.
 
Pourtant, le 19 avril, la Serbie et le Kosovo ont conclu un accord de normalisation de leurs relations ; une politique de la main tendue exigée par Bruxelles pour engager l’ouverture des négociations d’adhésion.
 
Selon les termes de cet accord, la Serbie ne reconnaît pas l’indépendance du Kosovo mais reconnaît au gouvernement kosovar compétence sur tout le territoire. Le Kosovo, lui, octroie une importante autonomie aux zones du nord, peuplées de Serbes.
 
Cet accord est-il « historique », comme – presque – tout le monde l’a qualifié ? Seule la force d’attractivité de l’Union européenne l’a rendu possible ? Eléments de réponse avec Gaelle Perio Valerio, chercheuse associée à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), chargée d’enseignement à Sciences-Po, journaliste dans les Balkans durant sept ans, au cours desquels elle a couvert l’ex-Yougoslavie et l’Albanie pour différents médias. 
 
 
JOL Press : L’accord a été qualifié d’« historique ». Est-ce justifié selon vous?

 

Gaelle Perio Valerio : En tout cas, il est extrêmement important. Il prévoit une solution qui n’est pas forcément idéale ou facilement applicable, mais il existe ! La plus grande victoire, c’est la volonté qu’il y a eu de part et d’autre d’arriver coûte que coûte à un accord. Il a fallu neuf rencontres à Bruxelles pour y parvenir ; à aucun moment ils ne se sont découragés.

Lorsque, au bout de la huitième rencontre, l’Union européenne a voulu siffler la fin de la récré, Serbes et Kosovars sont revenus à la charge pour avoir une dernière chance de s’entendre.

Ce sont moins les termes de l’accord qui sont historiques que la volonté même de parvenir à un accord.

JOL Press : Est-ce un accord gagnant-gagnant ? Ou bien l’une des deux parties a-t-elle consenti à des concessions plus importantes ?

 

Gaelle Perio Valerio : Le Serbie comme le Kosovo ont fait des concessions très importantes. Des deux côtés, il y a eu du lâcher-prise. C’est d’autant plus étonnant de la part de la Serbie que le gouvernement qui a poussé pour cet accord est néo-nationaliste. Avant de créer son Parti progressiste, Tomislav Nikolic, le président serbe, a longtemps été vice-président du Parti radical, toujours dirigé par Vojislav Seselj… depuis sa cellule de La Haye [ville néerlandaise où se situe le siège du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, (TPIY) ndlr].

Et le Premier ministre serbe Ivica Dacic n’est autre que l’ancien porte-parole de… Slobodan Milosevic ! [Ancien président de la République de Serbie, accusé par le TPIY, à l’issue des guerres de Yougoslavie, de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide, ndlr]. C’est tout bonnement spectaculaire que ce gouvernement soutienne l’accord !

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JOL Press : Certains ont dit que cet accord était une manière implicite de la part de la Serbie de reconnaître l’indépendance du Kosovo. Quant est-il selon vous ?

 

Gaelle Perio Valerio : De facto, la Serbie, avec cet accord, se montre pragmatique : elle reconnaît que le Kosovo ne fait plus partie de la Serbie ; elle sort de la politique du déni : « Le Kosovo, c’est la Serbie » a longtemps été le slogan officiel serbe. Ce n’est pas une reconnaissance absolue, juridique, de l’indépendance du Kosovo, mais les mentalités bougent indéniablement.

JOL Press : Vous disiez que cet accord ne serait pas facilement applicable…

 

Gaelle Perio Valerio : Effectivement. La grande question qui se pose maintenant est : comment cela va-t-il se passer concrètement ? C’est la vie quotidienne des Serbes du Kosovo – qui occupent, au nord, le quart du territoire kosovar – qui se trouve bouleversée par cet accord. Jusqu’ici, ils avaient affaire aux institutions parallèles serbes ; aujourd’hui, ils vont devoir faire toutes leurs démarches administratives quotidiennes, se marier, etc, devant les institution kosovares. L’accepteront-ils ? Vont-ils pouvoir garder la double nationalité ?

Il serait difficile de leur refuser de garder leurs papiers d’identité et leurs passeports serbes dans la mesure où le passeport kosovar n’est pas reconnu par tous les pays du monde [97 des 193 pays membres de l’ONU n’ont à ce jour pas reconnu l’indépendance du Kosovo, dont cinq États de l’Union européenne, ndlr]

JOL Press : Est-ce la seule perspective de voir s’enclencher le processus des négociations d’adhésion à l’Union européenne qui a motivé la Serbie et le Kosovo ?

 

Gaelle Perio Valerio : Non, car les Serbes comme les Kosovars sont parfaitement conscients que l’intégration à l’Union européenne ne vas se faire tout de suite – du tout du tout ! Il est indéniable qu’ils ont voulu montrer leur bonne volonté à Bruxelles, mais c’est avant tout la volonté d’appaiser les tensions inutiles entre leurs deux pays qui les a motivés.

Conscients que la résolution de la crise économique doit être leur priorité, ils veulent calmer le jeu entre eux pour pouvoir s’y concentrer.

Non, vraiment, ils savent que leur intégration dans l’Union européenne n’est pas pour demain ; d‘autant que l’adhésion de la Croatie en juillet va sans doute être mal perçue par les populations européennes, et donc inciter les chefs d’État à ralentir toute autre candidature.

JOL Press : Quand pourra-t-on parler de réconciliation entre la Serbie et le Kosovo ?

 

Gaelle Perio Valerio : La grande leçon de ces négociations qui ont abouti à un accord est que ces deux pays sont tout à fait capables de trouver des solutions, ensemble, et par eux-mêmes. Le travail de réconciliation va exiger du temps, un travail de mémoire, des recherches sur les disparus, etc. Mais ils ont prouvé qu’ils n’ont pas à attendre que l’Union européenne sorte sa baguette magique.

D’ailleurs, la construction européenne n’est plus ce qu’elle était, notamment au moment du rapprochement entre la France et l’Allemagne, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : elle est moins un idéal de paix, que la protection d’intérêts bien compris. 

 

 

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