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Iran: à la présidence, Hassan Rohani n’a pas les coudées franches

[image:1,l] Kianoush Ramezani a observé depuis la résidence d’artistes de Grez-sur-Loing en Seine-et-Marne – où il a installé depuis quelques mois ses carnets et ses crayons – le déroulement de la présidentielle dans son pays, l’Iran. Exilé depuis 2009, il a sans doute l’espoir d’une évolution qui lui permettrait de mettre un terme à son exil. Il décrypte pour JOL Press la signification de l’élection de Hassan Rohani. 

JOL Press : Quelle a été votre première réaction à l’annonce de l’élection de Hossan Rohani à la présidence de l’Iran ?
 

Kianoush Ramezani : Non, je n’ai pas été surpris, même si, c’est vrai, une victoire dès le premier tour de Hossan Rohani n’était pas le scénario le plus probable.

Depuis mon exil, je suis heureux pour le peuple iranien. On peut désormais imaginer que les sanctions économiques internationales vont être réduites. C’est un formidable espoir après quatre années de crise, une crise totale, économique, sociale et politique, une crise de la liberté, des droits de l’Homme. Cet espoir, c’est une nourriture pour les jeunes et nouvelles générations.

A partir du moment où l’espoir renaît, tout devient possible.

Le Guide suprême Ali Khamenei le sait très bien et il se satisfait sans aucun doute de ce résultat.

JOL Press : Hossan Rohani est qualifié de modéré. Comment le Guide suprême peut-il se satisfaire de la victoire d’un « modéré » en Iran ?
 

Kianoush Ramezani : Modéré… Modéré, cela n’existe pas en Iran. Hassan Rohani est un mollah. Il est très attaché au Guide suprême et il appartient à la haute structure de la République islamique.

Mais il est modéré dans le sens où il se présente comme un réformiste – et les réformistes ont décidé de le soutenir très en amont de ce scrutin.

JOL Press : Que prônent ces réformistes ?
 

Kianoush Ramezani : Ils aspirent à des changements de politique étrangère qui aient pour effet des évolutions notables de la situation économique. Hassan Rohani sera sans doute amené à mettre en œuvre certains de ces changements.

La ligne iranienne dans le cadre des négociations concernant le programme nucléaire devrait évoluer. Et, en contrepartie, l’Iran devrait voir atténuées les sanctions internationales auxquelles elle est soumise. Ces deux étapes sont les plus imminentes.

JOL Press : Quelles pourraient être les étapes suivantes de cette « réforme » ?
 

Kianoush Ramezani : Là-dessus, je ne suis pas très optimiste. On pourrait imaginer que Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, leader de la « révolution verte » de 2009, puissent quitter leurs résidences surveillées et retrouvent une relative liberté.

En matière de droits de l’Homme, je suis carrément pessimiste. La privation de liberté, le contrôle des consciences est dans l’ADN même de la République islamique.

JOL Press : Une « réforme » – telle qu’on l’imagine en Occident – est donc impossible en Iran ?
 

Kianoush Ramezani : La marge de manœuvre dépend de l’interprétation de l’islam que privilégient les dirigeants. A l’époque de Mohammad Khatami – de 1997 à 2005 -, nous avons assisté à quelques évolutions car le président voulait reconnecter l’Iran au reste du monde.

Aujourd’hui, si l’Iran cherche à négocier ou échanger avec l’Union européenne, ses dirigeants savent qu’ils devront donner quelques signes. On peut imaginer que Hassan Rohani reprendra à son compte une partie de la politique  de Mohammad Khatami et qu’il laisse un peu plus de liberté – en matière de presse ou d’Internet, par exemple.

JOL Press : Pour vous, la République islamique est de facto éternelle ?
 

Kianoush Ramezani : Les Iraniens ne veulent pas de changement drastique dans leur très grande majorité. La révolution en Iran a déjà été faite et ceux qui l’ont connu n’ont pas oublié le chaos qu’elle avait engendré. De plus, son impact à long terme aura été négatif.

Les changements ne peuvent venir que d’une réforme progressive.

JOL Press : En quelque sorte, un modus vivendi s’est imposé qui repose sur une profonde hypocrisie car, en réalité, une relative zone de liberté persiste dans la sphère privée…
 

Kianoush Ramezani : C’est profondément dans la culture perse. Les Iraniens sont loin d’être tous pratiquants, nombre d’entre eux ne sont pas religieux du tout. En privé, ils font la fête, ils boivent de l’alcool. En public, les femmes portent de longs manteaux et sont voilées.

Oui, presque tout le monde a une double vie. Le meilleur témoignage de la vie quotidienne en Iran est Persépolis de Marjane Satrapi. Elle a formidablement décrit une réalité complexe.

JOL Press : Et cela peut être durablement suffisant pour que les Iraniens s’en accommodent ?
 

Kianoush Ramezani : Les Iraniens sont très attachés à l’Iran et, pour beaucoup, tant qu’ils ne sont pas physiquement menacés, si c’est la condition pour y rester, pour échapper à l’exil, ils s’en accommodent.

Comme ils se satisfont aussi d’actes ordinaires de résistance, comme le fait de ne pas porter des vêtements islamiques, de poster un message sur Facebook, de boire de l’alcool ou d’écouter de la musique interdite dans leurs voitures.

Et si le régime, régime totalitaire qui sait tout sur tout, laisse faire, c’est parce que l’essentiel est que ces petits actes de résistance ordinaire ne débouchent pas sur une contestation politique organisée et déterminée.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press  

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