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«Le gouvernement grec va juste panser les plaies»

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JOL Press : Quinze jours après la fermeture de la télévision publique, quelle est la situation de l’ERT ?
 

Thomais Papaioannou : Les 4 chaînes de télévision et les 19 radios n’émettent pas comme il aurait fallu après la décision du conseil d’État. Il y a eu une deuxième décision du conseil d’État qui préconisait de rouvrir plus vite, mais le gouvernement n’a toujours rien fait. Et malgré le remaniement ministériel, l’ERT reste fermée.

Ils ont placé un secrétaire d’État – Pantelis Kapsis – au portefeuille de l’ERT, il sera donc indirectement celui qui devra résoudre le problème de l’ERT. Sa seule tâche est de trouver une solution. Il a déclaré qu’il y aurait une nouvelle ERT dans trois mois, et qu’il rencontrera bientôt les employés de la radio-télévision publique. Nous attendons de voir.

JOL Press : Le parti de gauche démocratique Dimar, qui soutenait l’ERT, annonçait vendredi dernier son départ de la coalition gouvernementale. Cela aura-t-il une incidence sur l’avenir de l’ERT ?
 

Thomais Papaioannou : Dimar a cédé sur plusieurs choses incompatibles avec un parti de gauche. La fermeture de l’ERT a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Ils ne pouvaient pas faire semblant de passer outre, surtout que le Premier ministre, de droite, les a pris de court : ils n’avaient pas le choix, ils étaient obligés de se retirer.

Mais cela ne va pas changer grand-chose, dans le sens où ils se sont mis d’accord avec les deux partis encore au pouvoir, Pasok – les socialistes – et Nouvelle Démocratie – à droite – qui règnent sur la Grèce depuis trente-cinq ans. Ces deux partis ont rendu la Grèce telle qu’elle est aujourd’hui. C’est-à-dire un pays ruiné, où les gens sont au bord du gouffre. Et, ironie du sort, ces deux partis gouvernent aujourd’hui ensemble le pays. Le gouvernement qui vient d’être formé est gangréné par le népotisme, la corruption, les conflits d’intérêts et l’opacité. Quand on sait que 11 membres du gouvernement ont un père ancien ministre…

JOL Press : L’idée que l’ERT était contrôlée par des syndicalistes coopérant avec le parti radical de gauche Syriza est-elle fondée ?
 

Thomais Papaioannou : Syriza était à l’origine un tout petit parti qui faisait 4 ou 5% au Parlement, jusqu’aux dernières élections de juin 2012. Dire que les syndicats de l’ERT étaient tous liés à Syriza est ridicule. Il faut cependant savoir qu’en Grèce les syndicats indépendants n’existent pas. Ils sont tous attachés à des partis : Pasok, Nouvelle Démocratie ou le Parti communiste. Ces trois partis dominent les syndicats.

Dans l’acte fondateur de l’ERT, il est dit que les syndicats doivent être omniprésents dans tout l’organisme. On a laissé la main libre aux syndicats de tout contrôler. Quand ils ont vu que le vent tournait, les mêmes syndicats se sont mis à demander l’aide de Syriza, qui a accepté parce qu’il était contre ce que faisait le gouvernement en général. C’est l’opportunisme qui a poussé les deux partis à se joindre. Mais Syriza n’a pas de mainmise totale sur les syndicats de la télévision publique.

JOL Press : Que pensez-vous du projet NERIT voulu par le gouvernement grec ?
 

Thomais Papaioannou : Quand le gouvernement a déclaré qu’il mettait en place le projet NERIT, tout le monde a d’abord éclaté de rire parce que le nom « NERIT » en grec rappelle un vieux produit ménager utilisé autrefois pour amidonner les chemises et qui s’appelle « merit ».

Pantelis Kapsis, le nouveau secrétaire d’État nommé lors du remaniement ministériel et chargé de trouver une solution à la crise de l’ERT, a déclaré qu’il s’appuierait en fait sur un autre projet de loi que le gouvernement de Papandréou avait présenté en 2011 comme une solution pour l’ERT et qu’il souhaitait appeler « Nouvelle ERT ». Pour tout vous dire, je n’y crois pas vraiment. Ils vont sûrement essayer de panser les plaies plutôt que de réparer en profondeur. Cela me fait mal au cœur.

Pourquoi, pour la première fois dans l’histoire de la fonction publique grecque, n’essaierait-on pas de créer un nouvel organisme en mettant tout le monde autour d’une même table : les syndicalistes, les employés, tous les métiers de l’ERT afin de choisir des personnes représentatives – autres que les syndicats – pour décider de l’avenir de la télévision publique ? Le pays a besoin d’assemblées représentatives dans tous les grands secteurs publics, constituées de spécialistes et de professionnels – et pas uniquement de syndicalistes ou d’universitaires.

Pour une fois, on mettrait à contribution des gens compétents pour décider. Et si l’on n’a pas besoin de 2000 personnes, alors il faudrait en garder 1000, mais qui soient toutes les meilleures du métier. Donnons à la méritocratie une petite chance en Grèce. Ironie de l’histoire : le mot « méritocratie » est grec, mais elle n’existe pas dans le pays. La Grèce a vraiment besoin de justice et de méritocratie. Les deux sont mortes aujourd’hui.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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