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Un «Top Chef» à l’égyptienne pour sortir de la révolution

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Dans l’Egypte post-révolutionnaire, les émissions politiques très radicalisées et controversées se sont emparées du prime time sur les chaînes de télévision locales. Toutefois, si les questions politiques divisent les Egyptiens à l’écran et hors de l’écran, la peu conventionnelle émission de cuisine intitulée El-Set Ghalia (Madame Ghalia) montre que ce qui les unit pourrait être plus fort que ce qui les divise.

Entre émissions politiques et culinaires

L’émission El-Set Ghalia diffusée sur la chaîne de télévision par satellite du 25 janvier (lancée après la révolution) témoigne d’un changement positif dans le pays depuis 2011.

Dans un pays où les tensions sont toujours très vives entre musulmans et Coptes chrétiens, Ghalia parée d’un voile passe à l’antenne pour faire une déclaration positive par le biais de la cuisine, favorisant ainsi la possibilité d’une unité nationale. Elle est en effet le premier chef cuisinier à présenter des recettes convenant aux Coptes chrétiens et à leurs pratiques religieuses (ex: renoncer aux produits d’origine animale pendant le Carême).

Cette émission contraste aussi avec les programmes de cuisine qui étaient diffusés avant la révolution et où les chefs s’exprimaient en anglais ou en français et ne proposaient que ce qu’ils considéraient être de la cuisine gastronomique. Ghalia, ancienne employée de maison, vit dans le quartier d’Al Waraq, un quartier pauvre du Caire. Son mari est chauffeur de bus. A la surprise d’un grand nombre d’Egyptiens, Ghalia est fière de dire qu’elle était l’employée de maison de la soeur de Mohamed Gohar, le propriétaire de la chaîne qui l’a découverte. 

En finir avec la révolution avec la cuisine

Sur le plateau de l’émission, le décor restitue la simple cuisine du petit appartement de Ghalia. Elle a invité quelques-uns de ses voisins pour bavarder avec elle tandis qu’elle cuisine à l’antenne.

Ghalia prépare des plats savoureux avec un budget maximum de 4 dollars par jour. Son secret réside dans le choix de produits locaux bon marché plutôt que de produits importés dont les prix sont influencés par les marchés internationaux. Ghalia pense que si les gens dépensent moins pour se nourrir, ils peuvent satisfaire d’autres besoins tels que l’éducation ou l’épargne

Des émissions de ce genre sont apparues sur d’autres chaînes, présentant des recettes adaptées au budget local. Mohamed Fawzi, chef sur la chaîne religieuse Al Nas, s’est semble-t-il inspiré de Ghalia en préparant le Taamiya (des falafels à l’égyptienne, ndlr), le plus traditionnel et le plus économique des plats égyptiens.

Ghalia enseigne aux gens comment être économes et pratiques. « Ne jetez jamais les restes, vous pouvez en tirer des merveilles, » déclare-t-elle lors d’une émission.

Les Egyptiens retrouvent leur fierté nationale

Avant la révolution, tout ce qui était « local » paraissait vulgaire et arriéré. Mais depuis l’arrivée de Ghalia sur le petit écran, avec sa robe traditionnelle et son accent local, le mot revêt un autre sens. Tout le monde pense du bien d’elle et toutes les classes socio-économiques sont prises en compte avec son style et sa délicieuse cuisine.

Le fait que Ghalia adresse son message de tolérance par le biais de la télévision le rend d’autant plus efficace. Selon George Gerbner, feu l’universitaire et ancien doyen de la Annenberg School of Communication de l’Université de Pennsylvanie, la télévision a un « effet d’uniformisation ». Ainsi, les différences culturelles, sociales et politiques s’estompent du fait qu’un grand nombre de téléspectateurs visionnent les mêmes images télévisées.

En outre, Ghalia procure à tous les Egyptiens un sentiment de fierté au regard de leur cuisine. Dans la plupart de ses émissions, elle prépare des plats traditionnels locaux tels que le mahshi (feuilles de vigne farcies, ndlr), lebisara (ragoût de fèves broyés avec des légumes verts, ndlr), et le Keshk (boulgour avec du yaourt, ndlr).

« En tant qu’Egyptien, je n’ai jamais su que ces plats appartenaient à notre cuisine nationale. Je me souviens qu’on avait l’habitude de dire en ricanant que les Egyptiens n’avaient pas de cuisine nationale contrairement aux Libanais ou aux Turcs. Ghalia nous a prouvé le contraire, » déclare Maha Abdelhalim, une téléspectatrice.

Plus d’un million de fans

Ce sentiment de fierté nationale ressort lorsque Ghalia prend les appels des téléspectateurs à l’antenne. « Lorsque nous vous regardons, nous nous sentons fiers d’être Egyptiens, » lui fait remarquer un auditeur alors qu’elle explique comment préparer un plat traditionnel égyptien.

Aujourd’hui, la page Facebook de Ghalia rassemble plus d’un million de fans dont un qui lui a demandé d’être candidate à la présidence. Si cette requête tient plus du sens de l’humour égyptien, Ghalia demeure un exemple de ce que pourrait être la nouvelle Egypte.

Moustafa Abdelhalim est journaliste de radiotélévision et chargé de cours à l’Université de Westminster à Londres.

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