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Ma vie de criminelle en Égypte

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Il est accablant de se savoir condamner pour un crime. S’il m’arrivait de fouler le sol égyptien, ou celui d’un des pays avec lesquels l’Egypte a signé un accord d’extradition (et la liste est longue), je risque de finir en prison. Le moins que l’on puisse dire est que le sentiment est effarant.

L’arme du crime, les réseaux sociaux

Mon crime ? Apprendre à des journalistes et à des citoyens égyptiens à se servir des médias sociaux, dans le cadre de mon travail de directrice de programme pour le International Center for Journalists (centre international pour les journalistes), une organisation à but non-lucratif qui vise le développement médiatique à travers le monde.

Mon travail s’est principalement effectué à distance, depuis mon bureau de Washington, DC, et quelques visites en Egypte ont eu lieu. La politique n’a jamais été à l’ordre du jour et nous n’avons jamais prêché la « déstabilisation politique ».

Une condamnation lourde de conséquences

J’ai appris mon inculpation et ma condamnation par le biais de Twitter, qui, ironiquement, était l’outil principal de notre formation en Egypte.

Je me trouvais alors dans la banlieue de Washington et nullement près de l’Egypte. Contrairement à ce qui a été rapporté par les médias égyptiens, je n’ai jamais fui le pays lorsque ma mise en accusation a été annoncée.

Il est certain que je m’inquiète des répercussions que cette condamnation aura sur ma carrière. Non seulement ma mobilité est limitée, mais aussi ma capacité à subvenir aux besoins de mes enfants. Une situation fâcheuse.

D’inquiétants précédents

Une situation fâcheuse que je ne suis pas la seule à devoir affronter. Le 4 juin, le pouvoir judiciaire égyptien a condamné 43 travailleurs d’organisations non-gouvernementales, y compris du personnel égyptien. Notre peine a été fixée entre une et cinq années d’emprisonnement pour « travail illégal » et pour avoir « accepté des fonds étrangers ». Avec les autres « fugitifs » jugés en leur absence, j’ai reçu la plus longue peine, celle de cinq ans.

La situation dépasse l’absurde. Les sentiments de désespoir et d’injustice sont tellement accablants qu’il est difficile de porter son attention sur autre chose.

Illusoire Printemps arabe ?

Il est difficile de rêver à une ère meilleure, née du printemps arabe. En tant qu’arabe d’Amérique, j’ai toujours cru que je pourrais contribuer à combler le fossé entre mes deux cultures, mais cette sentence est un coup qui me paralyse. Aujourd’hui, je constate avec tristesse que, loin de faciliter la communication, j’en suis un obstacle. 

Si l’on met de côté les implications politiques majeures de cet événement, reste que la décision de l’ordre judiciaire égyptien constitue une tragédie pour les 43 personnes condamnées, et qu’elle sera également néfaste à l’avancement sociétal d’un pays qui se dit « la mère du monde ».

Combien de travailleurs d’organisations non-gouvernementales oseront se rendre en Egypte à présent ? J’imagine très peu. Seulement les téméraires et les courageux. L’isolation culturelle se profile en effet dans l’avenir du pays.

Ces travailleurs apportent non seulement leurs compétences, mais aussi leur culture, et, très souvent, ils adoptent la culture du pays d’accueil. Il s’agit là d’une relation symbolique qu’il ne faut pas sacrifier.

La stratégie du pouvoir égyptien

En empêchant des organisations non-gouvernementales américaines d’établir une présence en Egypte, les autorités privent les deux pays d’échanges de compétences et d’idées. Elles minimisent également les efforts en vue de vaincre les stéréotypes et de favoriser la compréhension mutuelle.

Aujourd’hui, je ne peux qu’extérioriser mes pensées pour soulager ma situation. Ce faisant, je m’efforce de sensibiliser le public à ce cas dont l’impact ne se limite pas aux 43 personnes directement concernées.

Je voudrais prier le système judiciaire égyptien de revoir cette affaire. Non pas parce que le verdict est injuste et qu’il gâchera la vie de nombreuses personnes, brisera la famille des Egyptiens condamnés et de ceux qui sont exilés, mais pour l’avenir d’un pays qui a toujours été perçu comme plus grand que la vie, un pays d’accueil pour tous.

En ce qui me concerne, j’espère ne pas m’égarer en essayant surmonter ce dilemme, et continuer de croire que je peux faciliter la communication entre mes deux cultures.

Je refuse de devenir une femme arabe d’Amérique de classe moyenne qui a perdu tout espoir en sa région natale. Je prie pour que, indépendamment de cette condamnation, je trouve le moyen de croire, malgré tous les obstacles, en une meilleure issue à expérience douloureuse.

*Natasha Tynes est une professionnelle dans le domaine des médias. Jordanienne et Américaine, elle est établie à Washington, DC.

Article écrit pour Common Ground News Service (CGNews).

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