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Peter Whittle: Woolwich la multiculturelle, cible du terrorisme

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Journaliste, producteur de télévision, auteur, Peter Whittle est fin observateur de son pays et de ses compatriotes. Il est né à Woolwich et réside encore. Il a répondu, en exclusivité, aux questions de JOL Press.

JOL Press : Quelle est l’atmosphère à Woolwich ?
 

Peter Whittle : J’habite à quelques centaines de mètres de l’endroit où l’incident s’est produit. Lorsque je suis rentré hier soir, les environs étaient absolument silencieux. Le bruit que l’on pouvait entendre, c’était celui des hélicoptères. Le trafic automobile avait été interrompu.

Le centre de Woolwich est, pour l’essentiel, piétonnisé mais il y avait très peu de gens dans les rues. C’était silencieux mais, comme souvent dans ces occasions, il est difficile de savoir si les gens étaient – comme disent souvent les médias – sous le choc ou s’il y avait juste un désintérêt pour ce qui venait de se passer.

C’est ce que j’ai ressenti hier soir, et ce matin aussi.

JOL Press : Il y a eu hier une manifestation, n’est-ce pas ?
 

Peter Whittle : Des individus membres de ce groupe extrémiste, l’English Defence League (EDL) ou Ligue de défense anglaise, se sont retrouvés et ont eu une altercation avec les forces de l’ordre. Mais il y avait très peu de traces de tout cela ce matin.

JOL Press : La vie avait repris son cours ce matin ? Avez-vous entendu des gens parler des événements ?
 

Peter Whittle : Il n’y avait pas foule ce matin. Les barricades installées par la police étaient toujours en place. Les médias étaient toujours là.

L’atmosphère rappelait un peu celle de « Seven / Seven », lors des attentats islamistes du 7 juillet 2005… Certains y voient une forme de stoïcisme, la vie continue comme si de rien n’était, d’autres plutôt une forme d’indifférence ou plutôt d’incompréhension devant l’horreur de ce qui s’est produit.

JOL Press : A quoi ressemble Woolwich ? Quel genre de banlieue est-ce ?
 

Peter Whittle : Le terme de « banlieue » – suburb en anglais – suggère un cadre bucolique, des petites maisons victoriennes avec des arbres sur la rue… Ce n’est pas exactement ce à quoi ressemble Woolwich, au centre de Woolwich.

C’est à l’origine une ville ouvrière – pour preuve les docks sur la tamise, reconvertis aujourd’hui en habitation. Fortement associée à l’armée, c’est aussi une ville de garnison où se trouvait, jusque dans les années 90, le ministère de la défense. Il y a un an, le régiment de la princesse de Galles est revenu s’installer ici et les soldats sont de nouveau encouragés à se promener en uniforme dans les rues de la ville.

Autrefois, c’était une ville à majorité ouvrière et blanche. Aujourd’hui, Woolwich a été transformé par l’immigration de masse intervenue en Grande-Bretagne au cours des deux dernières décennies. C’est désormais une cité profondément multiculturelle et multiraciale avec de très nombreuses nationalités différentes – Somaliens, Caribéens, etc. – et de très nombreuses religions, et notamment une forte présence musulmane. La population blanche a fortement diminué.

Ces différentes communautés cohabitent sans se mélanger outre-mesure et il est difficile de décrire l’identité réelle de Woolwich aujourd’hui. C’est le cas de nombreux arrondissements périphériques de Londres, où l’on trouve désormais une majorité d’immigrés.

JOL Press : Y a-t-il eu des signes, des manifestations d’une montée en puissance de l’Islamisme fondamentaliste à Woolwich au cours des dernières années ?
 

Peter Whittle : A Woolwich, non, pas de preuves tangibles, observables par la population ordinaire dans laquelle je m’inclus. Pas de groupes islamistes vendant leur littérature, rien. On voit bien davantage les groupes évangéliques.

C’est une situation inédite pour le Royaume-Uni. David Cameron a dit hier soir, depuis Paris – me semble-t-il -, que le pays avait déjà connu de telles circonstances et que cela ne changerait pas les Britanniques. Mais, c’est faux, ce qui s’est produit hier à Woolwich ne s’était jamais produit. Jamais personne, un soldat a fortiori, n’avait été décapité par des terroristes islamistes, jamais…    

Je crois que ce qui a le plus choqué les Britanniques c’est l’extrême violence de cet acte, sa froideur…

Un éditorialiste, Rod Liddle, a déclaré ce matin que parler d’acte terroriste valorisait l’acte commis. On a bien davantage l’impression d’un acte individuel, informel, commis par un individuel qui a fait sienne les théories de l’islamisme fondamentaliste mais agit en dehors de tout réseau. Difficile d’y voir une action terroriste hyper-organisé.

JOL Press : Les Britanniques ont-ils de nouvelles raisons d’être inquiets ? Peut-on imaginer qu’un tel acte se reproduise ?
 

Peter Whittle : J’espère que non. Mais, les gens auraient raison d’être inquiet. Le plus troublant, c’est le caractère inattendu, aléatoire peut-être aussi de cet acte. D’une certaine manière, si vous prenez le métro vous savez, au fond, qu’une bombe pourrait exploser comme lors de précédentes attaques terroristes – le 7 juillet 2005 mais aussi du temps des bombes de l’IRA. Là, le soldat se promenait et n’avait comme signe distinctif qu’un sweat-shirt avec le logo d’une association caritative très populaire ici, Help the Heroes. L’avaient-ils suivi ou se sont-ils jetés sur lui par hasard ? Je penche pour la seconde option.

JOL Press : Comment la société répond-elle à une telle menace ?
 

Peter Whittle : En deux temps. D’abord, on gère les faits, l’atrocité des faits. Puis, on fait en sorte qu’ils laissent le moins de traces possibles et qu’ils ne servent pas de prétexte à une stigmatisation de tel ou tel groupe. Les associations musulmanes, cette fois-ci, ont été unanimes – et rapides – dans la condamnation de ces actes. C’est nouveau.

De plus, aucune mention de la politique étrangère britannique n’a été faite.

JOL Press : Diriez-vous qu’il y a eu une prise de conscience de la menace islamiste depuis les derniers attentats de juillet 2005 ?
 

Peter Whittle : Cela s’est amélioré déjà parce qu’il n’y a pas eu de nouvelles attaques.

Ceci dit, s’il n’y a pas de nouvelles attaques ce n’est pas parce que ces fanatiques n’ont pas essayé mais bien parce que les autorités, les gouvernements successifs, les forces de l’ordre, les services de renseignement ont été particulièrement efficaces à contrecarrer les plans d’action des terroristes, une trentaine depuis huit ans dit-on. Un de ces plans prévoyait l’attaque d’avions à Heathrow et aurait pu faire 2500 morts…

Dans le même temps, je ne dirais pas que les Britanniques ont véritablement pris conscience de la menace que représente l’islamisme fondamentalisme ou islamo-fascisme.

Peter Whittle est journaliste et auteur. Il collabore aux rédactions du Sunday Times, du Spectator et de Standpoint Magazine. Il intervient régulièrement sur la BBC et Sky News comme commentateur de l’actualité internationale. En mai 2012, il a publié What’s Wrong with Being British? un pamphlet sur ce que c’est qu’être Britannique. En 2011, il a publié Monarchy Matters, sur la place de la monarchie britannique dans la persistance d’un sentiment national britannique. En 2006, il a créé le Think Tank The New Culture Forum, spécialisé dans les problématiques culturelles et sociétales, et il en est aujourd’hui le directeur.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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