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«Le moment venu en Algérie, éviter le vide après Bouteflika»

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Il y a quelques semaines, le président algérien Abdelaziz Bouteflika envisageait la poursuite de sa carrière politique, et un quatrième mandat présidentiel.

Depuis, les choses ont changé et le président algérien hospitalisé à Paris, depuis un accident cardio-vasculaire, parait difficilement apte à tenir les rênes d’un pays qu’il dirige depuis 14 ans.

Un an avant le scrutin, l’Algérie s’organise et envisage l’après-Bouteflika. Pour Pierre Vermeren, historien et spécialiste du Maghreb, trouver un successeur au président en fonction s’annonce une tâche pour le moins laborieuse.

De quoi le mystère qui plane autour de la santé d’Abdelaziz Bouteflika est-il le révélateur d’un certain mode de fonctionnement de l’Etat algérien ?
 

Pierre Vermeren : D’abord, il faut reconnaître que la santé des chefs d’Etat donne toujours lieu à des mensonges ou à des omissions d’Etat – c’est vrai en France aussi. Pour autant, la pratique du secret et l’opacité des affaires publiques en Algérie va bien au-delà. La République algérienne est née dans le secret et la guerre secrète contre la France. Il en reste quelque chose.

N’oublions pas non plus le rôle central de l’armée et de ses différents services au coeur de l’Etat algérien, une réalité accrue par la guerre civile dans les années 1990. Or, la guerre au terrorisme est une guerre de l’ombre. Enfin, la grande muette algérienne est un produit historique des armées française, soviétique et arabes, elle cultive depuis toujours la pratique du secret.

Si l’état de santé d’Abdelaziz Bouteflika venait à empirer et si celui-ci décédait, pensez-vous que les autorités avertiraient immédiatement le peuple ?
 

Pierre Vermeren : Ayant survécu à son accident cardio-vasculaire, le Président algérien, même affaibli, peut très bien se remettre. S’il devait mourir en fonction, Président, c’est-à-dire d’ici avril prochain, tout dépendrait de l’état du pays et de l’avancée des négociations sur le choix de son successeur potentiel. Comme le calendrier imposé par la constitution est assez rigide, et rapide, on peut estimer qu’il faut très vite annoncer des noms de successeurs pour éviter le vide. C’est pourquoi on peut imaginer un retard à l’annonce éventuelle, mais c’est aussi prendre le risque de rumeurs sans fin dont Alger est coutumière.

A un an de l’élection présidentielle, et dans ce contexte, un quatrième mandat pour le président Bouteflika est-il sérieusement envisageable ?
 

Pierre Vermeren : Cela devient extrêmement compliqué. C’était déjà aléatoire mais, là, ce serait risquer la paralysie de l’Etat, et par les temps qui courent, l’inverse serait très étonnant. Rappelez-vous qu’en mai 2012, le Président avait annoncé que sa génération en avait terminé. Il parlait évidemment de lui. Cette fois, la cause est entendue.

Existe-t-il aujourd’hui, dans la classe politique algérienne, des personnalités capables et prêtes à lui succéder ?
 

Pierre Vermeren : Oui, il y en a plusieurs évidemment, notamment dans la catégorie des anciens Premiers ministres et responsables du Front de Libération Nationale (FLN) et du Rassemblement National Démocratique (RND) notamment. Mais on songe aussi aux hommes d’affaires, plus ou moins connus, ou aux militaires en retraite. La haute fonction publique n’est pas non plus avare en personnalités. Mais si des noms circulent, plus ou moins connus, il est à mon avis assez vain de chercher l’oiseau rare. Il faudrait en effet qu’il soit à la fois adoubé par le FLN et l’armée, les services et les oligarques, et qu’il soit également compatible avec les ambitions de François Hollande, les Américains et les Monarchies du Golfe, sans fâcher les chiites ni les Russes au Moyen Orient, et bien sûr ne désespérer ni les islamistes ni la mouvance plus laïque ou berbériste. Autant dire la quadrature du cercle.

Qu’en est-il de l’opposition ? Serait-ce une bonne opportunité pour elle d’émerger ?
 

Pierre Vermeren : Lors des dernières élections législatives, l’opposition a été laminée. Certes, l’Algérie a peu voté, l’opposition avait peu d’espoirs, et la transparence du scrutin a été fortement dénoncée. Mais comment imaginer gagner contre le candidat du pouvoir quand l’opposition n’est pas d’accord sur grand-chose. En 2011, on a constaté que la division et l’éclatement des oppositions ne permettait pas d’unifier la contestation. Les Algériens, qui sont très critiques et très désabusés, laissent faire, jusqu’au jour, inconnu, où une opportunité se présentera. Ce peut être dans longtemps mais on peut aussi imaginer que les islamistes, pour qui Abdelaziz Bouteflika n’était pas le pire ennemi, tentent de relever la tête. A ce sujet d’ailleurs, des manœuvres seraient en cours dans les rangs des partis islamistes officiels.

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