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Liberté de la presse: «Le changement en Iran? Pas pour maintenant»

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JOL Press : Quand et pourquoi avez vous été obligé de quitter l’Iran ?

Kianoush Ramezani : J’ai quitté l’Iran en décembre 2009. Après les élections, la situation dans le pays est devenue de plus en plus dangereuse. Pendant le mouvement vert, le soulèvement qui a suivi la réelection de Mahmoud Ahmadinejad, les autorités ont commencé à arrêter mes amis proches, des journalistes, des activistes politiques, des dessinateurs, des blogueurs…

En tant que leader de Cartoonists Rights Network International (organisation internationale pour les droits de l’homme) j’avais une responsabilité et j’ai été surveillé. Pendant le mouvement vert, j’ai publié des dessins pour soutenir les gens dans la rue. Il ne me restait que deux choix : rester et me faire arrêter, ou fuir et continuer à exercer mon métier de dessinateur de presse. J’ai choisi l’exil.

JOL Press : Quel est le quotidien d’un dessinateur de presse  ?

Kianoush Ramezani : Etre dessinateur de presse, c’est mener une bataille quotidienne contre beaucoup de choses en Iran : il faut se confronter à une limitation, à la censure, et au danger aussi. Je ne pouvais pas accepter cette situation, je ne pouvais pas me limiter ou dessiner sous commande. Un dessinateur de presse c’est d’abord un auteur : il pense, et après il dessine ce qu’il pense. C’est la base du métier de caricaturiste.

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JOL Press : Où en est liberté d’expression en Iran ?

Kianoush Ramezani : La liberté d’expression n’existe plus en Iran. Il y a une censure totale. Il y a de nombreux tabous : religieux, politiques et sociaux. Le dessinateur de presse est entouré de ces nombreux tabous… il est donc incapable d’exercer librement son métier. Avant la révolution islamique, il y a 35 ans, les dessinateurs avaient une liberté totale et pouvaient dessiner librement sur des sujets sexuels ou sur la religion. Mais aujourd »hui, ils sont uniquement autorisés à dessiner le président des Etats-Unis, à critiquer Israël ou l’Europe, ça s’arrête là. Le dessinateur ne peut jamais s’attaquer au gouvernement iranien. Dessiner un mollah, c’est extrêmement grave, il y a grand danger… jusqu’à la peine de mort.

JOL Press : Quelles sont les contraintes des journalistes iraniens ?

Kianoush Ramezani : Le plus souvent, les journalistes n’ont pas d’autres choix que l’autocensure. On accepte la limitation, on accepte les commandes. Si on accepte ces règles de travail, alors on peut continuer son métier. Le régime iranien connaît le pouvoir des dessins de presse : le gouvernement soutient les dessinateurs de presse qui acceptent ces conditions. Les journaux ne sont pas indépendants : ils sont pour le gouvernement. Si je veux travailler pour un journal iranien, je dois accepter le régime islamique, je dois accepter l’autocensure.

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JOL Press : L’exil est-il le seul moyen d’exercer librement son métier ?

Kianoush Ramezani : Si un dessinateur de presse iranien veut être libre, être un dessinateur selon le standard international, et bien alors oui, il n’y a pas d’autres choix que l’exil.

JOL Press : Y-a-t-il une ligne rouge à ne pas franchir ?

Kianoush Ramezani : La seule limite que je m’impose en France, c’est de ne pas dessiner sur des sujets locaux. La langue française ne me permet pas de lire les journaux, je ne connais pas grand-chose à l’actualité. Mais à part ça, je peux dessiner sur tout, il y a une liberté d’expression pour les journalistes et les dessinateurs exilés ici.

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JOL Press : Avez-vous déjà été victime de pressions ?

Kianoush Ramezani : J’ai reçu des menaces. On a essayé de pirater mon compte Facebook, mon compte gmail. Mais je ne représente pas une alternative politique : je ne suis pas très dangereux pour les autorités iraniennes, je n’ai reçu aucune menace venant d’eux depuis que je suis ici.

JOL Press : Pourquoi les dessinateurs de presse sont-ils plus exposés que les journalistes ?

Kianoush Ramezani : Parce que c’est plus fort ! En Iran, le dessin est plus populaire, cela intéresse un large public. Un  dessin de presse a plus d’influence qu’un article. Et les autorités iraniennes sont conscientes de ce pouvoir. C’est pour cette raison qu’ils limitent et contrôlent le métier de dessinateur de presse depuis la révolution.

JOL Press : Internet est-il le dernier recours pour la circulation des dessins de presse en Iran ?

Kianoush Ramezani : Internet est aujourd’hui presque la seule possibilité pour faire circuler les dessins. Il n’y aucun journal papier libre. Grâce à Facebook et aux blogs, l’information circule, bien qu’Internet soit controlé. Les internautes trouvent des moyens, des logiciels pour contourner la censure ! C’est une « cyber-bataille » quotidienne entre les gens et le gouvernement !

JOL Press : Pensez-vous retourner en Iran ?

Kianoush Ramezani : Bien sûr, j’attends le moment de pouvoir repartir, mais il y a des réalités. En Iran, « le changement ce n’est pas pour maintenant », contrairement en France… En Iran le changement viendra dans une dizaine d’années minimum. En France, j’ai trouvé un réseau local, j’ai des amis français, mais j’ai aussi gardé des contacts en Iran. Je publie mes dessins via les réseaux sociaux. Je les partage bénévolement sur le site d’opposition iranien. Je pense qu’il est important pour un dessinateur iranien de rester connecté avec l’audience iranienne.

Propos recueillis par Louise Michel D.

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