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Ziad Doueiri: «Israël, un tabou absolu dans le monde arabe»

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JOL Press : Votre film a été interdit de diffusion au Liban et dans 21 autres pays de la Ligue arabe. Quelles sont les raisons de cette censure ?

Ziad Doueiri : La raison de cette interdiction est simple : je suis un citoyen libanais et j’ai tourné en Israël avec des acteurs juifs israéliens. C’est tout. Ce qui est malheureux dans cette histoire, c’est que le gouvernement libanais nous a d’abord accordé ce permis de diffusion avant de se retracter. J’avais publié ce permis sur notre page Facebook pour prouver que le gouvernement n’avait pas de problème avec le contenu du film. Mais à la fin du mois d’avril, le Bureau de boycottage d’Israël a fait campagne contre le film et a mis la pression sur le gouvernement libanais pour interdire la diffusion de L’Attentat .

JOL Press : Comment avez-vous défendu votre film ?

Ziad Doueiri : J’ai écrit une lettre que j’ai publiée sur ma page Facebook en disant aux internautes que nous regrettions cette décision, qui ne sert pas les intérêts de la culture libanaise. La grande majorité des médias arabes ont repris cet article. Ce film ne condamne pas la cause palestinienne. C’est un film qui parle de la complexité des relations humaines que je suis allé tourner en Israël par choix artistique.

JOL Press : Quel rôle a joué la ministre française de la Francophonie Yamina Benguigui ?

Ziad Doueiri : Lorsque je me suis rendu compte que le gouvernement libanais ne reviendrait pas sur sa décision, j’ai consulté la ministre française de la Francophonie Yamina Benguigui pour lui demander si juridiquement parlant, les pays arabes avaient des obligations envers les codes, le protocole de la Francophonie. La ministre m’a répondu que neuf pays arabes étaient déjà signataires de la Francophonie, dont le Liban, et qu’il était contre le principe de la Francophonie d’interdire un film. Elle a donc interpellé les pays arabes pour qu’ils reviennent sur leur décision d’interdiction.

JOL Press : Où en est la situation aujourd’hui ?

Ziad Doueiri : Je pense que j’ai perdu la bataille. Les pays arabes ne reviendront pas sur leur décision. Tant pis pour eux, le film sortira dans le monde entier. Je trouve que cette interdiction est pathétique. C’est hallucinant que des gouvernements continuent de penser qu’il suffit d’interdire un film pour que personne ne le voit. L’Attentat sort le 29 mai en France, et le 1er juin, il sera déjà piraté au Liban, visible par tous.

JOL Press : Cette polémique va peut-être attiser davantage la curiosité des spectateurs sur votre film ?

Ziad Doueiri : Je n’ai jamais compté sur cette polémique pour faire la promotion de mon film. Mon film a été vendu partout dans le monde et a été présenté dans 19 festivals avant que la polémique n’éclate. Cette histoire peut au contraire me nuire en donnant l’impression que je me sers de la polémique pour marchander le film.

JOL Press : Votre film est-il davantage axé sur les relations humaines que sur la politique ?

Ziad Doueiri : Oui, c’est avant tout une histoire d’amour. Il s’agit de l’enquête d’un personnage sur le secret de sa femme. En arrière plan, le film aborde aussi l’histoire de deux peuples condamnés à vivre ensemble qui se battent chacun pour leur idéologie.

JOL Press : Selon vous, pourquoi assiste-t-on à des positions si radicales sur ce film ?

Ziad Doueiri : Pour l’Occident, il est normal d’aborder des sujets comme ça, mais dans le monde arabe, Israël est un tabou extrême : c’est la plus grande ligne rouge qu’il est interdit de franchir, plus encore que le tabou de l’homosexualité et celui des femmes. 

JOL Press : Est-ce la première fois que le gouvernement libanais exerce une telle interdiction pour un film qui parle d’Israël ?

Ziad Doueiri : Il y a déjà eu une affaire comme celle-ci concernant un film réalisé par un Israélien et un Palestinien. Mais il n’y a pas eu d’attaque virulente comme celle que connaît mon film actuellement. Les gens s’attaquent à ce long-métrage parce que je suis libanais. Des gens pensent que les Libanais doivent brandir le drapeau palestinien, que nous avons une mission spirituelle et divine à défendre la cause palestinienne. Mais je me considère avant tout comme un cinéaste, comme quelqu’un qui a des histoires à raconter.

JOL Press : Grâce à votre passeport américain, vous avez été le premier réalisateur libanais à pouvoir tourner en Israël. Faut-il un recul nécessaire pour aborder un tel sujet ?

Ziad Doueiri : Certes, j’ai étudié en Amérique, cela m’a donné un certain recul : je ne suis pas empêtré dans cette langue de bois. Mais j’ai été élevé et j’ai grandi à Beyrouth. Pour les autorités libanaises, je suis avant tout libanais.  J’ai décidé d’adapter le roman de Yasmina Khadra car je le trouvais formidable, pas pour faire de la provocation. Le monde arabe est coincé dans ses préjugés. A travers cette affaire, je suis en train de casser un tabou énorme. Je ne me vante pas de le faire, mais c’est la vérité. 

JOL Press : Comment se manifeste la mobilisation au Liban pour la diffusion de votre film? 

Ziad Doueiri : Nous voulions organiser une projection privée au Liban pour présenter L’Attentat à nos proches et à quelques journalistes, mais les autorités libanaises ont menacé d’arrêter les spectateurs du film. Nous avons donc été contraints de tout arrêter. L’ambassade française au Liban – qui  est en dehors de la juridiction des autorités libanaise –  pourra peut-être diffuser le film. Ce serait formidable ! Une pétition en ligne circule également sur Internet.

JOL Press : Toute cette affaire vous freine-t-elle pour repartir tourner en Israël ?

Ziad Doueiri : Je n’ai pas peur de retourner en Israël, et de refaire un film avec des Israéliens et des Palestiniens. J’ai travaillé avec une équipe et des acteurs fantastiques sur ce projet. Si je devais repartir demain en Israël, je le ferais sans hésiter. 

Propos recueillis par Louise Michel D.

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