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Au Qatar, la succession de l’émir s’inscrira dans la continuité

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JOL Press : Pourquoi l’émir du Qatar a-t-il pris la décision de « passer le flambeau » à son fils ?
 

Mehdi Lazar : À mon avis il y a plusieurs raisons à cela : la raison principale concerne la santé assez fragile de l’émir. Je pense qu’il veut passer le pouvoir tant qu’il est encore relativement en bonne santé, afin de pouvoir continuer à conseiller son fils et à surveiller la transition de façon efficace.

La deuxième raison, c’est qu’il voudrait montrer l’exemple, afin de restaurer l’image du Qatar, avec des actes qui sont en accord avec ce qu’il préconise depuis un certain temps, c’est-à-dire l’établissement d’un État moderne au Moyen-Orient.

Il voudrait donc que la transition se fasse en douceur, de son vivant. Nous ne sommes pas ici dans le cas classique, au Moyen-Orient, d’une transition de pouvoir suite à la mort du dirigeant ou d’un coup d’État.

JOL Press : Est-ce la première fois qu’un émir ne va pas « au bout » de son règne ?
 

Mehdi Lazar : Dans la région, c’est très rare. Au Qatar, les deux derniers émirs ont été renversés par leur fils.

JOL Press : Que va devenir l’émir après le transfert de pouvoir ?

Mehdi Lazar : Il aura certainement un rôle important, mais ce sera essentiellement un rôle consultatif. Il y a un Conseil consultatif au Qatar, il est donc très probable qu’il y soit. Il peut également devenir conseiller spécial.

JOL Press : Y aura-t-il un remaniement ministériel ?
 

Mehdi Lazar : Oui, à priori. Pourtant, il est difficile de dire quel sera le périmètre de ce remaniement.

La grande question, c’est de savoir quel sera le rôle du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères – portefeuilles ministériels occupés conjointement par le cheikh Hamad ben Jassim. Pour deux raisons : d’abord, c’est un pilier du pouvoir. Il est ministre des Affaires étrangères depuis 1992 et Premier ministre depuis 2007 ; c’est donc l’artisan de la diplomatie du Qatar et de la politique étrangère très active du pays. C’est quelqu’un de vraiment très important.

Mais vous ne pouvez pas avoir en même temps un changement de pouvoir de l’émir et du Premier ministre, cela déstabiliserait le pays. Et vous ne pouvez pas avoir non plus trop de concurrence entre le jeune émir et le Premier ministre. Donc la question de passation de pouvoir autour du Premier ministre lors du remaniement est une question primordiale.

JOL Press : Pourrait-on assister à un « coup de force » de certains opposants, notamment si l’émir écarte définitivement son Premier ministre ?
 

Mehdi Lazar : Non, je ne pense pas. Bien sûr, c’est une éventualité qui est toujours envisageable, mais pour l’instant nous n’avons pas de signaux allant dans ce sens.

JOL Press : Comment le cheikh Tamim prépare-t-il son entrée sur la scène internationale ?
 

Mehdi Lazar : Depuis 2003, il sait qu’il va succéder à son père à un moment ou à un autre. Il a pris un certain nombre de responsabilités ces dernières années, dans les secteurs économiques et militaires par exemple, et il a beaucoup voyagé, notamment en France. Il était par ailleurs responsable d’une partie du Fonds souverain [Qatar Investment Authority, ou QIA]. Il a par ailleurs beaucoup consulté avec sa mère, la cheikha Moza, assez influente auprès de l’émir. Cela fait une dizaine d’années qu’il est prêt, qu’il sait qu’il va être émir, et quelques années qu’il est monté en puissance et qu’il s’y prépare sérieusement.

JOL Press : Pensez-vous qu’il y aura une rupture dans la politique du cheikh Tamim ?
 

Mehdi Lazar : Non je ne crois pas. Certaines choses vont changer parce qu’il y aura un renouvellement de génération. Tamim est jeune, il a 33 ans, et il va s’entourer d’autres personnes. Cela va changer un peu parce que le contexte est différent, mais les fondamentaux de la politique intérieure et de la politique étrangère resteront les mêmes.

En politique intérieure, la vision stratégique du pays est écrite, notamment dans la Vision 2030. Le prince Tamim aura une marge de manœuvre, mais il ne pourra pas s’écarter des grandes orientations stratégiques prises depuis 1995, concernant le gaz naturel, la diversification économique du pays et la diversification des sources de sécurité par exemple.

Sur le plan extérieur, je ne pense pas qu’il y ait de rupture non plus. On continuera à avoir au niveau extérieur une alliance avec les États-Unis pour la protection du territoire. Cela dit, la séquence des printemps arabes semble se terminer et le Qatar réalise que leurs aventures ont été quand même assez hasardeuses, notamment en Syrie, et que leurs soutiens aux Frères musulmans, au Maghreb et au Machrek, ont commencé à faire grincer des dents. Mais il est aussi possible que la politique étrangère, très active, passe plutôt à ce qu’elle était avant – influence, médiation et investissements économiques essentiellement –, et moins à une politique de puissance comme on l’a vu.

Mais cela serait arrivé même sans le Prince Tamim, parce que l’on arrive à la fin d’une période. Le nouvel émir ne fera qu’accompagner ce mouvement-là.

JOL Press : Que va changer sa prise de pouvoir sur les liens entre le Qatar et la France, notamment en ce qui concerne le PSG ?
 

Mehdi Lazar : Les liens entre le Qatar et la France sont des liens forts, qui ont pu être incarnés par certaines personnes à un moment donné, mais qui sont maintenant des liens d’États. On a vu des changements de présidence, mais les liens sont toujours restés forts, même si le président Sarkozy avait des liens plus personnels avec l’émir – tout comme leurs compagnes.

Le prince Tamim connaît bien la France, qu’il aime beaucoup. Concernant le PSG, celui-ci est détenu par le Fonds souverain, présidé par le prince Tamim, c’est donc l’État qui détient le PSG, et non l’émir personnellement. Je ne vois donc pas de grand changement, mais plutôt de la continuité. Il n’y a en tout cas pas de raisons que les relations privilégiées entre le Qatar et la France s’arrêtent.

JOL Press : Que peut-on attendre de la visite de François Hollande au Qatar ce week-end ?
 

Mehdi Lazar : À mon avis, il va y avoir un certain nombre d’interrogations autour des problèmes régionaux, notamment à propos de la Syrie qui s’enlise dans le chaos. Un volet de politique intérieure autour de la transition sera sûrement abordé, un volet de politique économique aussi, puisqu’il y a des entreprises françaises qui ont conclu récemment des gros contrats au Qatar, et enfin un volet de politique culturelle. Par exemple, il y a quelques jours, le Qatar a annoncé qu’il ouvrirait prochainement à Paris une maison de la Culture.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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